Site icon La Dépêche de Kabylie

Les origines d’une langue (2)

L’hypothèse chamito-sémitique La classification du berbère dans la famille chamito-sémitique est ancienne puisqu’elle a été proposée dès 1844 par T. N. Newman, mais il faut attendre la fin du XIXe siècle pour voir le berbère définitivement intégré dans le groupe (travaux de Zimmerman, Noldeke, Brockelmann..)En 1924, le Français, Marcle Cohen affirme, I’unité de la famille chamito-sémitique et la subdivise en quatre groupes distincts :- le sémitique, avec des langues, aujourd’hui éteintes, comme l’ougantique, le phénicien, l’hébreu ancien, le sabéen, ou vivantes, comme l’hébreu, l’arabe, l’éthiopien- I’égyptien, disparu dans l’antiquité mais survivant dans le copte, la langue liturgique des chrétiens d’Egypte- le libyco-berbère, représenté par le libyque dans l’Antiquité, et aujourd’hui, dans les dialectes berbères, comme le kabyle, le chleuh ou le touareg; on intègre aussi dans le berbère, le guanche, la langue des îles Canaries dont la population a été exterminée par les coIons espagnols.- le couchitique, représenté par les langues de la Corne de l’Afrique.On ajoute à ces groupes, un cinquième groupe, le tchadique, d’abord aux contours mal connus, mais aujourd’hui pris en charge dans les comparaisons L’hypothèse de l’origine chamito-sémitique du berbère est aujourd’hui admise par les chercheurs, à l’exception de ceux qui préfèrent l’apparenter directement à des langues précises (sémitiques, basque) ou de ceux qui, sans remettre en cause l’appartenance chamito-sémitique, préfèrent élargir la famille à d’autres aires linguistiques et proposent de nouveaux regroupements, comme celui des langues euro-sahariennes (H.G. Mukarovsky, 1981) ou des langues méditerranéennes (H. Stumfohl, 1983).

Le fait que deux langues désignent de la même façon les mêmes référants peut être l’indice d’un apparentement. Ainsi, le français raide et l’italien rigido ( latin regidos), l’hébreu et l’arabe baraq «éclair», le kabyle et le chleuh argaz «homme». Mais des ressemblances peuvent se produire entre les langues qui ne sont pas nécessairement apparentées : ainsi le berbère argaz et l’italien raggazo, le kabyle eçç et l’anglais each «manger», le targui aleo et le latin olea «olive, huile» etc

Dire que le berbère fait partie des langues chamito-sémitiques ne signifie pas qu’il est une langue sémitique, encore moins qu’il descend de l’une de ces langues (comme le sabéen ou l’arabe) : cela signifie seulement qu’il partage avec ces langues un passé linguistique, passé qui transparaît encore, quand on fait des comparaisons, avec les structures et le vocabulaire de ces langues.

