Parmi toutes les mutilations que nous a fait subir l’école coloniale, il en est une que nous avions, tous bambins que nous étions, récusé de toutes nos minuscules et vaines forces et dont la seule évocation nous faisait détester encore plus l’instit qui puait le picrate et que le sarrau couleur ardoise faisait ressembler plus à un épouvantail qu’à un érudit, dispensateur de savoir. C’était l’évocation, en cours de géographie des saisons de l’année ! Ce qui nous rendait furax, ce n’était pas tant les comparaisons outrageusement orientées en faveur d’une mère patrie suspecte. Mais plutôt le fait qu’il était définitivement admis par la France officielle que notre pays, si beau, n’avait que deux saisons : une sèche et chaude, l’autre froide et humide. Si cette ineptie est monumentale, elle n’a toutefois pas le monopole de la bêtise et de l’aveuglement colonial : ainsi et dans le même ordre d’idées, notre pays à la place de fleuves ne comptait que des minuscules oueds, peu de plaines et beaucoup de Sahara. Quid des quatre saisons donc. Toute la mansuétude du monde ne pourrait absoudre les tartarins qui tenaient tant à leur exotisme à eux, juste à côté, à quelques miles… Cela nous faisait bondir de nos pupitres, car quoique citadins d’origine rurale, nous savions par cœur les quatre saisons, leurs prémices, leurs signes annonciateurs, leur influence sur la nature et les comportements humains et animalesques. Le tout merveilleusement bien rapporté par nos mamies. C’est ce monde fantasmagorique, peuplé d’êtres de légendes et où le bien et le mal, en perpétuelle lutte se disputaient les faveurs des humains dont on nous déniait la simple évocation…Deux saisons donc ! Une sentence qui ne souffrait d’aucun commentaire, ni contradiction. Et pourtant, ils ne croyaient pas si bien dire sans le savoir par effraction, ils faisaient dans la projection spatio-temporelle. Hasard d’une prophétie ou calculs savamment menés, un demi-siècle plus tard, nous y voilà de plain-pied dans le cycle des 2 saisons inégales. Et point besoin d’être émule de Michel de Notre Dame (Nostradamus) pour prédire une saison unique d’ici un autre demi-siècle. L’été qui tend à une précocité qui s’accentue d’année en année ne se fait la malle que le plus tardivement possible. Le climat, les saisons, la végétation, les précipitations, tout est sens dessus-dessous. Est-ce la terre qui vieillit et qui montre les premiers signes qui la feront ressembler à Mars, la planète rouge ? Certes ! Mais la main criminelle de l’homme est l’alfa et l’oméga de cette dégradation menée au triple galop.En vérité, la folie de l’homme ne connaît ni trêve ni limite. L’effet de serre, le réchauffement de la planète, la fonte de la calotte glacière, le climat qui s’affole, la couche d’ozone perforée, la désertification qui avance à grands pas, les pluies acides, voilà un peu les effets pervers et la liste n’est pas exhaustive d’une industrialisation effrénée, d’une surexploitation des ressources naturelles. Contrairement à Dame nature qui prend tout son temps, quantifiable en millions d’années, l’homme est pressé du fait même de la brièveté de son passage sur terre, une vétille en vérité. Et sa pensée toute individuelle, tournée vers la satisfaction de ses besoins vitaux et accessoires ne s’embarrasse guère d’une vision s’articulant autour de l’espèce, de son devenir. L’homocentrisme qui tend à faire de chaque individu le centre de l’univers est à ce point exacerbé qu’il se moque de l’héritage à léguer aux générations de demain, comme de sa première chemise. Et pas question de battre sa coulpe ! Trop orgueilleux, trop imbu d’une importance largement surfaite, trop infatué ! En Algérie, point besoin d’être grand clerc pour s’apercevoir des changements écologiques, des oueds pollués quand ils ne sont pas à sec, le désert qui a pratiquement bouffé les Hauts-Plateaux et son couvert végétal, l’alfa, jadis principale richesse d’un Blachelle, l’une des 3 plus grosses fortunes de l’Algérie coloniale, des forêts qui disparaissent par pans entiers chaque année du fait d’incendies criminels. Qui oserait ergoter aujourd’hui sur un supposé réflexe d’éco-citoyenneté dans un pays entièrement voué à la culture du tout béton ? Nous sommes dans une configuration où il faudrait mettre de l’engrais au pied des poteaux téléphoniques avant d’avoir la tonalité ! Cette phrase sous forme de boutade illustre on ne peut mieux le ridicule, le laisser-aller en matière de protection de l’environnement. Le comble étant sans conteste l’importation d’Espagne de palmiers… Le monde à l’envers !
Mustapha Ramdani