Tout reste à reconstruire

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Trois ans après le cataclysme du 21 mai 2003, celles-ci ne voient point dans leur contrée, sortir de terre ces bâtiments en dur qu’on leur a promis. Et les conditions de vie dans les sites de transit demeurent terrifiantes. Au bord du tronçon de la RN 5 reliant Tidjelabine à Thénia, les petites cabines en formica défilent. L’aménagement de ces centres transitaires fut accompli en un temps record. A peine trois mois se sont écoulés, se souvient-on, entre les premiers coups de pelle et la réception des fameux logis en préfabriqué. Conçus comme habitations temporaires, ces logis peuvent paraître suffisants aux jeunes ménages, pour peu que ceux-ci s’abstiennent de faire des enfants. Or, souvent, plus de 10 personnes s’entassent dans ces chalets. Il n’est pas rare de voir le moindre espace de la cabane — salle de bains et même les toilettes — transformé en dortoir la nuit venue. Donc, en filigrane, une interrogation lancinante : pour combien de temps va-t-on encore vivre dans ces réduits de 36 m2 ?

250 logements en juinLa question reste sans réponse à Thénia. Là, on parlait durant ces trois dernières années d’un plan de reconstruction immobilière post-séisme, dans le cadre d’un financement garanti par un fonds saoudien. Au programme, trois chantiers de réalisation d’unités immobilières pour plus de 400 familles sinistrées réparties entre les sites, de Haï El Louz, qui en compte à lui seul 213, Bourenane et Bergouga. Maintenant, une source proche de l’APC indique qu’un premier projet de 250 logements sera lancé au mois de juin prochain, à la sortie ouest de la ville. Elle précise dans le même ordre d’idées que l’aide à la reconstruction des bâtisses individuelles est en cours. “Mais, que faisaient nos élus pendant que les autres municipalités réalisaient les projets de relogement de leurs sinistrés”, tempêtent les rescapés du 21 mai 2003 à Thénia. Une ville où, hormis la remise en état durant l’été dernier de l’agence des postes et télécommunications, tout reste pratiquement à reconstruire : hôpital, avenue principale avec ses multiples points de vente et cafétérias, siège de la BNA… Dans les rues de l’ex-Minerville, les conversations sur la gestion locale des effets du séisme s’alanguissent dans un ennui pesant. Tous les gestes des sinistrés semblent animés par la même pensée, manifester la même angoisse : à quand l’obtention d’un toit décent en remplacement de celui balayé, le 21 mai 2003, aux HLM du Nord et dans d’autres quartiers avoisinants ?Après une journée de labeur, hommes et femmes regagnent leurs chalets où ils subissent de multiples privations. Haï El Louz. Juste à l’entrée, des tas d’immondices. Amas de détritus également devant chaque bloc du site. Manifestement, cet espace d’habitation est abandonné à son triste sort. “Regardez dans quelle situation on nous laisse”, lance Ahmed, sexagénaire au visage émacié. Ses cinq enfants, tous en âge de prendre femme, ne supportent plus d’être parqués comme des bêtes dans cette baraque. “Si le calvaire continue, certains d’entre eux vont fuguer”, s’angoisse-t-il. Chaque soir, frères et sœurs se couchent par terre, ne laissant entre eux que quelques centimètres d’intervalle. Aucun espace pour installer le chauffage ou une quelconque machine ménagère. Dans les lavabos des différents chalets, la vaisselle s’amoncelle. Car, à Haï El Louz, on souffre tout le temps de la pénurie d’eau. En contrebas du site, notamment, “on ne sait même pas quand le précieux liquide va arriver ou s’il va arriver”, résume-t-on. On se rabat donc sur le puits d’une ferme voisine qu’on nettoie à intervalles réguliers. Une corvée de plus pour les enfants et les ménagères. On ne peut plus supporter les affres du logement précaire, disent les résidents de Haï El Louz. Le site repose sur un marécage, un endroit trop exposé aux rigueurs de l’hiver, ce qui n’est pas sans conséquences sur de nombreuses personnes dont la santé est (déjà) précaire.

