Les maux et les mots du cœur

Partager

Reportage de Djaffar Chilab

Hacène Ahres est de ces chanteurs Kabyles qui ont presque tout eu : une carrière, une renommée, un succès qui a dépassé les frontières, du fric, une belle vie de famille épanouie, et un avenir très éclairé qui pointe à l’horizon. Mais il se veut toujours le même. Le triomphe ne lui est pas du tout monté à la tête. Il évite toujours de trop se montrer. La « star mania », ce n’est pas du tout son truc. « Y’a pas mieux que la simplicité dans la vie ». C’est sa manière à lui de voir les choses. Il a largement les moyens de se taper une grosse cylindrée mais il préfère rouler en Saxo. Il n’hésite pas non plus à se noyer dans la foule populaire pour déguster un café. « Pour moi la meilleure saveur que puisse avoir un café c’est celle de le partager entre potes. Je n’ai jamais oublié d’où je viens ». C’est de la sorte qu’il nous rétorquait, mardi dernier, lorsqu’on le surprenait dans une cafétéria à Tizi Ouzou en compagnie de Mouloud Ait Ameur, un artiste lui aussi, même si les gens le reconnaissent plus en animateur de télé. D’ailleurs il est en Kabylie pour préparer son émission mensuelle sur BRTV qui sera cette fois consacrée à Aït Menguellet. A table, on surfe sur des tas de sujets. On évoque la chaîne, Paris, le nouveau produit de Hacène, et…le vœu le plus cher de Mouloud. En fait, il en a plusieurs, comme par exemple réserver le plus de surprises possibles à Lounis le jour ou il l’aura sur son plateau mais, il en a un qui le tient particulièrement…à cœur. C’est son affaire. Hacène est préoccupé par son double album en fin de chantier, et son paternel très malade ces derniers temps. « La maladie de mon père me perturbe. Ca me rend malade aussi. C’est difficile à expliquer ce genre de sentiments. Ca vous peine, vous avez un intérieur affecté, vous êtes comme enchaîné, rien ne vous tente…Surtout quand vous n’y pouvez rien ».

La maladie de son père l’angoisseL’homme a visiblement très mal pour son père alité depuis près de six mois. Ils sont très liés et complices. « J’ai toujours été proche de lui. Un jour il m’a dit que gamin, quand je pleurais, il me faisait écouter une cassette de Idir, et je souriais instantanément. La suite elle est là : Je ne suis pas Idir mais il m’a toujours inspiré. » Dans le temps, il a eu aussi d’autres idoles même si aujourd’hui il préfère, manifestement par fierté à sa région natale, mettre en exergue les Boulifa et Salem Chaker tous enfantés par cette région de Irdjen. Lui, il a vu le jour dans la bourgade de Aadhni précisément un certain 3 janvier 1966. Il est issu d’une famille de neuf enfants, « on est plus qu’une équipe de hand » commente t-il avec ironie. « Le temps m’a appris à avoir énormément de respect pour mes parents », surtout pour  » le vieux  » qui a fait carrière dans la maçonnerie. Il en a fait son métier pendant quarante ans. « Il était parmi les maçons qui ont bâti l’hôtel Lala Khedidja ». C’était à l’époque bien sûr. Le petit Hacène, lui, poursuivait tant bien que mal son cycle scolaire. Il a été jusqu’en terminale avant d’aller suivre une formation de technicien supérieur de la santé à Alger, et décrocher le titre. Il n’y croyait pas trop, lui qui s’était déjà emballé pour la chanson, mais il a fini par l’avoir. Il est vrai que manier une guitare est de loin moins complexe qu’une seringue. « A huit ans, je maîtrisais déjà la guitare. Enfin, c’était un bidon de huile à un fil mais je jouais bien avec, surtout « Arnouyass Amane A Khali ». C’était la première chanson que j’ai appris à jouer ». En 1985, il a réussi un brillant passage chez le redoutable Medjahed Hamid qui « sévissait » alors sur la chaîne 2. Ce qui l’a encouragé à enregistrer sa première cassette « Fihl Immetti », avant d’aller sous les drapeaux à la caserne de la santé de Bel Abbès. Au moins, son diplôme lui a servi à cela. Sur place, il se surprendra en réussissant à se placer major de promotion dans un concours subi lors de l’instruction. Ce qui lui permettra de choisir son affectation au Ministère de la défense à Alger ou il accomplira le reste de son engagement en service civil. A sa sortie, Hacène se débarrassera une bonne fois pour toute du tablier blanc qu’il troquera contre une mandoline. Il s’est alors mis pleinement dans la chanson malgré les réticences des parents. « J’ai résisté, et puis j’ai fini par prendre le dessus ». L’année 1992 allait alors être la bonne pour lui avec à la clé la quille, une deuxième cassette, « Sadsit, S’farhit » qui fera un grand boom, et un heureux mariage. Quoi demander de plus ! Le petit oisillon se sent alors prêt pour voler de ses propres ailes.

