La route de la colère

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Cette action de désespoir, entamée dès 7h du matin, a causé des bouchons de plus de cinq kilomètres sur les deux voies de la RN12, jusqu’à l’intervention de l’escadron de la Gendarmerie nationale déployé de Reghaïa qui ont levé les barricades aux environs de 11h, sans toutefois recourir à aucune forme de répression. Sur place, les contestataires ne cachaient pas leur courroux contre le maire de Bordj Menaïel, qui «n’a rien fait au profit de leur village», en dépit des audiences et lettres de réclamations formulées par le comité de village de Aïn Skhouna. «Nous manquons de route, de l’eau, de l’assainissement, de l’électrification et de toutes les commodités nécessaires et les enfants scolarisé ne peuvent même pas rejoindre leurs écoles en saison hivernale», nous a dit Chendri Mohamed, ce citoyen, chômeur de son état, que nous avons rencontré dans le feu de l’action, et qui nous a énuméré, non sans amertume, les affres quotidiens que subissent les villageois des hameaux perchés sur les hauteurs de Bordj Menaïel.Ce villageois, la trentaine, entouré de plusieurs jeunes venus, comme lui, porter leur protestation dans la rue, estime que les pouvoirs locaux ont trop lésé son village, composé de pas moins de six petits hameaux. «Notre situation dure depuis plus de 17 ans. Tous ceux qui se sont succédé à la mairie nous ont promis de régler nos problèmes, au jour d’aujourd’hui, personne ne veut nous entendre, alors nous avons décidé de porter notre ras-le-bol ici sur cette route pour faire entendre notre mal-vivre», enchaîna-t il avant de se laisser emporter par les larmes. Son compagnon prend ainsi le relais pour nous raconter que «lors du décès de l’oncle de Mohamed, en hiver dernier, les gens ont hésité de prendre la dépouille vers le cimetière en raison de la piste qui est devenue impraticable, même à pied en saison de pluie». Pis, notre deuxième interlocuteur nous dira qu’il y a moins de deux semaines de cela, une femme a été contrainte d’accoucher chez elle faute de moyen de transport. Deux cas synonymes d’abandon ayant exacerbé l’ire des citoyens de Aïn Skhouna, distant de 8 km du chef-lieu de la commune de Bordj Menaïel. Selon les dires de ces contestataires, l’actuel maire, qui a mené sa compagne dans l’ensemble des hameaux de ce village, continue de leur afficher dédain et mépris. Le cas de la femme qui a accouché dans des circonstances hautement risquées a été le détonateur de l’action d’hier. «Ce jour-là, nous avons constitué un groupe de 20 villageois, parmi lesquels des vieux sages, afin de rencontrer le maire et le relancer sur nos problèmes quotidiens, notamment sur l’urgence de bitumer la route qui devient quasiment impraticable en hiver. Une fois dans le bureau du président de l’APC, celui-ci n’a pas trouvé mieux que de nous défier en ces termes : celui qui n’est pas content n’a qu’à sortir avec moi dehors et me démontrer de quoi il est capable». Une attitude unique dans les annales des élus locaux, qui invite, par la menace, les électeurs à une partie de pugilat (!) Pire, ajoutent nos interlocuteurs, le maire d’obédience FLN leur a répliqué, en fin de l’audience, «vous, vous êtes habitués à monter des ânes, vous resterez des ânes». D’autres points de revendications sont venus se greffer à cette histoire de route dégradée et impraticable. Ainsi, les protestataires nous informent, également, que l’alimentation en eau potable reste un autre problème que «seul, peut-être le départ de l’actuel maire, M. Amara, est à même d’atténuer la soif des villageois». Et de poursuivre que les canalisations ont été réalisées en 1990. Le ramassage scolaire demeure non assuré pour les centaines de collégiens et lycées scolarisés à Bordj Menaïel : «Nos enfants sont contraints d’emprunter 8 km à pied, matin et soir, pour regagner leurs écoles», ajoute-t-on encore. 12 milliards de budget annuelAu moment où nous envisagions de gagner le chef-lieu communal, laissant derrière nous ces centaines de jeunes auxquels sont mêlés des adultes d’un certain âge, assiégés par les forces d’intervention de la Gendarmerie nationale, deux des protestataires insistent pour que nous nous rendions d’abord vers ce village, rongé par mille et un maux. Chose que nous avions faite en leur compagnie. Sur place, le constat est plus que frappant : si les routes et chemins de la ville de Bordj Menaïel paraissent dans un état rénové, la périphérie offre à première vue déjà, des contrastes qui parlent d’eux-mêmes. En effet, à peine quittions-nous le chef-lieu qu’il nous a été impossible de continuer vers les hameaux à cause de la route qui paraît, à mesure que nous avancions, dégradée et impraticable. La voiture qui nous y a emmenés avance difficilement, au point où le chauffeur n’a pas osé avancer encore plus sur cette route aux allures d’une piste agricole, de crainte de crever ses roues. Au siège de l’APC, c’est le couvre-feu. La grande bâtisse faisant office de siège de mairie est située dans un endroit hermétiquement fermé et hautement sécurisé. En plus de l’implantation du siège de la Sûreté de daïra dont elle est séparée par une petite venelle en cul-de-sac. Sur place, nous serons reçus avec méfiance. «Le maire est absent aujourd’hui, revenez lundi, jour de réception», nous a rétorqué le planton de la mairie. Nous demandons alors à voir l’un de ses adjoints. La réponse était la même avant qu’une personne, présente dans le hall de réception, scrutant l’extérieur via la fenêtre, ne nous interpelle et décline son identité. «Je suis l’adjoint du maire, que cherchez-vous ?». Nous déclinons alors notre identité, sur quoi, l’adjoint chargé de l’urbanisme, M. Boumezar, nous informa que «la mairie a demandé, à maintes reprises, l’inscription du projet de bitumage de la route menant vers Aïn Skhouna, dans le cadre des plans communaux de développement sans succès». En réponse à notre deuxième question, l’élu nous informa que le budget annuel alloué à la commune de Bordj Menaiel est de 12 milliards de centimes. «Qui bloque alors ?», Avons-nous rétorqué. «La wilaya….». Soudainement, M. Boumezar a eu comme un sentiment de regret de s’être exprimé devant les journalistes avant de nous demander d’attendre le maire «pour plus d’éclairages». L’attente du maire dure plus longtemps que prévu, dès lors, nous décidions de regagner Tizi Ouzou non sans interroger quelques citoyens que nous avons accostés et qui nous ont informé que les sinistrés du tremblement de terre du 21 mai 2003 demeurent, à ce jour, dans l’attente des indemnités versées par la wilaya. «Le maire, qui a accompli, l’an dernier, son pèlerinage à la Mecque, reste sourd aux doléances de ces sinistrés».

M.A.T

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