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“J’écris pour extérioriser”

La Dépêche De Kabylie : Votre premier roman a été édité en France, est-ce un choix de se faire publier dans un pays étranger ? Djamel Benaouf : Ce n’était pas un choix. J’étais contraint de le publier ailleurs, parce que chez nous toutes les portes étaient et sont malheureusement toujours fermées. J’aurais souhaité qu’il soit publié, en premier lieu, en Algérie, pour deux raisons : la première, c’est que les lecteurs se trouvent ici. La deuxième, c’est que l’histoire du roman porte sur les enfants de notre pays, le message était adressé à ces derniers. Ceci dit, il vaut mieux qu’il soit édité ailleurs que de ne pas être du tout publié. Pour ce qui est des Editions l’Harmattan, c’est mon ami Kamal Nait-Zerrad, qui m’a aidé à rentrer en contact avec cette maison. Vous avez aussi publié un recueil de poésies chez le même éditeur, parlez-nous de ce livre… C’est un recueil de poèmes qui porte le titre Tujjma tuzzma Nostalgie et Remontrances. Il a été édité en septembre 2005 aux éditions l’Harmattan. Il est préfacé par Yidir Ahmed-Zayed. Ce recueil contient 30 poèmes écrits en kabyle et traduits respectivement par M. Rabeh Boucheneb (29 poèmes) et Hbib Hakim.Les poèmes publiés dans ce recueil diffèrent les uns des autres du point de vue de la forme et du point de vue du fond. Concernant les thèmes, on peut les répartir en deux : la première partie est consacrée à la poésie engagée et tout ce qui est relatif à la dénonciation de l’injustice où qu’elle soit. La seconde partie est réservée à l’amour et à tout ce qui est sentimental… En deux mots, il y a tujjma et il y a tuzzma, ce qu’on aime et ce qu’on dénonce. Vous écrivez des pièces de théâtre, l’une d’elle a été primée au festival de Tizi Ouzou, de quoi parle-t-elle ?J’ai écrit jusqu’à présent 4 pièces théâtrales. Trois d’entre elles ont été déjà jouées par la «Tigawt d wawal/Action et parole» de l’association Numidya. La troupe a participé à plusieurs festivals avec deux de ses produits :La première qui s’intitule Di tmurt uâekki (Au pays des moqueries) a permis à la troupe de recevoir deux prix : le prix de la meilleur scénographie et le prix du meilleur texte.La deuxième, Aneggaru a d-yerr tawwurt, yeccur wesqif n ttmana (Le dernier tire la porte…) a permis également à la troupe de recevoir deux prix : le prix du jury et le prix du meilleur spectacle. En plus, une des comédiennes de la troupe, en l’occurrence Kahina Cherouane, a reçu le prix de la meilleure comédienne. Donc, 5 prix pour 2 pièces. L’avenir est prometteur pour la troupe. De quoi parle votre dernière pièce théâtrale ? Son thème est le suivant : Il s’agit d’un retour des morts. Ces derniers quittent leurs tombes dans l’espoir de libérer leurs âmes. C’est un hommage aux artistes, en particulier Mohya. C’est le genre d’ «El Helka» développé par Alloula. Vous écrivez dans tous les genres, puisque vous êtes aussi auteur d’un recueil de nouvelles, pourquoi cette polyvalence ? Ce n’était pas un choix. Je me suis retrouvé en train d’écrire dans différents genres par contrainte. C’est un petit peu l’histoire du Médecin malgré lui de Molière. Chez nous, il est difficile de se spécialiser. Il a fallu attendre jusqu’en 1989, pour tourner la page de la clandestinité. En 1978, j’ai commencé par la poésie juste pour moi, pour extérioriser. Quand on s’est lancé dans l’organisation des galas et de différentes rencontres à partir de 1983/1984, on s’est retrouvé contraint de déclamer des poèmes, histoire de sensibiliser les gens. Un jour, nous avons invité un poète, il a contribué à l’animation d’une fête, mais, on ne l’a plus revu depuis. Quand on lui a demandé pourquoi il s’est retiré, il nous a expliqué qu’il était poursuivi depuis par des agents. C’est ce qui m’a poussé à écrire de la poésie et à la déclamer à l’occasion des fêtes. Un des poèmes que j’avais écrits a été chanté par un groupe qui s’appelait «Tilelli» en 1985. Les membres de ce groupe se sont séparés quelques années après. Un des membres actifs de ce groupe, en l’occurrence Hakim Ait Ali Yahia est décédé avec sa femme, il y a une année de cela, dans un accident à l’hôtel Opéra à Paris. Mes poèmes, je les écris dans les moments difficiles. Au sujet du roman Timlilit n tghermiwin (La ville rencontre), c’est autre chose. Dans les années 90, il n’y avait pas assez de romans écrits et /ou publiés en tamazight. Et là, je me suis dis tiens, il faut penser à écrire un roman moderne, qui pourrait peut-être, servir aux futures générations. J’ai commencé à l’écrire le 12/01/2000 et je l’ai terminé le 17/10/2000. Quant au théâtre, le mérite revient à Abdellah Hamane, parce qu’il en est le précurseur. Ce dernier a écrit ses premières pièces dans les années 50. Sauf que ces pièces sont écrites dans un style classique. Moi, j’ai choisi une autre façon, disant un style moderne plus pertinent. On n’est pas censé rester ces orphelins qui attendent toujours les autres, pour la simple raison, que nous avons également notre mot à dire, donc, je me suis lancé dans une autre aventure. De 2003 à nos jours, j’ai écrit plusieurs pièces. Le recueil de nouvelles n’est pas encore prêt.

Que représente pour vous l’écriture dans votre langue maternelle, est-ce une délivrance ?Dans les années 88 et 89, rares étaient les personnes qui écrivaient dans cette langue. C’est une réalité amère. On s’est lancé dans l’enseignement de tamazight sous la direction de Kamal Nait-Zerrad. En 1989, on était cinq à suivre les cours. En 1990, personne n’était capable de corriger un texte écrit en tamazight. En 1991, quand Kamal Nait Zerrad est parti en France, personne ne s’est présenté pour assurer ce cours. J’étais contraint de l’assurer. Un de mes étudiants est allé même enseigner d’une manière officielle, dans un lycée, quelques années après. D’autres, ont assuré des cours au sein de l’université. Tout cela pour vous dire que l’écriture est une priorité chez nous, voire un devoir pour tous ceux qui sont conscients des dangers qui guettent les cultures orales.

Comment un écrivain de langue kabyle mène-t-il sa vie dans une région arabophone ?Mon grand père est arrivé à Oran en 1939. Il maîtrisait parfaitement l’arabe, le français et l’espagnol, mais, c’était quelqu’un qui tenait à sauvegarder taqbaylit. Mon père est arrivé en 1962. Ce dernier maîtrisait également l’arabe, le français et quelques mots en anglais, et il a gardé, lui aussi, toujours le kabyle. Malheureusement, mes frères, qui font partie de la nouvelle génération ont délaissé un petit peu cette tradition, ils ont oublié la langue de leurs aïeux. Moi, j’ai refusé d’être une victime de l’arabisation, j’ai beaucoup pensé aux futures générations… A Oran, beaucoup de Kabyles n’arriveront jamais à oublier ces moments difficiles des années 60 et 70 où parler en kabyle était presque interdit. Parler kabyle dans la rue n’était pas vraiment très toléré. Heureusement que les choses ont beaucoup changé ces dernières années. Nous sommes très heureux d’avoir un cadre comme l’association Numidya.

Entretien réalisé par Aomar Mohellebi

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