“Avghigh a dinigh”, nouvel album

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Dès son jeune âge, il a prêté serment de défendre sa langue et sa culture tout comme ceux qui se sont sacrifiés bien avant lui. Les évènements se succèdent dans sa vie. Lui, il découvre encore l’oppression, notamment durant les événements du Printemps noir où il se mêle dans le mouvement citoyen. Il connaît alors les affres de l’emprisonnement aux côtés de ses co-délégués. “Non, je ne suis pas Arabe, Nekkini”… suivie de cinq autres chansons Tizi N Wass a, imazbayen, ahya tulawin, rwah rwah, talmilti…” ont complété le titre maître. Cet album arrivé dans la foulée a été une réussite. En ce début de l’année, égal à lui-même, Qesrayen produit un quatrième album qui va dans le sillage de ses autres cassettes. Après deux ans consacrés à “Avghigh adinigh”, (je veux dire), Qesrayen revient sur scène. Nous l’avons approché et il a aimablement répondu à nos questions au sujet de ce produit. Suivons le fils de la Kahina pour comprendre son message…

La Dépêche de Kabylie : Qesrayen est prêt ?Bon, après Nekkini maci d…, j’ai arrêté quelques temps à cause surtout du mouvement citoyen. Il fallait tout de même se consacrer à cela.

Un quatrième album ? Peut-on en connaître le contenu ?J’ai pris tout mon temps. C’est un travail de longue haleine. Il fallait examiner ce qui a été fait, consulter ses amis pour ensuite avancer. Mais d’ores et déjà, j’estime qu’il s’agit d’un produit réussi, surtout au studio d’enregistrement de Chéraga sous la direction de Farid Yemani.

Bon. Revenons donc à cet album. Est-il est prêt ?Oui, il sera en vente d’ici la fin du mois en cours. Son titre est Avghigh adinigh, (je veux dire). D’ailleurs, ce titre apparaît dans les autres chansons.

Peut-on savoir ce que tu veux dire ? Bien sûr, tout. Je m’en fous. Autrement Hamlagh kem (je t’aime) d’une autre manière dans son aspect positif et dans son aspect négatif. Quant à Amahvos iw, la deuxième chanson de l’album, ce sont surtout les sentiments qu’éprouve la bien-aimée lorsque quelque part son bien-aimé est détenu, ailleurs. Vous savez, c’est vraiment difficile.

Qesrayen, dans cet album, on sent quand même que tu as fait allusion aux changements opérés dans nos villages. C’est une nostalgie, non ? C’est parfaitement cela, dans Acfawat (souvenirs), c’est un tout : thadart a changé, l’amour dans le village, les veillées entre amis. Je n’ai pas oublié d’appeler Açalhin ag mzalen (les Saints) pour nous venir en aide et protéger thadart de tous ces maux qui la rongent. Si vous permettez, je vous cite un morceau de notre grand poète Si Muh Umhend.Asmi lligh d acawrarazziniw yufrarixdem vava felli nekseb tighza n camlalnarna idurareudagh d ssaba ir rulitura misendegh s ufalzzher iw imal ihesra ghaf zikini. Dans cette chanson, vous trouverez beaucoup de dictons que j’ai introduits pour donner ce cachet un peu social à la vie dans thadart.

Qesrayen chante l’amour, n’oublie pas les traditions berbères, et il ne peut aussi jeter l’éponge sur son engagement dans le mouvement citoyen, n’est-ce pas ? Et oui ! Je ne regrette rien.Tadyent iw, c’est mon cas dans le mouvement. Ici, c’est moi et les autres : le détenu, le blessé, le martyr du Printemps noir. Cela nous plonge dans l’histoire. La Kahina, Jugurtha et… aka nekini tura (c’est comme ça, nous maintenant). En fait, ce slogan et répété à chaque fois qu’il y a mouvement. C’est une continuité dans toutes les revendications 1980, 1986, 1988, 2001. Et c’est une façon de dire que la Kabylie a été toujours le bastion des luttes.

Dans Timanit (l’autonomie). Quel est ton point de vue ? Elle est de fait. La Kabylie a quand même ses spécificités. J’adhère à l’idée et je l’assume. Nous avons mené des luttes sans pour autant tirer les dividendes. Le peuple kabyle a été toujours ainsi, Shushneq et le Pharaon et d’autre. D’ailleurs, j’ai appuyé Timanit avec des dictons tels.Ava awatnegh, ammi ekelneaghEn tout cas, ce n’est pas une tare. Qu’on l’appelle autonomie ou régionalisation ou autre, ce n’est pas là l’essentiel, mais c’est cette particularité.

Parlons un peu du côté purement musical…Je vous ai dit que l’enregistrement a été fait dans un studio de renom car les arrangements se sont déroulés sous la direction d’un type qui a fait ses preuves, et avec des musiciens de grande qualité, le naï flûte avec Youcef Saou, violon Kheireddine, percussoin Saïd Kaïdi et le duo avec Numidia.

Qesrayen a abandonné l’idée de chanter dans d’autres langues, pourquoi ? Non, ce n’est pas que j’ai laisser tomber cette idée à l’eau, mais parce que proprement dit ce n’est qu’un problème de scène. Et parfois aussi les langues utilisées n’ont pas d’audience.

Pendant toute cette période de préparation, il y a eu quand même d’autres activités ? Un chanteur ne se repose jamais. J’ai participé à des galas au campus de Bastos et à l’occasion de Yennayer, à la Maison de la culture Mouloud-Mammeri. C’était merveilleux parce que le côté technique a été bien pris en considération.

Des émissions à la radio ? A la télé ? Sincèrement, pour la Télévision algérienne, je n’ai pas encore pensé. J’avais fait une tentative en 94/95. Cela n’a pas abouti pour un petit problème de principe. Mes chansons sont écoutées à la chaîne II, à Radio Soummam. Je prépare une émission pour BRTV avec Bélaïd Tagrawla et un autre projet avec M’henna Boudinar.

Qesrayen n’est pas seulement artiste. Il est aussi parmi les premiers enseignants qui ont pris le taureau par les cornes pour enseigner Tamazight. Au juste, où en est cet enseignement ? Depuis dix dans déjà que tamazight est enseignée. Il y a toujours des enseignants qui ne sont pas régularisés, d’autres non payés. Le printemps ne sera pas que trop noir pour eux. En toute sincérité, dans le système tel qu’il est conçu, il ne faut s’attendre à une prise en charge sérieuse. Si on donne quelque chose, ce n’est pas pour la promotion de tamazight. Je suis pertinemment persuadé que si la chaîne de télévision était réalisée, elle ne profitera pas aux vrais défenseurs de la cause. C’est un leurre de dire qu’il y aura un avenir.

Le mot de la fin ? D’abord, j’ai un avis sur la chanson kabyle. Il faudra sauvegarder ce patrimoine légué par nos anciens. Je suis contre tous ceux qui font de la chansonnette ou des reprises car la valeur du verbe est… occultée. Justement, il ne faudrait pas donner l’occasion à tous ceux qui veulent faire de la chanson kabyle uniquement du folklore. A travers les reprises, c’est une façon d’’étouffer les voix qui nous ont réveillés. On entend peu les Abranis, Matoub, Cherif Kheddam et les faiseurs de mots. Enfin, ma pensée va aux martyrs qui n’ont rien vu, aux détenus et aux blessés et tous les anonymes qui ont tout donné et qui sont marginalisés. Je fais allusion aux poseurs de bombe (Ahcene Cherifi, Mohamed Haroun…) et bien d’autres.

Entretien réalisé par Amar Ouramdane.

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