Aux confins de l’autre rive

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La place Noël Blache vers laquelle convergent les cinq grandes avenues du centre-ville de Toulon est plutôt calme en ce milieu de matinée de la fin du mois de juin. La radio annonce une température moyenne de 28 degrés Celsius. A l’angle du boulevard Clemenceau qui serre la place de son côté Est, un groupe de jeunes Algériens, avec leurs attirails de touristes, discute depuis quelques minutes avec un vieux apparemment bien décidé à ‘’vider son sac’’ au vu de sa volubilité et des gestes accompagnant ses paroles. La conversation se passait moitié en kabyle moitié en français. Et c’est sans difficulté que nous abordâmes le groupe pour assouvir notre curiosité. Le plan Michelin de la ville, acheté la veille, dans une main, un mini-poste radio branché sur Monté Carlo dans une autre, nous demandâmes aux compatriotes l’objet de leur visite sur la côte française de la Méditerranée. C’est Omar, visage rondelet et souriant, qui nous répond sans attendre : «Le monde est petit, voyez-vous ! Avant de vous demander, à vous,ce que vous faites ici, j’aimerais vous dire que nous venons de vivre une surprise de taille. En faisant de l’auto-stop sur l’autoroute A 57, le hasard a voulu que nous tombions sur cet Algérien de Kabylie qui nous a pris depuis Cannes. Nous venions de Turin, en Italie. A Vintimiglia (Vintimille en français), ville italienne située à quelques kilomètres de la frontière française, nous étions vraiment indécis sur l’itinéraire que nous allions suivre pour visiter le sud de la France. Et c’est en cinq haltes que nous fîmes le trajet jusqu’à Cannes. De là, dda Belaïd, présent ici devant vous, vint comme un ange envoyé par le bon Dieu ». Dda Belaïd prend le relais pour enchaîner : «Ce n’est pas la première fois que le hasard me fait rencontrer mes compatriotes sur la route. Cela fait quand même quarante ans que je circule sur les routes françaises, en tant que camionneur à la fin des années cinquante, en taxieur pendant les années soixante-dix et avec ma petite bagnole de retraité depuis quelques années». Lorsqu’il quitte son kabyle pour parler dans un français assez correct, dda Belaïd adopte instinctivement l’accent marseillais. Karim, un élément du groupe au crane rasé, fit cette remarque : «N’est-ce pas l’accent de Charles Pasqua avec une suavité particulière ?». Dda Belaïd refuse d’être comparé à cet ancien ministre français de l’Intérieur. «Aucune ressemblance !», argue-t-il. Une histoire algéro-françaiseSi le groupe a maintenant dépassé une demi-heure de discussion, c’est que le sujet mérite vraiment l’attention. Dda Belaïd racontait en fait comment s’est effectué le débarquement des Alliés à Toulon pour combattre les forces de l’Axe sur les terres françaises. Le sujet nous a complètement séduits d’autant plus qu’une grande partie de nos ancêtres, jeunes appelés du service militaires ou rappelés pour la guerre, y a pris part. Nous retrouvons même, par recoupement, des informations que nous détenons déjà en Kabylie sur cet événement capital de la seconde Guerre mondiale. Les jeunes de Kabylie et des autres régions d’Algérie étaient mobilisés dans ce qui fut hypocritement appelé les ‘’Chantiers de la jeunesse’’. Parqués dans les mines désaffectées de Oued Rouina, dans l’Ouarsenis ( dans l’actuelle wilaya de Aïn Defla), ils subirent pendant plusieurs mois une instruction draconienne dans le dénuement le plus total. À l’approche de l’été 1944, ils seront acheminés sur Oran, plus précisément à Mers-El-Kébir, siège de la Marine coloniale. Là, ils rencontreront leurs compagnons d’infortunes de l’Afrique de l’Est Française et de l’Afrique de l’Ouest Française (AEF et AOF) que leur destin de ‘’chair à canon’’ a réunis dans cette base française d’Algérie. De là, sous le commandement d’un général américain, les troupes franco-américaines passent en Italie, traversent le golfe de Gênes et abordent les côtes françaises. Conjointement avec la Résistance intérieure organisée contre l’occupation allemande, les soldats tentent de gagner la terre ferme. Le débarquement sur les massifs des Maures et de l’Estérel sous le commandement du général de Lattre a eu lieu dans des conditions extrêmement difficiles. Pour gagner la terre ferme, raconte un soldat de la Haute Kabylie, il a fallu procéder à l’installation de radeaux de fortune faits de planches et de troncs d’arbres. Le défi fut relevé et les forces allemandes furent coincées d’une façon inattendue. C’est ainsi que la ville de Toulon fut libérée, en grande partie par les Nord-africains, le 27 août 1944. Dda Belaïd confirma certains détails que lui avaient rapportés sur ces journées de sang et de feu dans et autour de la ville de Toulon. Lui, il n’a pas cessé d’appuyer sur l’apport des Algériens dans la libération non seulement de Toulon, mais aussi de Cannes, Marseille, Belfort et d’autres contrées françaises. Sans que nous nous rendions compte, le temps passe et la montre marque déjà treize heures trente. Omar sort une bouteille d’eau minérale Vittel ayant perdu sa fraîcheur depuis longtemps. C’est dda Belaïd qui nous convie dans un café jouxtant Square Kennedy pour prendre des rafraîchissants. La sueur gagne nos corps déjà bien éreintés par la position debout que nous avions adoptée presque inconsciemment tout au long de la conversation.

