Dans le monde berbère, la domestication a eu lieu avant la période de division dialectale : la plupart des noms qui désignent les animaux domestiques sont communs à la plupart des aires dialectales, les emprunts dans ce domaine étant limités.On ignore à quelles dates les Berbères ont procédé à la domestication de leurs animaux, mais on peut supposer que celle-ci s’est faite aux mêmes périodes qu’ailleurs : 10 000 avant JC pour le le chien, vers 6700 avant JC pour la chèvre et le mouton, 5000 avant JC pour le bœuf, 4500 avant JC pour le chat, 3200 avant JC pour la poule, 3000 à 2500 avant JC pour le cheval, etc. On peut repousser ces dates pour certains animaux. C’est le cas du bœuf qui, si on croit les figures rupestres du Sahara, pourrait remonter au 9e ou au 8e millénaire.Quoi qu’il en soit, la domestication a eu lieu avant la période de division dialectale du berbère : en effet la plupart des noms qui désignent ces animaux sont communs à la plupart des aires dialectales, les emprunts dans ce domaine étant limités.Si certains noms présentent une grande stabilité de forme et de sens, comme c’est le cas pour le nom du chien, d’autres comme le nom du mouton ou de la chèvre, présentent une grande variation. On peut, à la suite de S. Chaker, voir dans la stabilité et dans la diffusion des radicaux un critère d’ancienneté.A l’inverse, les termes les moins stables indiquent une domestication tardive. En fait, même les animaux les plus récemment domestiqués peuvent présenter des noms morphologiquement et sémantiquement stables. C’est le cas des deux principaux noms du cheval, ayis et agmer, qui ont partout les mêmes formes. La même stabilité peut être constatée pour la plupart des noms d’animaux non domestiques: izi « mouche », aslem « poisson », agd’iv « oiseau »…L’instabilité de certains noms désignant des animaux domestiques ou sauvages serait plutôt due à leur structure phonique, certaines séquences comme y-z de ayz’id « âne », s-k, de oska /uccay « lévrier » ou w-d’ de tawett’uft « fourmi » étant traités différemment par les dialectes.
Chien Si on reprend la chronologie admise, le chien est l’animal le plus anciennement domestiqué par l’homme, soit il y a moins de 10 000 ans. On ignore si le chien a d’abord été domestiqué pour la chasse ou pour la garde, quoi qu’il en soit, dans le monde berbère, le chien de garde comme le chien de chasse (le lévrier) possèdent des noms communs, ce qui est peut-être l’indice de l’ancienneté des deux fonctions. Chaque dialecte berbère dispose de dénominations propres pour le désigner – noms communs comme c’est le cas du kabyle aqjun, ou termes pour désigner des variétés de chiens comme c’est le cas du touareg aberhoh « chien à longs poils » et abaykor « chien de mauvaise race »- mais le nom générique est partout le même, avec la même forme au féminin et l’emphatisation de la dernière consonne au pluriel-eydi pl. iyd’an « chien », fém. teydit (Touareg)-yudi, pl. id’an « chien » (Nefousi)-aydi, pl. id’an « chien » (Sned, Tunisie)-ivi, pl. id’an, iyd’an « chien », fém. tid’wat (Ghadames)-aydi, pl. id’an « chien » (Ouargla, Mzab)-iydi, igdi, pl. iydan, igd’an « chien », fém. taydit (Maroc Central)-iydi, pl. id’an, it’an « chien », fém. taydit (Chleuh)-aydi, pl. iyd’an, it’an « chien », fém. taydit (Rifain)-aydi, pl. id’an « chien » fém. taydit (Kabyle, Chaoui)De toutes les espèces de chiens, une seule, le lévrier, a une dénomination commune dans quelques dialectes :-oska « lévrier » (To)-uska, osca » lévrier » fém. toskayt (MC)-uskay « lévrier » (Chl)-uccay (avec emphatisation de cc) « levrier », fém. tuccayt (Rifain, Kabyle)
