Cette rentrée 2018 est placée sous le signe des avertissements : la valeur boursière du voyagiste Thomas Cook s’effondre de 25% (en cause, le réchauffement climatique et des températures exceptionnellement hautes à Londres).
Par Salima Nehaoua Professeure d’économie Académie de Grenoble (France)
Au sein de l’Union Européenne, Emmanuel Macron, Président français, souhaite privilégier les accords commerciaux respectant les Accords de la COP 21 Paris. En France, un rapport parlementaire alerte le gouvernement sur les pratiques dangereuses des industries agroalimentaires, notamment les additifs alimentaires et autres techniques industrielles aux conséquences nocives pour la santé. Pourtant, recherche de profit, croissance économique et protection de l’environnement ne sont pas incompatibles. Le contexte actuel mondial est même plutôt favorable à l’avènement d’une société plus égalitaire, plus respectueuse et plus responsable : nouveaux comportements des consommateurs, volonté d’engagement des étudiants, entreprises soucieuses de leur image, inflation des matières premières et une population mondiale connectée en quête d’équilibre personnelle. Ainsi, l’Union Européenne et la France particulièrement réagissent par la réflexion et l’application de démarches et de réglementations plus ou moins incitatives, voire coercitives (aide au covoiturage, subvention de l’éco-conception, formation professionnelle, valorisation des déchets, …) pour une mutation nécessaire d’une économie de marché vers une économie responsable. Mais l’entreprise, si elle accuse à elle seule une grande responsabilité dans la pollution et une protection sociale pas toujours égalitaire, l’école et l’université ont elles aussi un rôle primordial dans la formation des générations futures plus citoyennes, plus responsables …
Passer de l’économie linéaire à l’économie circulaire
Si le modèle économique linéaire est dépassé, c’est surtout à cause de la surconsommation des ressources (+65% en 30 ans, 150 tonnes en 2050, source UNEP ONU 2018), gaspillage alimentaire (les populations du nord jettent 1/3 de la production alimentaire mondiale), inégalités sociales (20% de la population mondiale s’accaparent 80% des richesses). Conscient de ces désordres, l’UE et les états membres répondent par l’instauration de normes, de taxes et de subventions : bonus pour les voitures électriques, normes ISO 26000, éco-taxes pour les polleurs-payeurs, obligation de donner ou transformer les invendus alimentaire (loi 138 de février 2016, dite loi Royal). La loi de Transition Ecologique est signée à Paris en 2015. Elle a pour objectif d’encourager la croissance verte ; c’est ainsi que les industriels sont sommés de transformer leurs unités de production pour bannir le plastique dès 2022. Ce modèle économique est aussi dangereux, étant il consciente des coûts sur la croissance bien sûr, mais également sur la santé des citoyens, la France comprend l’urgence de la situation. La pollution impacte les dépenses de santé de103 Mds d’euro chaque année. Ce mercredi 2 août, l’humanité a déjà consommé la totalité des ressources que la terre peut renouveler en un an. Le Parlement Européen adopte en avril 2018 le «Paquet Economie Circulaire» qui a pour objet premier la valorisation des déchets en subventionnant notamment les entreprises engagées dans l’éco-conception («que faire de ses déchets dans la ligne de production ?»). Le modèle économique circulaire est une formidable opportunité de repenser le profil des entreprises et de ses ressources humaines pour en faire un modèle de performance plus respectueux de l’environnement et de l’individu. De récentes études françaises chiffrent à 380 Mds les économies sur les matières premières, un gain de productivité de 23 Mds et 300 000 emplois liés à l’économie circulaire. Ce nouveau modèle économique engage la responsabilité de tous les acteurs de la société : entreprise, pouvoir public et éducation. Car pour réussir cette transition, il ne faut pas oublier un maillon essentiel : celui de l’Education et de la Formation. En responsabilisant les élèves et les étudiants, les écoles permettent aux entreprises de recruter des individus citoyens, sensibilisés à la gestion des ressources, des individus reconnus dans la société pour leur performance et valorisés par des conditions sociales motivantes. En 2016, l’Education Nationale française signe une circulaire exigeant la formation d’un million d’élèves à l’économie circulaire («Comprendre les enjeux du développement durable – de la maternelle à la Terminale – pour agir en citoyen responsable de ses actes dans une vision d’avenir). Des partenaires publics et privés encouragent le label «E3D – École/Établissement en démarche de développement durable » par le rapprochement école/entreprise. La responsabilité sociétale des entreprises et de l’éducation n’est pas incompatible avec les bénéfices et la performance économique.
Quelles opportunités pour l’Algérie ?
L’Algérie et les pays en développement en général ont ici la formidable opportunité de s’accaparer les mêmes prérogatives que les firmes et grandes écoles occidentales, tout en s’octroyant le droit de ne pas répéter les mêmes erreurs. Elle doit ainsi profiter des expériences et études en cours pour ne pas mimer les décisions désastreuses. Ainsi, l’Algérie ne doit pas exploiter les gaz de schiste, dont l’exploitation n’est que néfaste pour l’environnement, les populations et la recherche scientifique qui accuserait ainsi un énorme retard par des financements qu’elle engloutirait en vain… et que seul D. Trump, Président des USA, défend, au grand dam des scientifiques du monde entier…
Pour se développer, les économies de marché ont besoin, certes d’infrastructures et de services publics facilitatrices, mais l’entreprise a besoin avant tout d’équipes motivées, rétribuées à leur juste valeur et formées. La performance des entreprises passe par la performance des managers à les impliquer et les valoriser. Il faut un rapprochement des Ministères : agriculture, industrie et éducation pour produire des programmes au plus proche des réalités environnementale et managériale. La responsabilité sociétale de l’entreprise et de l’éducation impose de modifier le paradigme de réflexion vers davantage de justice sociale, de bannissement de toute forme de discrimination (femme, handicap, ethnie,…). Il n’est pas vain de considérer les frustrations des individus (consommation, formation), leurs besoins socio-culturels (loisirs, sécurité) et leur désir de justice (égalité et parité homme/femme, salaire décent, protection sociale). Et dans ces domaines, les politiques ont une mission davantage coercitive qu’incitative. L’économie circulaire et la responsabilisation de tous les acteurs de la société est la promesse d’un modèle vertueux de la croissance responsable et égalitaire que l’Algérie doit s’approprier pour être au moins égale aux économies occidentales.
Salima N.

