“C’est le RCD qui a assassiné mon frère Hakim”

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Rachid Allouache, délégué des archs et frère de la victime, qui demeure déterminé sur la quête de la vérité sur l’assassinat de son jeune frère, nous livre dans cet entretien les contours de l’affaire que seul la justice aura à élucider.

La Dépêche de Kabylie : Deux ans se sont écoulés depuis l’assassinat de votre frère Hakim. Peut-on savoir où en est l’affaire au niveau des tribunaux ?ll Rachid Allouache : En effet, aujourd’hui nous commémorons le triste anniversaire du meurtre perpétré contre mon frère Hakim survenu des suites de l’incendie qui avait ravagé notre magasin au centre ville de Fréha un certain 7 avril 2004, soit 24h avant le jour du scrutin présidentiel. Pour revenir à votre question, je vous informe que la cour suprême a confirmé, il y a une dizaine de jours de cela, la décision de la chambre d’accusation qui allait enrôler l’affaire devant le tribunal criminel prés la cour de Tizi-ouzou. Cela fait une année depuis que les avocats des deux accusés ont interjeté l’appel au niveau de la cour suprême pour contester la décision de la chambre d’accusation. Maintenant nous sommes dans l’espoir de voir cette même chambre enrôler le dossier durant la prochaine session criminelle. Les deux accusés, B.K et S.S, demeurent toujours en détention à la maison d’arrêt de Tizi-ouzou depuis leur arrestation au lendemain du meurtre.

Qu’est-ce qui vous dit que ces deux accusés étaient les auteurs de l’incendie de votre magasin familial ayant conduit à la mort de votre frère ?ll L’accusation portée contre ces deux prévenus n’est pas inventée. Ils ont été identifiés par des témoins ayant apporté leur déposition au commissariat de police d’Azazga au lendemain de l’assassinat de mon frère. Ils sont six à constituer la pléthore des témoins qui sont déjà entendus par le juge instructeur prés le tribunal d’Azazga, en charge du dossier. Il faut savoir que l’un des six témoins n’est autre que le militant qui assurait la permanence au siège communal du RCD cette nuit-là. Ma conviction est d’autant plus sûre que le nommé B.K m’avait déjà menacé de mort dix jours avant de commettre son acte contre mon frère. D’ailleurs, il n’a pas hésité à avouer cette menace devant le juge d’instruction. B.K m’a dit clairement et en ces termes : «Qu’as-tu contre mon oncle, si tu prononces encore son nom, je te tuerais». C’était d’ailleurs devant des témoins qu’il m’avait proféré ses menaces. Son oncle, c’est le Dr Said Sadi qui était à l’époque candidat aux élections présidentielles et contre lequel nous avons mené une campagne anti-vote. A ma question de savoir pourquoi il voulait s’en prendre à moi, il m’a répondu : «Tu dénigres trop mon oncle, candidat aux élections présidentielles, et ça, je ne peux l’admettre», et d’ajouter : «Je suis venu spécialement d’Espagne pour faire le nettoyage». Moins de 48h après, un militant du RCD, dont je tais toujours le nom, m’a alerté sur les intentions de cet individu qui traînait avec une liste de quatre noms de délégués du mouvement citoyen qu’il voulait abattre, et dont je faisais partie. Sur le coup, j’ai alerté les trois autres délégués pour qu’ils fassent attention à leur sécurité physique, et depuis, j’ai fui la région jusqu’au jour où je fus contacté par téléphone, aux environs de 4h du matin, pour m’annoncer la triste nouvelle sur mon frère. J’ai regagné sur-le-champ la ville de Fréha où j’ai constaté le triste sort qui était arrivé à mon frère Hakim. Sur le coup, je n’avais aucune idée sur l’identité des auteurs de l’incendie et de la mort de Hakim. Ce n’est qu’après mon déplacement au commissariat d’Azazga pour savoir où en était les premières investigations que je sus que six personnes s’étaient présentées à la police pour apporter leurs témoignages, mais sans réussir à avoir leur identité auprès des policiers. Et à la veille de l’enterrement de mon frère, j’ai eu connaissance de l’identité des témoins et celle des auteurs du forfait. C’est à ce moment que je commençai à voir clair sur l’un des deux présumés auteurs de l’incendie ayant conduit à la mort de mon frère puisque c’était lui-même qui m’avait menacé de mort devant notre magasin. C’est à partir de ces témoignages que la police d’Azazga a procédé à l’arrestation des deux individus et qui ont été présents lors de la reconstitution des faits et qui a eu lieu sur les lieux du crime sur demande du juge instructeur. Je vous informe que ce sont les preuves matérielles, décelées par la police scientifique, qui ont aidé les magistrats à confirmer les deux personnes en tant qu’auteurs du crime. Il reste maintenant au tribunal criminel de Tizi-ouzou de statuer définitivement sur leur cas.

