Le directeur des structures de santé de proximité au ministère de la Santé, M. Benachenhou, et le Pr Chafi du CHU d’Oran étaient les hôtes de la wilaya de Bouira, hier.
Ils prenaient part à une journée de formation et d’évaluation du réseau mis en place pour l’organisation de la prise en charge de la femme gestante. Plusieurs praticiens publics et privés, le corps paramédical et les administrations des différents EPH et EPSP de Bouira ont suivi, avec beaucoup d’attention, les explications des experts dépêchés par le ministère de la Santé, au niveau de la bibliothèque principale de lecture publique.
La DSP de Bouira, Mme Ghalem qui est intervenue pour souhaiter la bienvenue aux présents, a réaffirmé sa volonté de mettre en œuvre le dispositif du ministère de la Santé pour une prise en charge efficiente et efficace de la femme gestante. Il a été mis en exergue que beaucoup d’efforts ont été consentis en matière de structures et de personnel, mais des couacs subsistent et des mécanismes sont à mettre en place avec une meilleure organisation.
Meilleure organisation pour une meilleure prise en charge
Pour M. Benachenhou, il s’agit là de l’un des premiers chantiers du ministre actuel, «la priorité est de mettre en place une organisation pour prendre en charge la femme gestante et réduire la mortalité maternelle et infantile». C’est ainsi qu’un groupe d’experts a été désigné pour mettre un terme à la mortalité élevée enregistrée et surtout de l’éviter. Ce sont ces experts, des gynécologues, qui ont travaillé et élaboré un guide. Ils ont établi un diagnostic pour relever l’insuffisance de certains spécialistes, comme les gynécologues.
Toutefois, selon l’orateur, «le gros du problème se situe au niveau de la normalisation et de l’organisation». Donc, ces experts ont élaboré un réseau où ils préconisent une nouvelle approche pour mettre en place cette organisation, en l’organisant par paliers. «En tout, ce sont quatre paliers qui ont été définis avec le premier palier à renforcer. Il s’agit d’un espace réservé uniquement à la consultation, c’est-à-dire le centre de PMI, le cabinet médical où un travail extraordinaire se fait à ce niveau. Si la femme est suivie correctement avec un diagnostic fait, nous pouvons anticiper sur d’éventuelles complications. Le deuxième palier est un endroit où l’accouchement peut être réalisé sans pratiquer une césarienne. Un accouchement qui peut avoir lieu dans une maternité intégrée à une polyclinique. Le troisième palier est là où il peut y avoir des césariennes, comme un hôpital disposant d’un service gynécologie obstétrique. Le quatrième palier est un service de haut niveau. Même pour Bouira qui ne dispose pas de spécialités, à un moment donné devant un cas bien précis qui nécessite des soins de très haut niveau, peut être envoyé soit à Alger ou Tizi-Ouzou dans une structure de très haut niveau. Donc, c’est ainsi que les experts ont proposé quatre niveaux qui ont été normalisés en identifiant les structures dont on doit les doter. Quels équipements et quel personnel leur faut-il ? Autant de questions pour lesquels les experts se sont penchés afin de définir les activités et les besoins spécifiques de chaque structure», expliquera M. Benachenhou. Les experts ont ensuite proposé une organisation entre les paliers pour que lorsqu’une parturiente se présente, il faut se préparer à l’accouchement le jour J, en mettant en place les moyens hospitaliers nécessaires et il s’agit là d’une étape primordiale.
Le rôle de la PMI renforcé
«La femme qui attend un enfant ne connait pas forcément le degré de risque qu’elle est encline à présenter. De ce fait, avec la mise en place de son dossier médical et son identification, elle pourra avoir une idée de son évacuation vers la structure sanitaire adéquate où les professionnels de la santé seront disponibles et aptes à la faire accoucher dans de bonnes conditions. Le transfert ou l’évacuation pourra se faire dans de bonnes conditions bien définies au préalable. Ces experts ont, d’ailleurs, établi une fiche de transfert ou d’évacuation sur lesquelles toutes les informations (civilité et gynécologique) de la parturiente seront clairement mentionnées. L’équipe sur place saura immédiatement comment la prendre en charge correctement», indique M. Benachenhou.