Destiné au métier de médecin Il s’en va alors s’installer à Alger à la conquête d’une autre vie. Mais voilà que cette dernière lui réserve une pénible épreuve. Un grand choc qu’il a dû endurer en 1994 lorsqu’il perdit ses jumeaux : un garçon, et une fille après une semaine de leur naissance. « C’était atroce à vivre. Mais je préfère ne pas en parler. Je n’aime pas provoquer la pitié des autres. Je laisse les gens m’apprécier pour ce que je fais, point.J’ai horreur d’attirer l’attention par compassion. Je me dis que ça a été une page noire comme chacun peut en avoir dans sa vie privée. Donc à dépasser sans trop pleurnicher devant son entourage. Je n’aime pas ça », lâche t-il avec ce gros chagrin qui refait surface dans sa tête. Difficile à effacer, à oublier ! Ce jour là, Hacène avait pourtant tout prévu pour célébrer cette première naissance en fanfare, avec un grand concert à la salle Atlas. Avant que l’événement ne vire au cauchemar. Le récital n’aura finalement pas lieu. Les nouveaux nés décéderont le jour même. Ainsi en a voulu le destin. Hacène se résignera alors à le subir avec ses belles, et moins belles choses, une année durant. Avant que Cilya, sa fille aujourd’hui âgée de 10 ans ne vienne lui rendre le sourire en 1995. Elle naîtra en même temps qu’une nouvelle cassette, « Khas Ilssiw Amissemah ». L’année d’après sera autant heureuse pour l’artiste qui sortira un autre succès, « Thavrat B’woul », et sa petite famille qui s’élargira davantage avec l’arrivée de Nassim. Puis en 1997, Thiziri, sa deuxième fille, accompagnera au monde « Walikan, » un autre tube. L’homme et l’artiste ont comme passé un deal pour bien rattraper le bonheur: un tube pour un enfant, et « le reste on verra après ». Hacène se reprendra alors en cumulant succès sur l’autre. Le secret de sa réussite, il ne le doit à personne sauf à son public. « C’est lui ma grande motivation, il me procure l’envie de toujours chercher du nouveau, de chanter encore et encore. Ma grande satisfaction, ce sont ces moments que je partage sur scène avec ceux qui m’aiment en face, dans une salle remplie qui reprend en chœur le refrain d’une chanson. C’est cela la réussite d’un chanteur. Lorsqu’on vous reprend, là je me dis que j’ai touché le bon point. Au fond c’est le bonheur, je me dis que finalement ce que j’ai fait, ce n’est pas pour rien. On m’a reçu cinq sur cinq. C’est une récompense légitime qui soulage. On réalise qu’on ne chante pas pour rien même si je ne fais que retracer mon histoire. Je n’invente rien, et je n’ai jamais triché, je ne me permettrai jamais de jouer avec les sentiments de ceux qui m’écoutent. Je suis sincère. Je suis comme ça. Je croque le présent, je le vis pleinement, qu’il soit noir ou blanc, et lorsqu’il devient passé, j’y retourne pour me ressourcer ». C’est sa philosophie. C’est ainsi qu’il restera silencieux en 1998 « après l’assassinat de Matoub, et la mort de Kamel Messaoudi. Tout est resté figé à cette période, et moi j’étais en plein dedans. Sur le coup tout le monde a été comme hypnotisé. On a eu du mal à réaliser le drame. Lounès était avant tout un ami. Je l’ai connu en 1986, et c’était le premier à qui j’ai fait entendre ma première chanson. Je lui ai fait l’ouverture pendant neuf jours de suite à l’Atlas en 1992 sans avoir mon nom à l’affiche du spectacle. Sincèrement, je ne l’aurai certainement pas fait pour un autre… » Pour Matoub, Ahres en fera plus. Il lui dédiera une année après sa mort, son nouvel album, « Khas Aka Th’ghavedh », et son retour sur la scène qu’il a entamé en terre helvétique avant d’être du premier Zénith consacré justement au rebelle en France. « C’était mon premier grand spectacle en France », avoue l’artiste avec modestie. En 2000, Ahres sortira un autre album, « Thigharssi », un véritable réquisitoire sur « la déchirure » qui affecte la Kabylie d’aujourd’hui. Pour lui, sa contrée natale a trop subi.