Un piton sur la Méditerranée C’est au milieu de l’après-midi que nous eûmes droit à la visite du mont Faron surplombant la ville de Toulon à 584 m d’altitude. C’est l’un des plus magnifiques postes d’observation du département du Var qui domine la mer Méditerranée. C’est aussi une belle forêt suburbaine traversée par une route sinueuse à plusieurs bifurcations. Dès le début de l’été, des touristes venant d’Italie, d’Allemagne, de Paris, de Londres et même d’Asie parcourent lentement les méandres tracés par la route de colline. D’autres se livrent au plaisir du téléphérique qui traverse en largeur la partie ouest du massif. La meilleure façon d’approcher les éléments de la nature est sans aucun doute de s’armer de courage et de bonne volonté pour une virée pédestre. Cela permet aussi, à certains endroits, de capter dans son champ visuel une partie de la mer et les villes de la Seyne et de Six-Fours séparée de Toulon par la baie de la Seyne. Les anciennes forteresses juchées sur le mont sont toujours là. Elles font l’objet de visites pendant toute l’année. Fort de Croix Faron, Fort Faron, Mémorial du Faron, Fort Saint-Antoine et d’autres monuments parsèment cette espace de verdure où se côtoient toutes les espèces végétales de la Méditerranée.La ville de Toulon, chef-lieu du département du Var, a une population d’environ 200 000 habitants, tandis que l’ensemble de l’agglomération urbaine dépasse 500 000 habitants. Les villes de banlieue sont de coquets villages où dominent les toitures en tuile. Souvent, les maisons sont enduites de peinture ou de chaux très blanche, ce qui crée un superbe contraste avec les bosquets et les espaces verts ceinturant la plupart des quartiers. Sanary-sur-mer, la Seyne, Six-Fours-les-Plages, la Valette et, plus loin à l’est, Hyères, constituent pratiquement un continuum urbain bordant la mer et longé par l’autoroute A50 venant de Marseille et son prolongement, la A 570, qui pénètre dans la ville d’Hyères (environ 7 km). Les autres villages, situés sur les hauteurs de Toulon et incrustés dans des massifs forestiers ou garrigues, sont moins imposants mais d’un pittoresque indéniable. Il en est ainsi de Solliès-Pont, Evenos, Ollioules, Cuers, …etc. Sur l’autoroute qui continue sur Cannes, Nice, Monaco et l’Italie, la circulation se fait de plus en plus intense au fur et à mesure que le jour décline. Les deux grands massifs des Maures et de l’Esterel, dont l’autoroute suit les limites septentrionales, obstruent la vue de l’observateur qui serait passionné par la mer. Ce n’est qu’arrivé à Fréjus, ville du Var bâtie sur la plaine de l’embouchure de la rivière d’Argens, qu’une brèche s’ouvre à la vue laissant entrevoir le bleu azur de la Méditerranée. Sur le même chemin, à mi-chemin entre Fréjus et Cannes, se dresse sur la gauche un beau panorama : c’est le lac de Saint-Cassien traversé par la route départementale 37 qui rejoint la route Grasse-Draguignan. Un peu en aval du lac, on nous montra l’emplacement de l’ancien barrage de Malpasset qui, le 2 décembre 1959, après la rupture de sa digue, dévasta une partie de la ville de Fréjus et fut à l’origine de la morts de près de 500 personnes. À l’ombre du boulevard Leclerc Retour au centre-ville de Toulon. Par ces journées caniculaires, qu’on le veuille ou non, les discussions et les potins tournent autour de la Coupe du monde. La France était visiblement mal partie. Les nuls obtenus contre la Suisse et contre la Corée ont suscité plus que l’ire des fans de Zizou ; ils ont provoqué la déception et le dégoût. «Domenech n’a plus rien à faire chez les Bleus, il doit partir !” Un groupe de touristes suisses fut hué devant un café du boulevard Leclerc juste après la fin du match contre la sélection helvétique. Le match fatidique contre le Togo, s’avérera, après l’annonce du résultat (2 à 0 en faveur de la France), une source de malaise ou de victoire ayant un goût d’inachevé, et pour cause : la vox populi pense que la rencontre a été monnayée, le Togo n’ayant en tout cas rien à perdre dans cette affaire. Vrai ou faux, une rumeur ‘’à l’algérienne’’ a fini par installer des doutes et actionner moult sarcasmes au point que certains ont qualifié l’équipe de France de gérontocratie de l’époque moderne ! Des élèves du lycée Bonaparte du centre-ville sortis de l’épreuve de bac philo spéculent sur l’avenir incertain de la sélection des Bleus, histoire d’oublier sans doute la spéculation philosophique autrement plus coriace à laquelle ils ont été invités ce jour-là. La place Gabriel Péri et le jardin Alexandre 1e qui lui fait face sont bondés de monde en cette matinée chaude et humide de juin. Ce sont, pour la plupart, des élèves candidats au bac accompagnés de leurs amis. La lecture des commentaires de journaux sur les épreuves de l’examen remplace les baladeurs et autres MP3 de la semaine passée. Nous rejoignons la gare ferroviaire à la place Albert 1er. Ici, on parle toutes les langues : italien, allemand, arabe, kabyle, dialecte corse, espagnole,…Les gens se démènent à gauche, à droite, la sueur au front. Les distributeurs automatiques de billets sont assaillis depuis des heures, mais le système marche à merveille. Nous ralliâmes la gare Saint-Charles de Marseille en fin d’après-midi.

Amar Naït Messaoud

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