C’est dans cette optique que ce guide a été élaboré et transmis à l’ensemble des DSP du pays que le ministre avait rassemblé en début de l’année. Un guide à mettre en place au niveau de toutes les wilayas. «C’est un processus long mais pour lequel la tutelle a mis les bouchées doubles pour l’appliquer rapidement avec les tâches à répartir et mettre en place les différents mécanismes inhérents à son application. Depuis le mois d’avril dernier, nous avons commencé à faire l’évaluation au niveau national en effectuant des sorties à travers les quatre coins du pays d’Est en Ouest et du Nord au Sud. Nous avons proposé des formations aux personnes en charge d’appliquer ce guide en leur apportant des précisions avec nos experts. Beaucoup ont cru qu’après la saison estivale, moment de l’année où l’on enregistre le plus de naissances, les formations allaient s’arrêter mais c’est faux. Il s’agit d’un processus permanent et nous sommes toujours à pied d’œuvre sur le réseau de prise en charge avec aujourd’hui un regroupement régional à Bouira avec la présence des wilayas de Tipaza, Tizi-Ouzou, Boumerdès et Alger. C’est une journée de formation et d’évaluation et chaque wilaya présentera son réseau pour savoir comment s’est faite l’organisation dans les régions du centre en présence de l’expert, le professeur Chafi, qui apportera les corrections nécessaires pour chaque réseau des wilayas concernées. Une journée pédagogique pour renforcer les connaissances des personnes qui entre dans le cadre de l’évaluation permanente. Des recommandations seront établies et dans quelques mois, une autre rencontre d’évaluation sera organisée pour constater les progrès des réseaux des wilayas», détaille M. Benachenhou.
La sage-femme, l’élément clé
Le professeur Chafi saluera l’assistance en culpabilisant légèrement sur le fait d’avoir «délaissé» la région de Bouira qui souffre d’un manque criard en gynécologues : «Nous avons entamé notre travail dans des régions difficiles en termes de gestion de la femme gestante et on avait cru bien faire en laissant cette région de Bouira, car nous étions persuadés qu’étant donné que nous étions proches d’Alger, le problème ne se posait pas. Mais, en fait, avec les chiffres que nous avons reçus, nous nous rendons compte qu’il y a beaucoup de choses à faire. Lorsqu’on fait l’analyse globale de l’évaluation des chiffres, on a l’impression qu’on a quelques difficultés. Je viens d’apprendre qu’il n’y a pas de gynécologues à Bouira ! Un chef-lieu qui est considéré au minimum comme un P3, c’est-à-dire qui peut recevoir les femmes enceintes et je reconnais que si on peut revoir tout ça ce serait bien». Le professeur Chafi commencera par présenter le réseau en affichant sa satisfaction en voyant l’assemblée composée essentiellement de femmes issues du secteur médicale et paramédicale. «C’est vraiment une affaire de femme», plaisantera-t-il avant d’entamer son intervention. «Pratiquement sur tout le territoire, nous n’avons pas de niveau 3 car le service exige un service de réanimation néo-natal et nous ne les avons pas et même nos CHU seraient du niveau 2,5 et cette appellation ne marche pas», déplorera l’orateur. Avec les experts qui l’ont accompagné dans l’élaboration de ce guide, le professeur Chafi déclare que l’on doit beaucoup à la sage-femme : «Notre sage-femme a fait beaucoup dans la PMI. C’est elle qui a fait la vaccination, c’est elle qui a fait le suivi de la femme gestante, c’est elle le pilier, l’élément fondamentalement nécessaire au fonctionnement d’une PMI et en plus, elle assurait le bloc ainsi que toutes les autres tâches qu’elle devait assumer. Dans ce réseau, c’est ce niveau là qui est le plus important, vous allez me dire mais que s’est-il passé ? Les rapports humains ont peu à peu disparu et le résultat c’est que le suivi lui-même, la manière, l’accueil des patientes a changé. Le palier en l’appelant ainsi allait redonner vie à cette PMI et à la sage-femme pour qu’elle puisse reprendre la parturiente dans le sens d’une humanisation beaucoup plus importante», explique l’expert.