« Je croque le présent et je m’inspire du passé » Il fait son procès et dit des choses qui ne réjouissent pas forcément. « C’était mon témoignage. Et c’est vrai qu’on ne peut pas plaire à tout le monde…Je n’ai aucune prétention mais je ne me gêne pas pour dire ce que je pense. C’est mon tempérament ». En 2002, il restera fidèle à lui-même lorsqu’il laissait exploser sa colère contre « les tireurs de ficelles, et ceux qui ont profité » de cette période où la Kabylie était à feu et à sang. Son album de l’année sera un hommage poignant aux martyrs du « Printemps noir « .  » Ce fut une halte nécessaire pour tout Kabyle qui se respecte. Ce n’était pas possible de rester sans rien faire, sans rien dire. Ca serait alors se renier. Et nous les Kabyles, on est trop fier…On l’a payé cher, de notre sang, mais l’honneur a été sauf. L’histoire le retiendra à jamais ». Après le deuil, Ahres repart alors pour de nouvelles conquêtes, à la découverte d’autres horizons pour donner une autre dimension à sa carrière d’artiste. Il s’aventure alors dans une tournée internationale qui le conduira aux Emirats Arabes, en Belgique, et en France entre autres. Il traversera aussi l’Algérie d’Est en Ouest. « Franchement, j’ai vécu des moments extraordinaires. C’était fabuleux d’entendre un compatriote qui me réclamait une de mes chansons à… Dubaï.C’est un plaisir ! » En somme Ahres est allé se recharger en encouragements et en motivation. « La tournée m’a gonflé. Ca m’a fait du bien. Ici, les gens sont autant encourageants, et reconnaissants. Ils me donnent la force de faire plus. Je m’efforce à ne pas les décevoir… Enfin malgré tout ». En fait, l’artiste est aujourd’hui terriblement partagé entre le devoir d’aller vers ceux qui l’aiment, qui attendent le nouveau Ahres, et cette boule née de la maladie de son père qui lui lie les mains. Et pourtant, il a un double album fin prêt depuis plusieurs mois déjà et un VCD qui devraient sortir incessamment. Les clips ont été tournés un peu partout, notamment à Timimoun, Béjaia, Tizi-ouzou, avec d’autres images de concerts en salles. « C’est dur, je n’ai vraiment le cœur à presque rien. Si je sors le produit, je dois le suivre sur le terrain, ce n’est pas évident dans mon cas. C’est un produit qui a été annoncé, et reporté par trois fois, je ne veux pas commettre la bêtise pour la quatrième fois ». De ce qui peut se savoir pour l’heure, Hacène ne dévoile pas grand’ chose, « Ca sera toujours du Ahres… » pour bientôt.

D.C.

Partager