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La marâtre et le père remarié

(3e partie)

La cadette qui a assisté à toute la scène se réjouit. Elle appelle ses sœurs à prendre possession des lieux.Elles sont émerveillées par les richesses trouvées. Elles sortent de l’antre du chat pour admirer le paysage d’une grande beauté. En contrebas sur l’autre flanc de la montagne, s’étendait une ville insoupçonnée. Elles s’y rendent. Mais point d’habitants. De plus en plus intriguées, les sept filles arpentent les rues de la ville désertée. Tout à coup, elles aperçoivent un vieillard paralysé adossé à un mur. Elles se rapprochent de lui et lui disent en chœur :- Ay ghar akka Thamd’int thekhla !(Pourquoi la ville est déserte ?) Où sont ses habitants ?- Cela se voit que vous n’êtes pas d’iciAmchiche amoqrane ikhla thamd’int-a(Un gros chat a dévasté cette contrée). C’est l’ancien roi de ce pays, il a été métamorphosé en chat par Dieu à cause de ses exactions sur la population. Son palais a été englouti. Mais même devenu chat, il était aussi cruel et méchant que quand il était le commandeur de cet endroit. Il a tout détruit, tout ravagé, tout chassé. Que Dieu le maudisse et qu’il rôtisse en enfer !- Le chat dont vous parlez n’existe plus lui dit la cadette. Je l’ai vu brûler de mes propres yeux dans les flammes d’un foyer. La contrée est débarrassée définitivement de lui. Tout danger est écarté. La population peur revenir habiter !- C’est une très bonne nouvelle que vous m’apprenez, je vous remercie. Dites à tout le monde que le règne de la terreur est terminée. Désormais c’est la paix !Les sept filles retournent à la grotte du chat, mais ne la retrouvent pas « s-elqid’ra rebbi », (par la grâce de Dieu). La grotte est devenue palais, pareil à celui qui a été englouti. Elles prennent possession des lieux et ne tardent pas à se marier à des princes venus des autres contrées. Seule la cadette refuse de se marier. Quelque chose en elle lui dit que malgré les richesses possédées, son bonheur n’est pas encore complet. Contre toute attente, un jour en flânant dans les rues de la ville, la cadette remarque un homme mal habillé. Il était voûté et tenait dans sa main un grand bâton, comme celui que portent les pèlerins pour s’appuyez dessus ou se défendre contre les bêtes sauvages ou les serpents.Elle s’approche de lui, quelque chose lui dit qu’elle le connaît. Pour avoir le cœur net, elle l’interpelle.- Anis id oussidh ay argaz avarani ?(D’où viens-tu étranger ?)- De l’autre côté de la montagne, ma fille !L’intonation caractéristique de la voix de l’homme fait sur la jeune fille l’effet d’une morsure de scorpion. Elle vacille, l’émotion est trop forte. C’est la voix de son père qu’elle a entendue. Sans hésiter, elle le regarde dans le blanc des yeux et lui dit :- Nek d’illi-k’ a vava aâzizen(Je suis ta fille cadette, père chéri !)Le pauvre père est interloqué. C’est la surprise de sa vie. Il a le souffle coupé. L’émotion étant trop forte, il s’assoit à même le sol et se prend la tête entre ses mains.Sans regarder sa fille richement habillée, il lui demande pardon d’avoir mal agi. Elle se baisse elle aussi, le relève et lui dit :- Ayen iâdan iâda. Achou id-d ibbin gher d’a !(Ce qui est passé est passé, dis-moi qu’est-ce qui t’a amené ici !). – C’est mon destin ma fille. Dans mon sommeil, une voix m’a dit :- Issi-k’ edrentAouin youyeth rebbiRouh’ ghorsentLa-k tsrajount irkouli(Tes filles sont encore en vie, insensé va les rejoindre, elles t’attendent), dépêche-toi d’y aller ! Prends le chemin de l’ouest, là où le soleil se couche.J’ai obéi à l’impulsion de cette voix, errant par les chemins poussiéreux. Mon espoir de vous retrouver est grand, comme est incommensurable ma honte. Le remords me ronge tout le temps, jusqu’à cet instant. Je suis un père indigne, faible et inconscient. Je me suis laissé dominé par ma femme « iyi khlan akham ! » qui a disloqué ma famille. Après m’avoir obligé à vous abandonner, elle m’a tyrannisé, humilié, et a fini par me chasser moi aussi. Ce n’est pas une femme que j’ai épousée, mais une diablesse capable de toutes les bassesses et de toutes les félonies. Je mérite la mort, pour tout ce que j’ai fait.Au fur et à mesure qu’il narre son récit, la cadette ne peut se retenir de pleurer. Elle serre très fort son père contre elle, lui tient la main et le fait rentrer au palais où elle est la maîtresse.Elle appelle ses sœurs mariées, le pauvre vieux est penaud et baisse les yeux devant ses filles.Elles l’entourent et lui disent en chœur qu’elles lui pardonnent son attitude. Leur père pleure.La cadette le garde avec lui, quelques mois plus tard elle se marie à un prince, en présence de son père et de ses sœurs réunies.Les noces durèrent sept jours et sept nuits. »Our kefount ethhoudjay inouOur kefoun irden tsemzine. As n-elaïd anetch aksoum tsh’emzine ama ng’a thiouanzizine. »(Mes contes ne se terminent comme ne se terminent le blé et l’orge. Le jour de l’aïd, nous mangerons de la viande et des pâtes, jusqu’à avoir des pommettes rouges et saillantes).

Lounes Benrejdal

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