5 à 10 % des parturientes rencontrent des problèmes d’ordre psychiatrique
Le premier palier aborde également l’entretien précoce de la grossesse. Une notion fondamentale pour l’OMS. «C’est dans l’entretien que l’on comprend la femme. Il existe quelque chose comme 5 à 10 % des problèmes psychiatriques avec la grossesse et on ne le sait pas, car on ne sait pas faire le diagnostic. C’est-à-dire que si je prends une sage-femme qui fait 100 femmes dans une PMI, ce qui est faisable, elle doit retrouver au moins 2 à 5 femmes qui sont hospitalisables en milieu psychiatrique. Est-ce le cas ? Non, car l’entretien avec la femme est totalement écourté et très souvent transformé. La sage-femme est redevenue une femme mais pas un prestataire de santé. Si je vous parle de cancer du sein, toutes les femmes présentes ici vont penser à leurs seins. Si je dis cancer de la prostate, il y a un homme sur les 15 qui y pensera, les autres n’y penseront pas. La notion d’accueil est fondamentale et une femme ne vous dira jamais que ça ne va pas sur le plan conjugal s’il n’y a pas ce rapport extraordinaire avec la sage-femme et la patiente. Mais aujourd’hui, les femmes se confient beaucoup plus à un gynécologue homme qu’à une femme et c’est vraiment dommage que ce lien se soit effacé», déplore le professeur Chafi. En insistant toujours sur le volet de l’accueil au sein du premier palier, le professeur Chafi fera remarquer le désordre régnant jusque-là : «Pour des raisons que l’on ignore, les sages-femmes décident d’elles-mêmes des journées de vaccinations. Alors des fois, c’est le lundi après-midi, d’autres fois, c’est le jeudi matin. On décide ainsi dans son coin des journées qui arrangent les sages-femmes, mais qui n’arrangent pas les gens venus faire vacciner leurs enfants».
L’accueil doit être humain
«Lorsque la sage-femme reçoit la patiente, elle fait l’acte de vaccination et rien d’autre. En médecine, ce n’est pas ainsi. En médecine, on a compris que l’accueil humain est absolument fondamental, sans cet accueil ce n’est pas bon. Le premier palier est important dans l’histoire de ce réseau et on ne doit pas faire de comparaison ni de superposition avec les autres niveaux se trouvant dans ce guide. Avec son expertise et très professionnelle comparée aux sages-femmes d’ailleurs et d’après mon expérience acquise au sein des différents services dans lesquels j’ai eu à faire, dont un jumelé avec Los Angeles, la sage-femme faisait beaucoup de travail oui, même le diagnostic d’une thrombophlébite, car elle avait reçu un guide et était chargée de cette mission. J’ai vu les sages-femmes de l’Algérie profonde et elles font un travail extraordinaire. La technicité et l’expertise vont nous permettre de dire que cette patiente ne présentera aucun problème à l’accouchement, donc je peux la garder. A contrario, si la patiente pose tel problème bien défini alors dans ce cas elle sera orientée vers un autre palier qui lui correspond», préconise le professeur Chafi. M. Benachenhou reconnaîtra également qu’il y a eu un relâchement au cours des dernières années et que le département de Hasbellaoui veut que la PMI s’engage pour suivre correctement la femme, établir un diagnostic et prévoir d’éventuelles complications, soit une prise en charge permettant de définir et de l’orienter vers le palier adéquat. «Il faut absolument que les centres de PMI, qui ont toujours fait la force de notre système de santé, reprennent correctement. C’est un rôle incontournable», a-t-il souligné.
Hafidh Bessaoudi