Même si ce phénomène a toujours existé en Algérie, la Kabylie était relativement épargnée par cette attitude que certains jugent immonde. D’autres, par contre, pensent qu’il vaut mieux confier un enfant à des personnes qui seront capables de l’élever dignement, plutôt que de le laisser grandir dans un environnement qui lui sera austère et hostile. Les mères célibataires, parfois de jeunes gamines à peine sorties de l’adolescence, se retrouvent souvent seules au stade final de la grossesse, et même au bout de neuf mois de réflexion sur l’avenir de la progéniture indésirable, la sentence est fatale. L’abandon est une solution toute trouvée pour empêcher les procréatrices d’avoir mauvaise conscience. Mais là aussi, soulignons la débandade du “père” car, pour faire un enfant, il faut être deux ! La mère ne saurait être la seule coupable, mais pour elle, aucune excuse dans un milieu qui ne badine pas avec la chose. De surcroît, éviter le regard atroce de la société qui incite cette mère célibataire à trahir cet être candide et le laisser seul à la merci de son… destin. Un destin qui lui sera cruel et qui ne changera pas sa situation d’un iota, puisqu’il sera prédestiné à devenir malheureusement un enfant agressif et un futur délinquant en vivant constamment en marge de son environnement. Pour cela, l’Etat a construit des établissements pour abriter les bambins abandonnés à leur triste sort et leur éviter ainsi de se retrouver, une fois majeur, encore coupables d’être nés sous X.Nous avons pu avoir l’opportunité et le privilège de nous rendre dans un de ces foyers pour enfants abandonnés.
Pouponnière comme seul refugeLa pouponnière de Bouira semble passer inaperçue dans le quartier populaire de l’Ecotec. A l’intérieur de l’établissement, nous sommes reçus par le directeur, M. Abdi Kamel. Ce dernier, après nous avoir fait un bref topo de l’historique de l’établissement, s’attellera à nous démontrer, par des chiffres, l’engouement des Algériens à l’adoption de ces orphelins : “La pouponnière de Bouira, opérationnelle depuis septembre 1995 a déjà recueilli 320 garçons et 367 filles qui ont été pour la plupart d’entre eux placés dans des familles d’accueil dans le cadre de la Kafala, 253 garçons et 287 filles… Actuellement, nous avons 6 petits pensionnaires dont une fillette qui a fait l’objet d’un placement judiciaire, quatre garçons et trois filles en placement définitif ainsi qu’un cas provisoire se trouve également parmi nous. Une autre catégorie de pensionnaires séjourne chez nous, au nombre de cinq garçons et quatre filles qui sont handicapés et dont nous nous chargeons. Avec une capacité d’accueil théorique de 60 enfants, nous sommes déjà en deçà de ce nombre, avec annuellement 23 pensionnaires, ce qui prouve que les petits-enfants ne séjournent pas longtemps parmi nous et que nous leur trouvons des familles d’accueil assez rapidement”.L’établissement de Bouira est un modèle de ce qui nous a été permis de constater, nous ne pouvons que rester bouche-bée devant les efforts fournis par le personnel. Une équipe pluridisciplinaire composée de pas moins de 23 personnes sont en permanence aux petits soins envers les pensionnaires. Médecin, psychologue, infirmière, éducatrices, nourrices et puéricultrices se relaient pour apporter de l’affection et de l’amour d’une mère qu’ils n’auront finalement jamais ou très peu connus. Dans les différentes salles visitées, nous avons pu voir l’émerveillement et l’épanouissement des petits pensionnaires. “Lilas”, “Trèfle”, “Violette” et “jasmin” sont les noms choisis pour les unités de vie qui servent de lieux de détente et de repos aux poupons. Egalement, une salle d’activité dans laquelle les éducatrices s’attellent à éveiller les sens des enfants en leur apprenant à jouer tout en les faisant participer aux différents travaux manuels. Des activités telles que des collages de féculents, de feuilles mortes, moulages en plâtre, coloriages et peintures. Peintures qui reflètent l’état d’esprit des enfants et, où la couleur rouge revient souvent.L’ensemble des salles dans lesquelles nous nous sommes rendus était dans un état de propreté immaculée. Aussi bien l’infirmerie que le réfectoire, ou encore la pièce destinée à la stérilisation des biberons sont minutieusement entretenus.Là aussi, le rôle de l’équipe pluridisciplinaire est importante car, comme le souligne le directeur, des réunions sont régulièrement tenues pour orienter et améliorer le comportement de l’enfant qui sera amené à vivre dans une famille d’accueil. Un foyer accueillant mais dont les époux doivent justifier au préalable de plusieurs conditions sine qua non afin d’adopter et d’élever l’enfant dans un milieu sensible et affectif. De la paperasse, il en faudra, ainsi que du courage pour que les personnes voulant recueillir un enfant puissent y parvenir. Mais comme les statistiques l’indiquent, la volonté est plus forte que les tracasseries administratives.
