“Yen na-d Umghar”, ou le nouveau souffle d’Aït Menguellet

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Mais aussi, on dit qu’il est parfois facile de percer et d’atteindre la cime du succès. Ce qui est difficile, c’est de se maintenir dans le succès et de ne pas rechuter vers le bas.Dans la majorité des cas, la source d’inspiration de l’artiste reste la misère et les maux qui le cernent, ou bien des douleurs, déceptions d’amour, le plus souvent qui le font parler et chanter de la manière la plus franche. Mais dès que la période est surpassée et que le succès procure confort et renommée, l’artiste, dans ses œuvres, replonge dans le recul et la médiocrité. Mais chez Aït Menguellet, cette règle ne s’est jamais appliquée. Il est un poète chanteur qui ne cesse de se perfectionner et de “s’actualiser” aux évolutions du temps. A travers près de 30 ans de production artistique, Aït Menguellet maintient toujours la barre haute. Cela, ce n’est pas en jouant le jeu et en faisant tout pour se maintenir, comme c’est le cas de la nouvelle politique de “star”. L’artiste s’impose sans qu’il ne le cherche, et sans fournir d’efforts dans ce sens. Aït Menguellet, pour ainsi dire, dépasse le statut d’artiste. Il est comparable à un philosophe, à un sociologue, à un savant issu de la société profonde. Il est doué de la force du verbe et d’un esprit lucide et visionnaire hors pair. Il est là, dans cette même société qu’il n’a d’ailleurs jamais reniée. Il ressent toujours ce que ressentent ses semblables, malgré que son niveau de vie n’est plus le même. En plus de la poésie, le poète chanteur a su, malgré un savoir limité sur ce plan, faire naître et entretenir un style de musique purement kabyle.Les succès d’Aït Menguellet, on les retrouve presque dans chaque nouvelle œuvre. Mais celle qui attire plus l’attention, reste le dernier album, “Yenna-d Umghar” (le sage a dit). Au moment où l’on redoute que l’artiste soit noyé par l’évolution, voilà qu’à la grande surprise, il a rejailli en présentant un produit qui se conjugue parfaitement avec le temps présent, sur le plan artistique et avec tous les temps dans le fond de la poésie. Dans “Yenna-d Umghar”, certainement grâce à son fils Djaffar et à toute l’équipe artistique qui l’entoure, le poète a su introduire une musique classique et universelle mais aussi des textes qui ne sont pas seulement destinés à la communauté kabyle, mais à toute l’humanité. C’est l’universalité dans l’œuvre. En introduisant à la fois le luth et les arpèges, particulièrement dans les chansons “Ini day amghar” et “Yenna-d Umghar”, Lounis a su attribuer une âme et une base qui se conjuguent parfaitement avec le sujet et les textes choisis.“Pourquoi la vie est-elle devenue si sauvageLa justesse est battue par l’erreurOù se situe la limite du malheurLorsque des hommes sont tués par leurs semblables ?Même le ciel a changéCeux qui s’en souviennent l’ont bien ditÔ sage ! Nous t’interrogeonsAu sujet de tout ce qui est en train de prendre forme”C’est en ces termes que Lounis amorce la chanson “Inid-ay amghar”. A travers cette chanson, tel un homme en panne d’imagination, il remet en cause tout d’un coup les actions de l’homme dans sa mission de vie sur terre. C’est comme si l’artiste, en interrogeant. “Amghar”, il cherche des réponses à ses questions. Les questions d’Aït Menguellet au “Amghar” ont trait à la vie du pauvre qui ne trouve point d’aide, à la violence entre les hommes et les peuples, à la justice qui n’a jamais été respectée par ceux qui nous gouvernent. A l’égard que témoigne un naïf envers ceux qui le manipulent. A l’amour tourmenté et oublié sous l’effet des contrariétés de la vie.Evidemment, le poète joue à la fois le rôle du questionnaire et du sage qui offre tout un élément de réponse, pleine de philosophie, réelle et bouleversante.“Le sage quand nous l’avons interrogéNous a répondu que tout ce qui se dérouleA présent, a bien eu lieu avant sous une autre formeÇa été pareil depuis la nuit du tempsEn somme, à travers son génie, c’est toute une psychanalyse de l’homme et de son instinct de domination et d’inclination à faire le mal qui est mis à nu par l’artiste. Evidemment, à travers la réalité de la vie de l’homme, c’est toute celle des sociétés et de l’humanité en général qui est remise en cause à travers ces deux formidables chansons chantées avec enchaînement et perfection.Les autres chansons de l’album ne souffrent pas de manque de qualité évidemment. Dans “Asendu n-waman”, l’artiste dénonce sans mépris mais sans concession aussi, la politique politicienne prônée par certains acteurs. La ruse machiavélique, la triste lutte d’intérêt et de leadership qui caractérise ces mêmes milieux a été dénoncée. Dans cette chanson, “Wi vghen a t segem i segem imanis” ou “la probité commence par soi-même” est devenu un proverbe qui résume tout et qu’on ne cesse d’entonner dans la rue. Dans les deux premières chansons, un vibrant hommage est rendu à tous les poètes, les savants et les illuminés de la société qui ont été décrits par l’artiste comme des éclats de lumière qui illuminent notre vie et des grands parmi nous, mais combien humbles devant le créateur. Bien sûr, il est difficile de décrire à travers ces quelques lignes la portée du dernier album d’AÏt Menguellet. Il reste un franc succès qui a surpris plus d’un. Il est une confirmation de plus que l’artiste est un grand poète, un illuminé et un sage issu de la société profonde. Il est un pilier qui ne cesse de se confirmer, qui nous promet d’autres succès sans discontinuité et ce, grâce à son don, à son génie et à son souffle qui ne cesse de se renouveler.

Mourad Hammami

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