Quo vadis, Domine ? (1)

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Par Anouar Rouchi

Neron, c’est connu, est un tyran particulièrement sanguinaire mais aussi si ridicule que même ses courtisans les plus zélés le qualifiaient de bouffon en leur for intérieur. Néron organisait régulièrement des soirées festives où la luxure le disputait à la beuverie et aux festins gargantuesques. La noblesse romaine s’y bousculait et rivalisait de flagorneries à l’égard du Maître. Neron passait le plus clair de son temps à composer des hymnes et à les chanter, en ces occasions fort nombreuses au demeurant, à ses favoris. Gare alors à celui des convives dont l’enthousiasme ne serait pas bruyant! Un jour que le tyran lisait à ses amis un passage de sa “Troïade”, il se retourna vers son premier favori, Petrone, et lui demanda son avis. Avec une désinvolture qui jeta l’effroi dans la salle, Petrone répondit, à haute voix de sorte qu’il fût entendu de tous : – Vos vers sont bons à jeter au feu !- Et que leur trouves-tu de mauvais ? insista le tyran, interloqué.Elevant davantage la voix, Petrone reprit :- Je ne leur trouve rien de mauvais. Ces vers sont dignes de Homère mais indignes de vous. L’incendie que vous dépeignez ne flambe pas assez et votre feu manque d’intensité. Vous qui avez tout reçu des dieux, on est en droit d’attendre davantage de vous. A vous qui pouvez enfanter une œuvre devant laquelle toutes les autres s’eclipseront, je dis : faites des vers meilleurs !- Tu as raison Petrone ! Ma Troie flambe d’un feu timoré. Je croyais qu’en égalant Homère ce serait suffisant mais je me trompe.- Dans ce cas vous êtes un immense artiste !Intervint alors Tigelin, un courtisan fort zélé et rival impénitent de Pétrone :- Savez-vous pourquoi vos vers étaient juste dignes de Homère ? Un sculpteur, lorsqu’il veut faire la statue d’un Dieu, cherche et trouve un modèle. Car vous chantez l’incendie de Troie sans avoir jamais vu de ville brûler…Se tournant de nouveau vers Petrone, Neron demanda : – Réponds à une question, Petrone. Regrettes-tu l’incendie de Troie ?- Au contraire ! s’exclama Petrone. Sans cet incendie Homère n’aurait pas écrit son Illiade. Je tiens plus à l’œuvre de Homère qu’à une petite bourgade misérable et sale.- Tu parles comme la Raison, Petrone. A la poésie et à l’art, on a le droit de tout sacrifier. Quel homme heureux ce Priam ! (2) Il a vu la ruine de sa patrie mais celle-ci a inspiré l’œuvre de Homère. Et moi qui n’ai jamais vu de ville en flammes !On connaît la suite. Neron ordonna de brûler Rome, ce qui fut fait. Et Petrone de penser : “Quo vadis domine”. Fort heureusement pour nous, l’Algérie officielle n’a pas encore produit son Neron. Mais que de Petrone ! Que de Tigelin !

A. R.

(1) – Où va-tu, Seigneur ?(2) – Roi de Troie

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