Baisse des résultats scolairesC’est l’enfer pour Mme Thamer qui souffre de diabète et de troubles cardiaques. Son état de santé s’est aggravé depuis qu’elle est ici, comme l’atteste en substance sa pile d’ordonnances médicales. Pas l’ombre d’un dispensaire dans ce site. Et Mme Thamer s’angoisse. “On éprouve beaucoup de peine à trouver un taxi pour l’évacuation vers les centres d’urgence médicale en cas de gravité.” Elle se demande comme tous les autres sinistrés du coin, “pourquoi tout ce retard concernant leur relogement dans des bâtiments en dur”. Vivre dans des maisonnettes c’est survivre. Baraques minuscules, sombres, basses de plafond. Dans une petite courette attenant au- dit chalet, les garçons peuvent au moins se coucher durant les nuits d’été. De simples matelas juxtaposés à même le sol font l’affaire. Mais durant le reste de l’année, toute la famille s’entasse dans le taudis. Les élèves scolarisés peinent à réviser leurs cours dans cet inconfort. Mourad, 19 ans, qui partage le logis avec ses parents et ses neufs frères et sœurs appréhende à juste titre l’échec au bac. Chaque soir, coincé devant la porte du chalet, entre les va-et-vient des membres de la famille, il ouvre ses livres et cahiers. “Je ne retiens rien à la fin”, confie-t-il les yeux frappés de tristesse. Tant à Haï El Louz qu’à Bourenane ou Bergouga, vivant les mêmes problèmes, de nombreux pères de famille ont constaté la baisse des résultats scolaires de leur progéniture. “Mon petit enfant ne cesse de se demander lui aussi quand aura lieu le relogement”, raconte Rachid, fonctionnaire. La situation de détresse est, ici et là, vécue en permanence : impossibilité de dormir quand on est plusieurs dans un lit sur un minuscule parterre, impossible de bachoter, de laver son linge, de se mouvoir à sa guise tout simplement. Les familles, nombreuses, espèrent que les autorités locales leur accordent au moins, un second logis en préfabriqué. Est-ce trop demander à cette mairie qui s’apprête à distribuer un autre quota de chalets réalisés tout récemment à Sghirat ? D’autres communes voisines en sont à la phase de relogement dans les bâtiments en dur. Au total, on aura 4 5 00 familles relogées sur les 8 482 recensées d’ici fin juin 2006. De cette statistique, Thénia est bizarrement exclue.Il est vrai que certaines entreprises de reconstruction immobilière ont accusé un retard injustifiable notamment à Bordj Ménaïel et Tidjelabine. Mais, tout compte fait, la totalité des familles sinistrées des deux communes précitées va, dans un délai n’excédant pas une année, selon l’échéancier prévu, retrouver les conditions de vie digne. D’ailleurs 90 familles sinistrées du site BCR de Bordj ménaïel bénéficient ces jours-ci, d’un premier quota d’unités immobilières réalisées au quartier Bastos. On quitte le centre transitaire pour un toit, un vrai, avec toutes les commodités selon le cahier des charges retenu par les organismes étatiques concernés.“La joie que je ressens dans cette nouvelle cité me fait oublier et l’enfer du chalet et la cherté du nouveau loyer”, jubile Rabah, retraité et père de neuf enfants.La caution payée pour l’acquisition d’un F4 s’élève à 30 000 DA. “L’essentiel est l’obtention d’un toit décent”, ajoutera-t-il.A Thénia malheureusement le statut de sinistré va encore coller pour un temps assez long aux rescapés du séisme. En cause, ces lenteurs administratives inexplicables. Et sans doute aussi la mauvaise évaluation de la situation des familles violemment touchées par la catastrophe naturelle.

Salim Haddou

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