Les stigmates du terrorisme sont toujours là !

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Les villages de Boumerdès peinent à se repeupler, quinze ans après le départ massif de leurs habitants.

Nasser, un jeune de 34 ans originaire d’Iouariachen à l’extrême est de la commune de Naciria (Laaziv), nous dira que son village a connu un exode massif de sa population durant les années 90, un exode qui n’a même pas été enregistré durant l’époque coloniale. «L’école primaire du village risque de fermer ses portes en raison du manque d’élèves. Je me rappelle, durant le début des années 2000, un seul élève d’Aït Slimane poursuivait ses études dans cette école», dira encore notre interlocuteur dont la famille a quitté le village au milieu des années de braise. Le terrorisme intégriste, la terreur et les attentats à la bombe dans cette région très boisée de Sidi Ali Bounab, où régnaient les différentes sériates et katibates de l’organisation terroriste de l’ex-GSPC conduite par le sanguinaire Abdelmalek Droudkel alias Abou Moussab Abdelouadoud, sont les causes principales de la fuite des habitants de leurs terres et maisons. K’absence de moyens et commodités de vie avaient aussi pesé lourd sur le quotidien de villageois. Le tronçon de CW107 a été fermé durant plusieurs années avant d’être rouvert, en 2005. Les villages Aït Sidi Ali, Afir Azazna, et bien d’autres de la commune de Timezrit ont connu le même sort. Aït Aliane, le village natal d’Amar Amsah, ex-militant de la cause nationale, s’est totalement vidé de sa population. «Les bombardements de l’armée coloniale qui vengeaient l’assassinat d’un capitaine par Amar Amsah à Baghlia n’avaient pas réussi à vider notre village. Mais le terrorisme islamiste a pu, en un laps de temps relativement court», raconte, Rabah, la soixantaine, rencontré lors d’une fête commémorative organisée par l’association Tamusni en hommage à Amar Kadi dit Amar Amsah. L’année écoulée, des natifs de ce village ont exprimé leur volonté de retourner dans leurs terres. Ils ont d’ailleurs signé une pétition et écrit une demande au P/APC pour ouvrir la route menant au village dans l’espoir de le repeupler. Au village Henni dans les hauteurs d’Ammal au sud-est de Boumerdès, tous les habitants ont fui le terrorisme. C’est le deuxième grand exode de l’histoire de la région après celui des années 50. «En signe de représailles à l’embuscade de Palestro du 18 mai 1956, l’armée coloniale a bombardé tous les villages de Djerrah et Ammal poussant ainsi les villageois à quitter leurs maisons», raconte Ami Rabah, un septuagénaire de Henni. Durant cette embuscade, les maquisards conduits par le lieutenant Ali Khodja ont anéanti une section de l’infanterie de l’armé coloniale composée de 21 soldats. L’opération a provoqué l’instabilité du gouvernement Guy Mollet qui a rappelé près de 200 000 soldats pour réprimer la révolution. Ce n’est qu’après l’indépendance que le retour des villageois se fit sentir notamment du côté de Thizza puis, peu de temps après, Henni et les autres villages. Le deuxième exode fut celui des années 90 fuyant le terrorisme. Ami Rabah, est d’ailleurs, le seul à rester dans le village tandis que ses enfants ont choisi une autre vie à Boudouaou. Le dernier habitant de Henni a défié la terreur et la peur en cultivant la terre de ses ancêtres. L’éloignement du village du chef-lieu communal et l’absence d’une route le desservant a contraint les derniers habitants à le fuir. Les quelques villageois qui viennent d’Alger ou de Boumerdès garent leurs voitures sur les accotements de la RN 05 et continuent de marcher près de cinq kilomètres pour rallier leurs terres durant les week-ends. Une association est née, ces dernières années, pour tenter de repeupler ce village aux paysages féeriques et à couper le souffle. «Il n’y a pas que la terreur qui éloigne les villageois. Il y a aussi, l’exploitation effrénée des carrières d’agrégats qui polluent l’environnement et qui ont provoqué d’importantes fissures aux habitations par l’utilisation de dynamite», nous dira un militant associatif. Les villages des hauteurs de Thénia sont presque tous vidés durant les années de braise et à cause de l’exploitation des carrières d’agrégats qui défient toutes les normes. Dans un passé récent, les villageois se sont organisés pour redonner une deuxième vie aux villages, mais en vain. Que ce soit à Ouled Ali Ouled Ben Salah, le problème du retour des villageois se pose avec acuité lorsqu’on sait que les commodités de base continuent de faire défaut. Même les axes routiers sont fermés. Ce n’est que récemment, qu’un projet de revêtement de la route reliant la région à Zemmouri en passant par Bendou, est réalisé. «La présence des militaires dans la région est rassurante pour nous. Ils assurent notre sécurité», nous dira Kouider, un ex-habitant d’Ouled Ali qui planifie de retourner dans la terre de ses ancêtres. Toujours dans ce village, l’école primaire Hadouche Said peine à se remplir d’élèves. «On a enregistré dix nouveaux élèves en cinq ans», nous dira, Mouloud Bessa, un enseignant et ordonnateur de cet établissement avant d’ajouter qu’en 2013, le nombre total des élèves était de 13. Ce chiffre a augmenté pour atteindre 22 actuellement en raison du retour de quelques villageois ces dernières années.

