De notre envoyé spécial Aomar Mohellebi
Mercredi 24 mai. 20 h. Dans le siège de l’association Numidia, situé en contrebas de la rue Khemisti, il n’ y a que le président Said Zamouche et l’écrivain Djamel Benaouf. Le premier est affairé à réaliser des photocopies pour un polycopié d’apprentissage de tamazight illustré, pour enfants, réalisé par Hamid Oubagha, président de l’association Imedyazen d’Alger. Il s’agit d’un vocabulaire illustré. Said Zamouche le distribuera aux enfants des membres de l’association. Dans ce siège, les membres ont accroché deux portraits du «prophète» de la Kabylie : Lounès Matoub aux côtés de, celui de Mouloud Mammeri. Deux repères sacrés et indispensables pour tout Kabyle qui se respecte. Sur un mûr, sont accrochées les unes des trente numéros de la revue mensuelle de Numidia Tafukt, transcrite à 99 % en tamazight. Numidia est la seule association en Algérie qui édite chaque mois une revue dans la langue de nos ancêtres. Pourtant comme moyen, Numidia ne possède que deux micros dont l’un est constamment en panne et un photocopieur. Des CD de la crème de la chanson kabyle sont aussi accrochés. On aperçoit ceux de Matoub, Slimane Azem, Chérif Khedam, El Hasnaoui, Nouara…
Said Zamouche : tamazight, premier amourLa plus grande histoire d’amour vécue par Said Zamouche ne le lie pas à une femme comme c’est le cas de la majorité. Son premier amour et son dernier est tamazight. Anecdote véridique : En nous la racontant, Said Zamouche ignore que nous allions la rendre publique mais elle est tellement originale que sa publication ne serait pas inutile. Dès son très jeune âge, Said Zamouche a pris conscience de son identité amazighe. Il était révolté de voir sa langue exclue et interdite. Il a milité et oublié de se consacrer à sa vie privée. Il a failli devenir un célibataire endurci. Sous la pression de ses parents, il se résout à fonder un foyer. La femme choisie semble avoir les critères qui lui conviennent. Ils célébrant leur fiançailles. Six mois plus tard, l’ex-future femme de Zamouche exige de lui d’abandonner le militantisme pour tamazight et d’arrêter ses activités au sein de l’association. Devant cet ultimatum, Said ne prend même pas le soin de réfléchir. Il lui lance un niet catégorique. Il rompt des fiançailles pour demeurer fidèle à son premier amour. Ce n’est que des années plus tard qu’il se marie après avoir trouvé sa vraie moitié, celle qui comprendra son attachement viscéral à tamazight et à la Kabylie. Très tôt, Said Zamouche se livre corps et âme à l’amazighité, contrairement à certains opportunistes qui ont d’abord mangé à tous les râteliers du Parti unique en attendant que le vent tourne pour se métamorphoser en «chantre» de tamazight. Le combat de Said Zamouche a été d’autant plus difficile qu’il se déroulait dans une région arabophone. Mais il a résisté. Avec une grande constance, il a milité et lutté et il continue de le faire dans le cadre d’une association qui prend de plus en plus de l’ampleur. Numidia, qu’il préside depuis sa création, le 13 septembre 1990. De ses membres fondateurs, il ne reste que le romancier Djamel Benaouf et Chabane Achour. Les autres membres fondateurs sont soit morts soit exilés. A l’époque du Parti unique, quand les directions de la réglementation et de l’administration générales refusaient d’accorder des autorisations à toutes activités inhérentes à l’amazighité, Zamouche et une poignée de vrais militants de la cause avait eu l’ingénieuse idée de créer un club sportif pour camoufler leurs actions militantes. Ils ont mis sur pied les Cavaliers de la Numidie, un club de football, qui sera la mère qui portera la future Numidia. «C’est dans le cadre de cette équipe de football que nous avons pu faire les premiers pas dans la sensibilisation des Kabyles d’Oran pour notre langue», explique Said Zamouche. C’était à l’époque d’”Elhizb el ouahed” et de la sécurité militaire. Le groupe de Zamouche prenait un risque incommensurable ce faisant. Mais dans ce combat, le repère était Matoub Lounès.