“Je ne me chargerai pas de gouverner trois mois avec la liberté de la presse », écrivait Napoléon à l’Autrichien Metternich, concepteur de la carte européenne au Congrès de Vienne. Et les théoriciens politiques ne sont pas trompés en qualifiant l’information de quatrième pouvoir à côté des trois pouvoirs classiques : politique, judiciaire et exécutif, identifiés depuis Montesquieu et John Locke. Avec la révolution technologique qui a caractérisé la fin du siècle dernier et le début du 21e siècle, le monde a franchi un pas de géant en faisant accompagner la galaxie Gutenberg (dixit MacLuhan) par une fulgurante révolution numérique qui renforce de plus en plus l’idée de village planétaire. L’on ne peut plus user d’un pouvoir personnel, réprimer les peuples, étouffer les syndicats, annihiler les libertés et ghettoïser une ethnie ou une région dans le silence le plus complet et à l’insu des regards du monde. Sur ce plan, l’accès à une presse libre est certainement une conquête citoyenne trop précieuse pour être assimilée à une simple lubie mondaine comme ce fut le cas dans les milieux de la bourgeoisie européenne du 18e siècle. L’Algérie a, dans la foulée du jdanovisme culturel castrateur instauré par le parti unique depuis l’Indépendance, subi la loi de l’unicité de la pensée y compris dans la sphère de la presse. Pourtant, dans les moments d’adversité du Mouvement national et de la guerre de Libération, des plumes algériennes de divers horizons ont honoré le métier de presse dans notre pays. Kateb Yacine, Bachir Hadj Ali, Abdelkader Safir et tant d’autres ont préfiguré les énergies qui allaient prendre en charge le secteur de la presse écrite après l’Indépendance.Ahmed Bouda, Zhor Zerrari, Anna Greki, Mohamed Harbi, Bachir Rezoug,…furent les pionniers de la presse algérienne postindépendance.L’expérience fut de courte durée puisque le coup d’État du 19 juin 1965 est venu mettre fin à toutes les libertés publiques. D’ailleurs, l’une des premières mesures que le nouveau régime a eu à prendre, c’était l’arrêt du quotidien ‘’Alger- Républicain’’ sur les rotatives la nuit du 18 au 19 juin. La traversée du désert avait duré un quart de siècle, une période pendant laquelle les libertés furent brimées et la presse muselée. Comme sous tous les régimes des ‘’Démocraties populaires’’, nous n’avions droit qu’à une presse gouvernementale qui répercute et amplifie la voix de son maître dans une inénarrable et dommageable propagande. C’était, d’après la boutade de l’époque, la presse du ‘’tout va bien’’ à laquelle on ne prenait soin de changer que la date sous le logo.Ce sont les cris et les rugissements de désespoir des enfants d’octobre 1988 massacrés dans le sang qui allaient ouvrir une brèche dans le mur de la dictature et de l’arbitraire pour annoncer le printemps de la presse algérienne. Quelles que fussent les motivations profondes et les desseins des gouvernants, la consécration de la liberté de la presse- particulièrement les décrets de 1990 de Hamrouche, Premier ministre à l’époque, qui accordèrent trois ans de salaires aux journalistes de la presse publique pour fonder leurs propres titres- devint une réalité tangible quelques années après. Tout n’est pas parfait, bien entendu.Le Code de l’information, puis certaines clauses ajoutées au Code pénal, ont essayé de contenir quelque peu la liberté de la presse dans les limites décidées par les gouvernants.Mais, 16 ans d’exercice- dont une grande partie est vécue sous le terrorisme intégriste auquel le personnel de la presse a payé un lourd tribu- ne sont sans doute pas suffisants pour déclarer la maturité de la presse algérienne.L’apprentissage et la professionnalisation continuent pour que la presse algérienne rompe avec le nihilisme destructeur et le panégyrique à tout va. Avec la société civile, le monde universitaire et les organisations politiques, la presse constitue un contre-pouvoir à même de participer au développement général du pays et capable d’asseoir une pédagogie de la citoyenneté. Elle ne doit servir ni d’alibi démocratique ni de défouloir ou cracheur de feu oppositionniste « Le jour où le Figaro et l’Immonde me soutiendraient, je considérerai que c’est une catastrophe nationale », disait le général de Gaulle.
Amar Naït Messaoud