Les PPDRI comme moyen pour le repeuplement

Les autorités du pays ont lancé depuis une quinzaine d’années le projet du Plan de Proximité pour le Développement Rural Intégré (PPDRI), qui vise à maintenir les villageois dans leurs terres en les encourageant à développer une activité rurale ou d’élevage animalier. Quinze ans plus tard, les villages sont restés toujours vides et les projets inscrits n’ont pas eu l’effet escompté. Certains segments du plan notamment celui inhérent aux ouvertures de pistes a connu une réussite mais pour d’autres comme l’élevage, peu de gens ont démontré leurs efficacités. Une grande partie des projets inscrits, par exemple, au profit des villages de Chabet El Ameur notamment Ait Ibrahim, Ait Said et Azzouza ne sont pas réalisés depuis 2010 à ce jour. A Ait Slimane ou à Ait Said, les villageois se sont inscrits pour bénéficier d’aides PPDRI notamment d’élevage bovin, ovin, caprin ou apicole, mais ils n’ont rien vu venir. «On nous a promis ces aides qui viseront à améliorer nos conditions de vie. Mais rien n’est vrai», dénonce un villageois qui ne croit plus à ces aides qui, selon lui, ne changeront rien dans des régions qui manquent de tout. Ni route, ni dispensaire, ni école, ni eau potable à longueur d’année. Le programme des PPDRI a connu son apogée en 2009, mais après, c’est l’échec recommencé. Durant cette année, il a été enregistré le lancement d’une quarantaine de programmes dans 18 communes qui ont abouti à former 120 porteurs de projets d’élevage de bovins, caprins, brebis et apicole. Les PPDRI constituent-t-ils vraiment une solution pérenne pour contrer le phénomène de l’exode? Sur le terrain, les projets lancés n’ont pas eu l’impact escompté, d’autant plus que les populations rurales manquent de tout. Ces programmes ne sont qu’un complément pour les projets lancés dans les PCD et PSD, nous dira un agent forestier. La quasi-totalité des communes rurales de la région vivotent grâce aux subventions de l’Etat jugées insuffisantes pour répondre aux aspirations des populations. Donc, les PPDRI ne vont pas suivre.

L’habitat rural en souffrance et pression sur le logement social

Parmi les mesures pouvant stopper l’exode et le départ de villageois, l’aide à l’auto-construction rurale (Fonal) était la meilleure option avant qu’elle se heurte à la crise économique qu’a subie le pays en 2014 suite à la chute du prix de l’or noir dans les marchés mondiaux. Depuis le lancement du programme, Boumerdès a bénéficié de plus de 10 000 aides, réparties à travers les communes rurales et semi-rurales. Au départ, le programme marchait bien, mais peu de temps après, notamment depuis 2007, plusieurs entraves empêchent le souscripteur de réaliser sa construction. Parmi ces entraves on peut citer les lenteurs administratives lors de l’établissement des certificats de possession de terrain qui, au fil du temps, ont été annulées et remplacées par d’autres documents compliqués et coûteux où le souscripteur devra payer plus notamment au notaire pour se faire délivrer un quelconque document. Des lenteurs sur le terrain suite à la cherté des matériaux de construction étant donné que le souscripteur doit entamer les premiers terrassements et travaux par ses propres moyens avant de recevoir l’aide. Actuellement, les procédures de l’octroi de l’aide sont allégées. Une fois le dossier accepté par les services concernés, le souscripteur recevra une tranche de 420 000 DA avant même l’entame des travaux. Bien qu’il soit bien accueilli par les souscripteurs, certains ont profité pour détourner cet argent pour réaliser de projets personnels. La demande enfle mais l’offre est très faible. Pour exemple, dans la commune de Chabet El Ameur, près de 1000 dossiers sont déposés à l’APC alors que l’offre ne dépasse pas les 150 aides. L’APC vient de recevoir un programme de 150 aides concernant les dossiers déposés en 2013. Ces lenteurs ont contraint plusieurs souscripteurs à annuler les aides et déposer des dossiers pour bénéficier de logement social. Ce qui a créé une pression sur cette formule où l’Etat s’est retrouvé face à un dilemme difficile à résoudre. Pour construire de nouveau programme de logements, il faut des terrains, mais le foncier se faire rare ces derniers temps, ce qui a poussé les autorités à chercher ailleurs, notamment dans le foncier agricole. Des milliers d’hectares de terres agricoles ont été transférés au béton au détriment de l’agriculture. L’exemple édifiant est la réalisation d’un pôle urbain à Si Mustapha qui a accueilli près de 1000 familles.

Youcef Z.

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