(3e partie et fin)
Après s’être rassasié, le père de Moh’and sort dehors pour, dit-il, se soulager. Il colle son oreille aux murs de la bicoque faite en torchis et entend ce qui se dit à son sujet. Le père de la fille dit :- Je n’ai jamais rencontré un tel homme de ma vie, il paraît déluré, mais les arguments qu’il donne sont sensés. Le coq, il l’a partagé comme il le voulait et il nous a tous convaincus. En plus de cela, en cours de route, il m’a dit des choses que je n’ai pas comprises jusqu’à maintenant.- De quoi s’agit-il père ? dit sa fille aînée.- Il m’a dit « bib iyi negh ak bibagh » (porte-moi sur ton dos ou je te porterai !). Ensuite il m’a demandé « Aghiyi-d thili (achète-moi de l’ombre) et pour finir il m’a demandé de lui acheter « aqarouï ik’erri » (bouzelouf, la tête du mouton) sans rien dépenser. Pour moi, tout cela est insensé. Ce monsieur a la tête fêlée.- Mais mon père ! s’écrie sa fille aînée. Cet homme n’a rien d’un insensé, c’est quelqu’un de très intelligent qui parle avec des métaphores (s-lemâni). « Mik’-d inna bib iyi negh ak bibagh » (porte-moi ou je te porterai), il voulait te dire qu’en marchant et en se parlant, on ne s’aperçoit pas de la longueur du trajet. On vit les péripéties du récit, on ne sent pas la fatigue jusqu’à l’arrivée à destination. « Mik’-d inna vghigh ad aghagh thili » (je veux acheter de l’ombre), il voulait te dire qu’il voulait « lemdhela » (chapeau) pour pouvoir protéger sa tête du soleil de plomb qui lui tapait dessus. Quant à la tête de mouton (bouzelouf) qu’il voulait te faire acheter sans rien dépenser, il voulait te signifier qu’il voulait une tête bien grosse et bien grasse afin qu’en la mangeant, il oublie ce qu’elle lui a coûté.Le père de Moh’and hoche la tête de plaisir devant les explications judicieuses de la fille. C’est une telle fille qu’il cherchait pour son fils. Grâce à Dieu, il l’a enfin trouvée.Il rentre de nouveau et déclare à la famille réunie :- C’est votre fille aînée que je veux pour mon fils bien-aimé. Cela fait longtemps que je lui cherche une fille perspicace, intelligente et digne de lui. Votre fille m’a convaincu, j’ai entendu du dehors ce qu’elle vous a dit à propos des énigmes dont on a parlé.Ses réponses sont adéquates. On m’a parlé de l’intelligence de votre fille, j’ai cru mais je voulais vérifier par moi-même et c’est ce que j’ai fait. Je m’excuse d’avoir utilisé ce subterfuge mais c’était le seul moyen d’en avoir le cœur net. A partir d’aujourd’hui, si vous le voulez bien, ma famille s’unira à la vôtre pour la vie. Le mariage est vite conclu. Moh’and épousa grâce à son père la fille intelligente comme il le voulait. »Our kefount ethhoudjay inouOur kefoun irden tsemzine. As n-elaïd anetch aksoum tsh’emzine ama ng’a thiouanzizine. »(Mes contes ne se terminent comme ne se terminent le blé et l’orge. Le jour de l’aïd, nous mangerons de la viande et des pâtes, jusqu’à avoir des pommettes rouges et saillantes).
Lounès Benrejdal