“J’ai connu Matoub en 1978 à Oran”Quand il parle de Matoub Lounès, Said Zamouche peut rester pendant des heures à le faire sans se lasser. Il ne s’en lasse jamais. «Je ne laisserai jamais personne dire du mal de lui car c’était lui seul qui parlait quand il était difficile de le faire». Et quand Rabah Salmi, ex-responsable de l’église protestante d’Oran, un kabyle de Ouaguenoun, lui demande quel est son meilleur chanteur, il répond spontanément : Matoub. Lorsque la troupe théâtrale de l’association Numidia s’est déplacée à Bouzeguène pour une présentation, Said Zamouche avait cinq cassettes de Matoub dans son cartable : «Je ne peux pas me déplacer sans prendre avec moi ses albums», confie-t-il. Zamouche a connu Matoub dans les moments difficiles. Il l’a respecté à l’époque et il continue à le respecter. Son association, pour commémorer le huitième anniversaire de son assassinat, organise trois journées commémoratives à partir du 22 août. La fondation Matoub sera associée à cet événement très important car c’est la première fois que Matoub sera commémoré de façon aussi grandiose dans l’ouest algérien. Zamouche a rencontré Le Rebelle en 1984 à Sidi Bel Abbès à l’occasion d’un match de la Jeunesse sportive de Kabylie (voir photo). Mais il l’a connu bien avant à l’époque où Lounès effectuait son service national à Oran. «Je l’ai vu pour la première fois ici en 1978 ( il indique l’endroit exact où il l’a aperçu à Oran). Il venait tout juste de sortir son premier album qui l’a extirpé sur place à l’anonymat». Matoub était très jeune. Il était accompagné de deux autres jeunes et il se promenait dans la ville d’El Bahia. Zamouche garde de Matoub l’image d’un grand homme sincère, franc, courageux, direct, sensible, généreux avec un sens de l’humour que lui envieraient les plus grands humoristes du monde. En plus, il était spontané ! rappelle Said. Notre interlocuteur a déjà commencé les préparatifs de ces journées sur Matoub Lounès. Au Théâtre régional d’Oran, sera présentée une pièce écrite par Djamel Benaouf dans le cadre de ce programme qui comportera plusieurs conférences et une exposition permanente avec, évidemment, une diffusion permanente des chansons de Lounès.
Une association très activeSi on devait procéder à un classement, c’est Numidia qui remportera la palme d’or des associations les plus actives sur le territoire national. A Numidia, on ne fait pas de l’activisme. L’association produit des revues, des livres et du théâtre. Non seulement ça, mais aussi, elle intervient dans le règlement des problèmes liés à l’amazighité. Le récent problème réglé par Numidia est celui des prénoms berbères. Deux enfants, nés il y a trois ans, auxquels les parents voulaient donner des prénoms berbères, sont restés en suspens jusqu’à la semaine dernière. Said Zamouche montre l’extrait de naissance de Assirem. On ne peut y lire que le nom de famille car le prénom est inexistant. Les autorités municipales ont refusé d’inscrire ce prénom berbère au motif qu’il ne figure pas sur la nomenclature officielle de la république algérienne. Comme s’il n’ y avait pas des milliers d’Assirem en Kabylie ou bien comme si la Kabylie ne faisait pas partie de l’Algérie. Les parents d’Assirem ont opposé leur détermination à l’entêtement des autorités locales. Les responsables de Numidia ont fait toutes les démarches possibles jusqu’à aboutissement de leur cause. La semaine dernière, le problème a été réglé et Assirem peut enfin voir son prénom figurer sur les papiers officiels. Numidia a édité depuis sa création trente-trois numéros de sa revue mensuelle Tafukt. Elle a publié plusieurs livres en langue amazighe dont ceux de Abdellah Hamane, deux recueils de poésie de Mahuc Salem et une plaquette de Nadia Benamar. Tout cela, avec des moyens rudimentaires. Sa troupe théâtrale Tigawt d wawal (Action et parole) est dirigée par le très dynamique Djamel Benaouf. Cette troupe participe pratiquement à toutes les activités qui se déroulent tant en Kabylie qu’en dehors de la région. Tigawt d wawal souffre beaucoup car elle ne possède aucun moyen, elle répète dans le local exigu de l’association chaque lundi et jeudi. Ses déplacements sont pris en charge par les bénévoles de l’association. Pourtant, cette troupe est une fierté culturelle nationale, compte tenu de la qualité de ses spectacles. La preuve ; elle a été primée plusieurs fois. Elle a reçu le premier prix lors du dernier festival, Amezgun n Djerdjer de Tizi Ouzou en 2006. Numidia organise régulièrement des festivités, notamment lors du Printemps berbère, Yennayer, etc. Le siège de Numidia est un lieu que les Kabyles d’Oran visitent quand ils éprouvent de la nostalgie. Cette dernière est apaisée lorsqu’on pénètre dans cet endroit qui est une véritable antenne de la Kabylie profonde, très profonde. Au point de rester dans les cœurs des années et des années après le premier décollage.A suivre…
A.M.