On a beaucoup parlé de l’implication des dirigeants du RCD dans cette affaire. Selon vous, quel intérêt peut avoir ce parti dans l’exécution d’un tel acte à la veille d’une échéance électorale, sachant que son leader s’était porté candidat ? ll Je dois rappeler, comme tout le monde le sait d’ailleurs, que les deux prévenus font partie de la famille du président de ce parti, l’un est son neveu et l’autre est son cousin. L’autre élément qui me fait dire que ce parti n’est pas étranger à l’acte odieux qui a coûté la vie à mon jeune frère est l’acharnement du chef de ce parti contre les délégués du mouvement citoyen. Vous allez bien sûr me demander le rapport entre les discours incendiaires de ce chef et l’assassinat de Hakim. La réponse est toute simple : les exécutants du crime pensaient m’atteindre en assassinant mon frère. Durant toute la campagne électorale, le chef de ce parti a multiplié des déclarations incendiaires contre les membres du mouvement citoyen lors de ses meetings, y compris sur les plateaux de la chaîne BRTV. Il faut revenir en arrière pour comprendre la manœuvre diabolique de certains hommes politiques dont fait partie le chef du RCD. L’exécution de leur plan a débuté en 2003 avec l’arrestation des délégués du mouvement citoyen sous les ordres de Benflis qui occupait alors le poste de chef de gouvernement. C’est à cette époque-là que les deux personnes ont pris la décision de participer aux présidentielles de 2004. Mais leurs candidatures risquaient de buter sur la fronde de la Kabylie suite à notre stratégie de rejet de toutes les consultations électorales tant que la plate-forme d’El K’seur n’était pas satisfaite. Alors, il aura fallu à Benflis et à son poulain, Sadi, qui aurait négocié sa part des élections, de phagocyter le mouvement citoyen en jetant d’abord ses membres les plus actifs dans les prisons — plan exécuté par Benflis — et imposer une nouvelle ligne pour la structure des Archs par ce qui était appelé les “perspectives politiques” que les délégués proches de la formation de Saïd Sadi tentaient d’imposer. Le but était bien sûr d’anéantir les voix appelant au rejet des élections au sein du mouvement citoyen et imposer à celui-ci une conduite contraire aux résolutions des conclaves précédents. Ces deux personnes ont été parrainées par certains hauts responsables au sein des hautes sphères de décisions du pays et qui étaient par la suite éjectés de leurs postes au lendemain des élections présidentielles. Ayant constaté leur incapacité à tirailler le Mouvement citoyen de l’intérieur de la structure des archs, leur second plan était d’assassiner les délégués actifs et provoquer ainsi un autre soulèvement en Kabylie et avoir les arguments pour demander l’arrêt du processus électoral. Certains journalistes, qui n’ont pas cautionné la conduite politique de ces deux personnes, ont subi des intimidations et ont été menacés de mort. Toutes ces manœuvres ne visaient qu’une seule chose : barrer la route au président candidat lors des élections d’avril 2004 et obtenir les commandes du pays avec ou sans les urnes. Mais, comme tout le monde le sait, les résultats des élections étaient chaotiques pour ces deux artisans des plans machiavéliques et assoiffées de pouvoir. Il ne faut pas omettre que la région de Kabylie, sciemment organisée comme matrice de bouillonnement politique, intervient — bon gré, mal gré — dans le réglage des luttes politiques du sommet à chaque fois que l’Algérie négocie un virage. En ce sens, il aurait fallu toujours un sponsor politique à certains dirigeants du pays afin de peaufiner une démarche manœuvrière de la région pour ainsi assouvir les appétits démesurés de certains dirigeants politiques qui se sont simulés en démocrates invétérés. Pour revenir au simulacre de campagne électorale ayant eu lieu aux présidentielles de 2004, surtout en Kabylie, cela renseigne sur la nature tyrannique par laquelle l’affirmation se voulait à n’importe quel prix. C’est d’ailleurs la seule région où la concentration des enjeux politiques et stratégiques — qui furent mis en branle par les divers acteurs mêlés à l’effervescence électorale dont les prises de positions et les objectifs assignés — diffèrent d’un acteur à un autre, jusqu’à pousser au comportement d’excès, source de violence par essence.

Entretien réalisé parKaci Bali

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