La salle de torture de la 1re compagnie du 2e RPC (1961)

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Témoignage de Pierre Leulliette publié pour la première fois en 1961 aux éditions de Minuit sous le titre

 »Saint Michel et le Dragon. Souvenir d’un parachutiste » (saisi par les autorités françaises)

« Nous cantonnions, à cette époque, dans la grande fabrique de confiserie désaffectée d’Hussein-Dey. Au rez-de-chaussée, outre un vaste hall toujours frais- ce qui est rare à Alger, une grande salle obscure pleine de matériel laissé par les propriétaires occupait le fond de l’immeuble. La maison elle-même étant encastrée dans d’autres bâtiments, cette salle était visible de la rue. Entourée de plusieurs petites chambres vides et poussiéreuses, elle était pratiquement insonorisée. C’était la salle de torture idéale. Chaque jour, le leiutnant de service, assisté du sergent T…, des transmissions, veanait y passer quelques heures. Un autre sergent, Alsacien à la monstrueuse musculature célèbre au corps pour sa dureté en cours d’opération et la lenteur de son esprit, les accompagnait.Ils avaient beaucoup de travail. Le jour de grands  »arrivages », il ne pouvait même pas y pourvoir.: on faisait alors appel à deux ou trois hommes de troupe choisi pour leur insensibilité et animale, sinon leur sadisme.Ces équipes spéciales se relaieront sous l’oeil bienveillant du capitaine, un intellectuel, lui, de ceux pour qui la douleur n’existe pas- surtout celle des autres…Elles travaillent par groupes de trois, en fumant des cigarettes. Leur besogne consiste essentiellement, sous prétexte d’interrogatoire, à torturer du matin au soir, les uns après les autres, des prisonniers nus et ligotés…La salle est bien aménagée. Outre les longues tables de zinc sur lesquelles on fondait les berlingots et où les prisonniers, nus, sont étendus à leur arrivée, il y a là quelques étaux d’établi qui se révèleront vite très utiles: leurs mâchoires de fonte serviront à broyer les parties les plus vulnérables du corps humain, le plus souvent les parties sexuelles. A terre, les grands seaux d’eau tiennent lieu de traditionnelle baignoire. Le gros sergent alsacien surtout affectionne ces récipients; c’est sa marotte. D’une poigne à écraser un boeuf, il y introduit lentement la tête rasée de ses clients, souvent déjà asphyxiés par l’angoisse avant d’avoir touché l’eau.Au début, on utilisait aussi beaucoup de lourdes cordes  »commando ». On en fouettait l’aine ou les yeux des supects récalcitrants. Mais on finit par y renoncer: cela laissait trop de traces. Les bâtons, bien maniès, produisent le même effet et ne marquent pas.Le supplice classique reste celui des gifles. Mais les gifles que donne notre sergent alsacien, pour un oui ou pour un non, sur un visage déjà défait, en moins d’une heure peuvent rendre un homme fou, si énergique soit-il. Les lourdes bottes de saut aux semelles cannelées écrasent aussi beaucoup de pieds nus et révulsés de peur. Il faut affoler de souffrance.Mais l’outil principal n’existait pas au moyen age. Ce pur produit de la civilisation se présente de façon très anodine: un simple fil électrique branché sur une prise du bas du mur. Son rôle est de faire  »jouir » les plus grands suspects. Plus besoin de la « gégène » de campagne que connaissent tant d’Algériens interrogés en cours d’opération. Ici on a le courant électrique à volonté. D’abord envisagé comme utile, puis comme indispensable, le supplice de l’électricité finira par être considéré comme allant de soi et somme toute comme aussi régulier qu’un autre. Non seulement il est efficace, mais il ne laisse pas de trace.Installé très soigneusement par un sergent des transmissions, le fil présente une extrémite dénudée, garnie d’un manchon isolant afin qu’on puisse le saisir sans risque. Il se termine par un tube de contreplaqué toujours mouillé pour qu’au passage s’accumule le maximum d’électricité. Deux fils pointus et minces en dépassent comme des antennes, tremblottant au moindre mouvement. On branche directement ces antennes sur la peau nue. Généralement sur le sexe. On les promène aussi sur tout le corps, les arrêtant lontemps sur la poitrine, là où la cage thoracique ne protège qu’à peine le coeur, qui s’affole, entraînant le patient dans des soubresauts de chat écorché. En leur pinçant le nez, les raffinés forcent les récalcitrants à ouvrir la bouche. Ils y introduisent leurs antennes au plus profond de la gorge. Mais il arrive que, sous l’effet de la souffrance, l’interrogé referme si violemment les mâchoires qu’ils en sectionne les fils, d’un seul coup de dent. Il faudra renforcer leur calibre ».

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