Contact et apparentementOn sait depuis Ferdinand de Saussure qu’il n’y a pas de rapport entre le nom et la chose que ce même nom dénomme, autrement dit, il n’y a pas de rapport naturel entre l’objet et son nom : la preuve c’est que dans d’autres langues, I’objet est appelé différemment. C’est le fameux principe de l’arbitraire linguistique. La seule exception à cette règle est celle des onomatopées ou mots qui reproduisent les bruits de la nature et encore, les mots ne reproduisent pas fidèlement les bruits. Chaque langue utilise les sons dont elle dispose pour le faire.Le fait que deux langues désignent de la même façon les mêmes référants peut être l’indice d’un apparentement. Ainsi, le français raide et l’italien rigido ( latin regidos), l’hébreu et l’arabe baraq «éclair», le kabyle et le chleuh argaz «homme». Mais des ressemblances peuvent se produire entre les langues qui ne sont pas nécessairement apparentées : ainsi le berbère argaz et l’italien raggazo, le kabyle eçç et l’anglais each «manger», le touareg aleo et le latin olea «olive, huile» etc.Dans ces cas, il faut parler soit d’emprunts, soit de ressemblances fortuites, soit encore de mots voyageurs, c’est-à-dire d’un vocabulaire circulant dans une aire linguistique sans qu’on puisse déterminer avec exactitude l’origine des mots. Dans le cas de l’apparentement génétique entre deux ou plusieurs langues, le nombre de mots se ressemblant est en nombre élevé mais surtout les correspondances sont plus régulières. Ainsi, ce n’est pas un hasard si, dans les langues chamito-sémitiques, dans lesquelles on classe le berbère, les mots qui désignent les idées de clarté et de lumière, se ressemblent fortement. sémitique akkadien: (w) apû (m) «être ou devenir visible, clair». cûpû «rendre brillant»ougaritique : ype «apparaître»amorite : ypx, hébreu hopwe « faire briller, rayonner, être cIair »couchitique saho : ifo « lumière », somali : if « jour, lumière du jour »berbère kabyle tafat «lumière», asafu «flambeau» rifain tafawt «lumière», néfousi : asf «jour» etc.Les ressemblances sont encore plus frappantes quand on se penche sur l’organisation des systèmes morphologiques. Ainsi, par exemple, dans la conjugaison, les affixes qui servent à donner les deux formes du verbe, accompli et inaccompli, les indices de personne, les suff¦xes qui marquent le régime du verbe (direct ou indirect) sont, à quelques détails près, les mêmes dans l’ensemble du chamito-sémitique. Sémitique (akkadien) :singulier. -1re personne : ya / -i, 2e -k (a), fém. -k (i), 3e -s (u), fém. -s (a) pluriel : 1re personne, -ni, 2e -kun(n), fém.-kin (a), 3e -sun (u) fém.-sun (a) égyptien :singulier : -1re personne : y, 2e -k, fém. ç-, 3e -f, fém. -spluriel : 1re personne :-,n-, 2e -çn, fém. çn-, 3e -çn, – fém. -çnberbère :singulier : 1re personne : -i/-n, 2e -ke, fém.-m/-km, 3e -s/-tpluriel 1re personne :, -negh, 2e -wen, fém. kent-, 3e -sen, -fém. -sentcouchitique (béja) :singulier : 1re personne : n, 2e -n-k, fém.u-ki-, 3e u-s, fém.pluriel : 1re personne: u, 2e -n-k, fém. ukn-, 3e -usn,- fém. -usnOn ne peut invoquer ici le hasard pour justifier les ressemblances. En effet, rien n’explique que le système des oppositions du berbère 1re p. du sg. : -i/-w /1re p. du pl. negh soit identique à celui du sémitique ya/-i /ni ou à celui de l’égyptien -y/-n. Rien n’explique non plus que la marque de la 2e p. des langues citées comporte, au masculin comme au féminin, au singulier comme au pluriel, I’élément formateur-k. Il ne peut s’agir, pour expliquer ces similitudes, que d’un apparentement, du moins d’une origine commune du système.Le principe de la régularité des ressemblances signifie que différents éléments se correspondent de façon régulière dans toutes les séries de mots envisagés. Cela signifie que si un son est conservé dans un mot, il est également conservé dans tous les mots où il apparaît et dans les mêmes conditions. Pour citer de nouveau le chamito-sémitique, en comparant d’une part l’hébreu pah’d «cuisse», I’arabe faxd, ms., le berbère afud «genou» et d’autre part l’hébreu psy «se répandre», I’égyptien pcc, ms., I’arabe fcw « se propager » et le berbère fsu «disséminer», on peut relever une correspondance régulière : p hébreu et égyptien = f arabe et berbère.Les correspondances s’exercent en vertu d’un principe dit de constance des lois phonétiques que l’on utilise pour établir la classification des familles de langues.Le principe de la régularité des correspondances phonétiques peut également se vérifier à l’intérieur d’une même langue qui s’est diversifiée en dialectes, parfois éloignés les uns des autres. Ainsi, une grande partie des h qui apparaissent dans le vocabulaire du targui de l’Ahaggar correspondent à z dans les autres dialectes, au g des dialectes occidentaux, correspondent régulièrement des dj en mozabite et en targui, aux I du berbère commun correspondent des r en rifain etc.Dans les travaux sur le chamito-sémitique, les recherches ont surtout porté sur la morphologie qui est, il est vrai, le domaine où les correspondances entre les langues sont les plus frappantes. Le lexique, lui, a suscité peu d’études et depuis l’Essai comparatif sur le vocabulaire et la phonétique du chamito-sémitique de M. Cohen (1947), il n’ y a pas eu d’ouvrage sur le sujet. Des articles sont signalés périodiquement, mais pas d’ouvrage général, encore moins, comme en indo-européen, de dictionnaire de racines. C’est que le vocabulaire est plus vaste que les règles de la morphologie ou de la syntaxe et que l’évolution peut masquer de façon à les rendre imperceptibles les similitudes.

M. A. Haddadou (A suivre)

Quitter la version mobile