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Ce bédouin qui…

Par Anouar Rouchi

Il était une fois un Bédouin qui sillonnait le désert d’Arabie derrière un troupeau de chèvres faméliques, un ou deux chameaux qui faisaient sa fierté et qui transportaient sa tente et les rares effets constituant tout le confort de son habitation de fortune, ainsi que de “ses” femmes et d’une ribambelle d’enfants au moins aussi faméliques et sales que ses chèvres. Son propre accoutrement ne valait guère mieux : Le chèche taillé dans un tissu antédiluvien n’avait plus qu’une parenté approximative avec le blanc maculé de jadis et sa gandoura était étrangement sombre pour un habit qui avait été blanc lui aussi… Sans doute par pudeur et par respect au sexe faible, l’histoire ne dit pas dans quel état de délabrement étaient ses épouses. Un vent de sable particulièrement violent et lent – il dura trois jours pleins – obligea hommes et bêtes à errer au hasard, perdant tout sens de l’orientation. Pire, en trois jours les provisions s’étaient épuisées et la réserve d’eau fondait comme neige au soleil. Quand la tempête prit fin, notre Bédouin et les siens, privés de nourriture et d’eau, ne savaient ni où ils étaient ni où ils devaient aller. Femmes, enfants et bêtes sont épuisés et crient famine. Mais, comme chacun peut le deviner, le plus dur était la soif. Une soif qui vous asséchait la gorge, vous éclatait les lèvres et vous étreignait le cerveau. Le brave Bédouin, en mâle dominant, se savait responsable et prit les choses en main. Il ordonna une halte et fit installer un bivouac de fortune avant de distribuer les tâches à ses nombreuses épouses et ses enfants encore plus nombreux. Le plus urgent était de trouver de l’eau. Aussi, épouses comme enfants, à tour de rôle, se mirent à creuser frénétiquement dans l’espoir ô combien mince de trouver un peu de ce liquide précieux. Ils mirent du cœur à l’ouvrage, creusant sans relâche, si bien qu’au milieu de la nuit, un geyser inespéré sortit du sol, montant vers le ciel comme une gerbe étrangement noire avant de retomber, arrosant le camp et ses occupants, qui ne tardèrent pas à fuir cette source d’eau nauséabonde, gluante et noire.De guerre lasse, ils mangèrent et burent ce qui leur restait de réserve et dormirent, pensant que leur dernière heure était venue et que, sans doute, Allah voulait ainsi les punir de quelque écart de la foi dont ils se seraient rendus coupables. Convaincu que sa dernière heure était venue, le brave Bédouin n’en souffla mot à personne et n’omit pas d’honorer longuement ses épouses malgré l’atmosphère étouffante et l’odeur de pétrole. Lorsque le Bédouin s’éveilla, il se crut déjà au paradis. Un homme blond, de type britannique, était à son chevet et lui donnait de l’eau fraîche. Ouvrant les yeux, il vit ses épouses et ses enfants qui se régalaient de force victuailles tandis qu’un peu plus loin, une immense caravane stationnait capable de nourrir de nombreuses tribus pendant des jours…On ne sait pas ce qui se passa ensuite. Tout ce qu’on sait, c’est qu’un descendant de ce Bédouin qui considérait le pétrole comme une malédiction habite aujourd’hui des palais de marbre et s’est mis à l’heure de l’audiovisuel et de l’informatique. Il est même à la tête d’un groupe de communication qui compte des chaînes de télévision. Ces chaînes de télévision ont eu l’exclusivité pour la retransmission des matchs de la Coupe du monde. Et il compte bien en priver ses corréligionnaires. Tous renseignements pris, honteux de ses ancêtres, il compte prouver qu’il est capable de gagner de l’argent qui ne sente pas le pétrole. Il a raison sur un point : celui d’avoir honte !

A. R.

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