Handicapés, des cas pas faciles à placerSi les enfants généralement bien portant trouvent aisément des familles d’accueil, il n’en est pas de même pour les jeunes souffrant de troubles du comportement ainsi que les handicapés psychomoteurs. Ces derniers sont en effet plus difficiles à placer dans des familles qui souhaitent adopter un enfant. La réticence des tuteurs l’emporte souvent sur la volonté d’accueillir un enfant de préférence en bonne santé.La jeune Nadjia qui, dès notre arrivée, s’est littéralement jetée dans nos bras, a certes suscité une vive émotion. Un regard attendrissant, mais le plus captivant a été sa réaction lorsque l’infirmière l’a décrochée de notre cou, pour l’emmener un peu plus loin. Le regard se faisait suppliant. Non pas que l’atmosphère dans laquelle elle évolue est trop pesante pour elle, mais plutôt par un excédent d’affection. Selon les dires du directeur, les enfants handicapés qui résident dans cet établissement ont été indésirables dès les premières heures de leur création : “Généralement, dès que la future mère prend conscience de sa grossesse, la progénitrice ainsi que son compagnon fuient leurs responsabilités devant le fait accompli… L’enfant est d’emblée rejeté et pire, parfois, lorsque la mère utilise toute sorte de remède pour interrompre prématurément la grossesse… mais lorsque le fœtus est formé, il reste très peu de chance pour que l’avortement souhaité ait lieu. De ce fait, on se retrouve 9 mois plus tard avec un enfant comportant des séquelles irréversibles et là, il est malheureusement trop tard pour faire machine arrière”. C’est ainsi que naissent des nourrissons épileptiques, handicapés mentaux, moteurs et d’autres atteints d’hydrocéphalie. Même si des praticiens privés, en particulier des pédiatres se portent volontaires pour soigner ces “victimes”, il arrive que des cas soient incurables. L’établissement prend en charge l’hygiène, l’allaitement artificiel, les tenues vestimentaires, le gîte et le couvert ainsi que les sorties au grand air, mais ne peut absolument rien faire lorsqu’un enfant est en phase finale. Cependant, l’espoir reste permis pour Saïd, tout sourire et débordant de vitalité, Wahid qui fait montre d’affection et de tendresse envers tout le monde et les autres bambins qui courent dans tous les sens et qui rient à gorges déployées. Lorsque le temps le permet, les enfants sont emmenés dans le jardin de l’établissement où ils peuvent jouer et se défouler en plein air sous l’œil attendrissant du personnel qui veille attentivement sur le bien-être des jeunes enfants. Toboggans et balançoires entourés de verdure luxuriante sont un cadre agréable et convivial qui souscrit parfaitement à un environnement familial. C’est toutefois la seule chose que les autorités puissent consentir afin que l’enfant s’épanouisse en toute quiétude. En cette journée mondiale de l’enfance, plusieurs activités sont au programme dans cet établissement. Une journée qui sera célébrée cette année sous le thème de la culture et de la paix. Une paix que beaucoup de consciences recherchent, surtout après avoir eu le “courage” de renoncer aux joies que procure un enfant. Légitime ou pas, ce dernier est pour certains, le fruit d’un amour défendu tandis que pour les autres, il s’agit d’une aventure non souhaitée, c’est-à-dire sans le consentement de la génitrice. Les cas diffèrent mais le résultat est là, qu’on le veuille ou non, la démarche est condamnable sous toutes ses formes.
Hafidh B.