L’écriture n’est que le prolongement, le fixateur de la parole

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Par Dabbia Abrous

La Dépêche de Kabylie : Pourriez-vous retracer pour nous le cheminement qui vous a amené à l’écriture alors que vous êtes médecin de profession ?A. M. : L’écriture a commencé avant la vie professionnelle. J’ai eu l’immense honneur d’avoir été en contact avec de grands hommes, de véritables mythes de leur vivant même. Déjà enfant, j’étais scolarisé dans une école où Mouloud Feraoun était directeur. Plus tard, j’ai fréquenté les cours de Mouloud Mammeri, d’où l’on sort toujours bien outillé. Dans le cadre d’activités culturelles, j’ai eu le privilège d’approcher au moins deux fois Kateb Yacine.Aussi loin que je me souvienne, très petit j’ai porté un grand amour aux langues, surtout la langue kabyle, bien sûr. J’ai toujours dévoré des livres dans les langues…voisines. A cette époque, les livres en langue kabyle, n’étaient pas accessibles, malheureusement. Je ne savais même pas qu’ils existaient. Ajoutez à tout cela une certaine sensibilité, une dose de solitude, un zeste de volonté et la plume démarre. De part le monde et l’Histoire, la médecine a donné des noms à la littérature. Les citer tous prendra beaucoup de temps.

Comment devient-on écrivain dans une langue essentiellement (bien que non exclusivement) orale ? Quelle(s) incidence(s) cela peut-il avoir dans le rapport à la langue ?C’est en forgeant qu’on devient forgeron, c’est en écrivant qu’on devient écrivain. Pour ma part, je ne sais pas si j’y suis arrivé. Mais toutes les langues sont d’abord orales, on a toujours parlé avant d’écrire, ceci est valable pour l’individu et pour les groupes. L’écriture n’est que le prolongement, la suite logique, le fixateur de la parole.Les écrivains algériens autour des années soixante étaient tous plus ou moins mal à l’aise dans leur langue d’écriture bien qu’ils la maniaient avec panache, et quel panache. J’ai voulu me faire l’économie de ce malaise en décidant d’écrire dans ma langue maternelle, et je n’en avais qu’une seule. Cette langue, je l’ai cultivée pendant des années, tentant de la cerner tout en lisant et en digérant les littératures algériennes et universelles.Le rapport à la langue est ordinaire, naturel. Dans mon travail d’écriture, il m’est souvent arrivé de regretter ses insuffisances lexicales notamment quand on l’utilise pour des concepts abstraits. Alors, au lieu de recourir à des termes abscons, il faut de temps en temps recourir aux langues voisines, à très petites doses, ou sortir de la grammaire ! Modernité, même dans le cas des langues, ne rime pas avec purisme !

Que signifie pour vous l’acte d’écriture ?Dans votre question il y a acte et écriture. Je réponds qu’il s’agit d’une action humaine pour représenter la parole et la pensée par des signes conventionnels, l’alphabet en l’occurrence. C’est tout ! C’est en même temps un acte facile, presque inné et difficile puisqu’il est souvent loin de notre pouvoir même si le vouloir est sincère. Au delà de cette définition stricto sensu, il y a toutes les idées, les angoisses, les désirs de celui qui marche et qui parle : l’être humain.Quelques dispositions personnelles, un certain don sont tout de même nécessaires pour éviter le ridicule ou la catastrophe.

Pourriez-vous retracer pour nous l’itinéraire de ce recueil de nouvelles ?Il s’agit d’un ouvrage que j’ai écrit il y a longtemps. C’est un travail de fiction ordinaire. J’ai axé ces nouvelles sur le thème du retour. Vous savez comme moi ce que ce terme véhicule comme peurs, incertitudes dans les sociétés migratoires en général et kabyle en particulier. Quand on dit de quelqu’un qu’il est parti et le faire suivre de “a ur ci-yughal”, c’est une phrase d’un chargement terrible ! Partir, pour les siens, c’est une petite mort. On a beau être bien ailleurs, on n’est jamais mieux que chez soi ; le rêve perpétuel de celui qui est un jour parti, quoiqu’il dise, c’est de revenir, qui dans la folie, qui dans la détresse, très peu dans la fortune, et malheureusement très souvent dans une boîte en sapin. Beaucoup pourtant ne reviennent pas, nous ne saurons jamais ce qu’ils sont devenus.

Vous n’êtes pas seulement auteur de romans et de nouvelles, vous êtes aussi poète et parolier, pourriez-vous évoquer pour nous cet aspect de votre activité littéraire ?J’ai écrit mon livre “Tafunast igujilen” très jeune, presque dans une autre vie. Les animateurs de la revue “Tisuraf”, parmi eux Mohand u Yehia, l’ont édité en 1977. Il pourrait encore exister quelque part assez de matière pour remplir encore deux ou trois volumes, mais les temps que nous vivons ne sont pas du tout propices : les gens se soucient très peu de poésie surtout quand elle est atypique. L’édition à compte d’auteur, à perte, n’est pas la solution.Le poème a l’avantage d’être une pièce courte qui vient ou ne vient pas. Contrairement aux autres formes d’écriture, ce n’est pas un travail de longue haleine, qui demande réflexion, planification, réalisation. On peut écrire un poème aussi bien dans un café, un autobus, une salle de garde ou dans son lit ! Quelqu’un qui s’échine à compter les rimes sur ses dix doigts perd toujours son temps et une énergie qu’il pourrait investir ailleurs, pour paraphraser Léo Ferré, “il est peut-être comptable mais pas poète.” En cours de route, au fil des années, il arrive que la fibre poétique, véritable don du Ciel, s’érode, s’émousse et finit par être perdue, mais elle existait au départ. Il n’est pas donné à tout le monde d’écrire un beau poème ! En kabyle, ne dit-on pas « tettunefk-as” ? Quand cette fibre s’éteint, on dit : “fukken-as”, il est bon alors de s’arrêter en s’obstinant, on tombe dans le rabâchage et les clichés ressassés ! Le cercle des poètes est vraiment restreint, qui peut se targuer d’en faire partie ? Par ailleurs, je pense sincèrement que tout travail bien fait est une forme de poésie ! Le parolier, c’est quelqu’un qui travaille, parfois sur commande, avec un artiste, le travail de l’un enveloppant le travail de l’autre pour créer une chanson. Je n’ai jamais été parolier, mais quelques chanteurs ont pris l’initiative de puiser dans mes textes comme s’ils faisaient partie du domaine public. lIs ont si peu demandé mon accord.

D. A.* universitaire

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