Bien que lent et timide, le parcours de la littérature amazighe fait son bonhomme de chemin, sur un parcours parsemé d’embûches. D’une part, l’edition reste un écueil insurmontable, et la seule formule possible reste l’édition à compte d’auteur qui n’est pas toujours envisageable par la totalité des auteurs. D’autre part, le lectorat amazighe, en latin particulièrement ne s’est pas vraiment manifesté pour consommer ce qui sort sur les étals des libraires. Et la situation du statu-quo persiste au grand dam de ceux qui veillent des nuits entières à mettre tant bien que mal leurs peines, leurs déceptions et leurs joies sur papierAinsi voient le jour des livres dans la langue de Muhend U Yahia, soient-ils romans, recueils de nouvelles, recueils de poésie, essais et théâtre, pour garnir l’actualité littéraire nationale et universelle.Id Yukin (les nuits volubiles) est de ces recueils de poésies non négligeables qui vient d’enrichir la littérature amazighe. Par son titre déjà évocateur, Ahcène Mariche lance un pavé dans la rare, et provoque le verbe par lequel il dépeint un quotidien morose et met à nu les souffrances d’un cœur brisé.Id Yukin, plus qu’aucun autre recueil de poésie, fait de l’amour, un thème prioritaire sans ambages, ni retenue aucune. Trente deux textes écrits intégralement à la première personne du singulier. Subjectif diraient certains, mais le “moi” n’a jamais été vu d’un œil négatif en littérature. En d’autres termes, nul ne peut être préoccupé par les soucis d’autrui que soi-même, et rien ne peut être bien maîtrisé et connu que par soi-même.Les textes kabyles sont traduits en français par O. Idir, comme il est indiqué sur la couverture. Une mesure, sans doute, en vue de toucher un lectorat plus large. La traduction n’est jamais interdite en littérature, à condition qu’elle soit fidèle au texte orignal, et aux sentiments de l’auteur. Dans ce recueil édité à compte d’auteur, le personnage central de la majorité des textes est le cœur de l’auteur. Un cœur meurtri par-ci, un cœur en ébullition par-là, un cœur tel une paire de bœufs ; mon cœur n’est qu’un organe banal, et que sais-je encore. En somme, c’est un cœur surchargé et empreint de jérémiades et lamentations.“Les nuits volubiles” est un recueil écrit à la forme négative et interrogative.En effet beaucoup d’interrogations et beaucoup de négations, à donner le tournis à l’affirmative, jugez-en : Est en paix celui qui n’a rien su et n’a rien vu/Est en paix celui qui n’a point de mérite/ Anta Kem ?/ D acu kem ?/ Anda kem ? I ni-d-ma themmled-iyi (dis moi si tu m’aimes) etc… Côté structure, Ahcene a utilisé le sizain tout le long de son recueil, à l’exception de “Amedyaz” (le sommeil du poète) qui est un huitain (un poème à huit vers dans chaque strophe. Le sizain, pour rappel, est une structure très répandue dans la poèsie kabyle, avec le quatrain et le tercet, qui compose à son tour le neuvain. Quant à la rime, l’auteur a employé la rime la plus usitée en poésie kabyle, en l’occurrence la rime croisée.Hormis l’amour, le poète a abordé certains autres thèmes, à l’instar du social, comme dans “Tihifa” (Mes tracas). Là, Ahcène ne se limite pas aux complaintes, mais illustre ses propos par une sagesse inspirée de celle du terroir : “Win ur nerri ddwa i tit-is/ur s t-id-ittg u emmi-s/ win ur nezri abernus-is/ Ammas yedd-deg cuad-is (celui qui n’écarte la poussière sur sa pupille/ qu’il attende son proche lui souffler sur les cils/Celui qui ne se débarrasse pas de la crasse accrochée à ses pans/s’en ira la saleté enlisée dans son vêtement).La condition de la femme est mise en exergue par l’auteur également dans “Tamettut” (la femme) un autre thème est abordé dans la quatrième ouverture. Il s’agit de “la vérité”, un concept ayant fait couler beaucoup d’encre dans la littérature universelle. En conclusion, Ahcène mariche vient de marquer de son empreinte la poèsie kabyle, à travers ce recueil de 116 pages.
Salem Amrane