OvinsC’est le terme welli / ulli qui désigne au propre la brebis (ou les brebis) qui sert parfois de dénomination aux ovins.Mouton Le mouton présente plusieurs dénominations communes. Le terme le plus répandu –et sans doute aussi le terme générique- provient d’une racine KRW. Le mot présente une forme plutôt instable : le w final chute dans la plupart des dialectes, le r, tendu dans certains cas, est géminé dans d’autres, la finale est tantôt la consonne r tantôt une voyelle i :-ekrer, pl. akraren « mouton, bélier » akerwat « agneau de lait ou sevré » (Touareg)-ikerri, pl. akraren « mouton » (Sned)-ikerri, pl. ikerrewan « bélier, mouton » (Ouargla)-ayrar, pl. ayraren « mouton à laine courte » (Chleuh)-ikerri, pl. akraren « bélier » tikerret, pl.div. tattent « brebis » (Rifain)-ikerri, ikerr, pl. akraren « mouton » (Kabyle)-ikerri, pl. akraren « mouton, bélier » (Chaoui)Le mot est attesté en néfousi, akrer, mais avec le sens de « bouc » et dans les parlers du Maroc central où il a les formes krew, icrew, avec le sens de « petit d’animal, surtout l’agneau qui tète encore sa mère ». il faut sans doute rattacher à la même racine, le touareg ebeker « jeune mouton » et le chleuh abakir « bouc », b étant soit une radicale, tombée dans les formes akrar / ikerri, soit un préfixe d’origine expressive. Le redoublement du r dans certains dialectes est peut-être également d’origine expressive, le nom pourrait se rattacher à une racine KR signifiant « enrouler, entortiller », en rapport avec les cornes de l’animal. Le siwi tikert « tresse de cheveux » semble corroborer cette hypothèse. Une seconde dénomination du mouton est également commune à plusieurs dialectes, à l’exception du touareg. Au sens général de « mouton » s’ajoute, dans certains dialectes, celui d’ « agneau ».-izimer « bélier » (Siwi)-zumer » agneau » (Nefousi)-azumer « bélier » (Ghadames)-izimer « bélier, agneau qui ne tète plus » tizimmert « agnelle » (Maroc central)-izmer, azammar « agneau » (R)-izimer « agneau, bélier » tizimert « agnelle » (Kabyle)-izimer « agneau » tizimert « agnelle » (Chaoui)
Brebis, agneau Le nom de la brebis est commun à plusieurs dialectes. Dans certains cas la racine ne fournit que le pluriel, le singulier étant formé sur une autre racine, plus rarement seul le singulier est attesté. Le nom de la brebis prend souvent un sens collectif : il signifie alors « ensemble des moutons et des brebis, ovins ».-tehelle, plssg « brebis » pl. div. tihattin (Touareg)-tili, plssg « brebis » pl. div. tatten (Nefousa)-ulli, plssg « brebis », sg. tixsi, ulli « brebis, mouton » ilili, pl. ililan « jeune agneau à la naissance » (Maroc central)-tili « brebis », pl. div. tatten (Chleuh)-ulli, plssg » troupeau de brebis et de moutons » (Rifain)-ulli, plssg « brebis » sg. tixsi ; ulli « brebis, moutons » (Kabyle)-ulli, plssg « brebis » sg. div. tixsi ; ulli « brebis, mouton » (Chaoui)La forme ulli est également attestée dans les parlers touaregs, de l’Ahaggar, ulli, et du Niger, welli, mais avec le sens de « chèvre ». Le même glissement de sens s’observe en ghadamsi avec welli (pluriel de tieeî), mais ce dialecte a une forme apparentée, tabali avec le sens de « brebis », le b, spirant, correspond ici au h du touareg.Enfin, le ouargli donne à welli, ulli le sens de « brebis, chèvres, caprins et ovins ».Un autre nom de la brebis est tighsi / tixsi : comme ulli, il désigne, dans certains dialectes, la chèvre. -tixsi, pl. tixsiwin « brebis » (Sned)-tixsi, pl. tixsiwin « brebis » (Maroc central)-tixsi, pl. tixeswin « brebis » (Rifain)-tixsi, sgspl « brebis » (pl : ulli) (Kabyle)-teghse, pl. tighsiwin « chèvre » (Touareg)-tixsi, pl. tixsiwin « chèvre » (Sokna)
CaprinsLe chleuh possède un terme général pour désigner les caprins : eghad’. C’est de ce mot, ou plutôt de la racine dont le mot est issu, GHD’, que dérive le nom de la chèvre.
Chèvre Le nom de la chèvre est commun à la plupart des dialectes, à l’exception du touareg de l’Ahaggar qui emploie le mot utilisé ailleurs pour désigner la brebis (voir ci-dessus).-taghat, pl. tighett’en « chèvre » aghedad « troupeau de chèvres » (Touareg Niger) -Tghat’ « chèvre » (Siwi)-tghat’, pl. ighat’en « chèvre » (Nefousi)-tiâat’, pl. div. welli « chèvre » (Ghdames)-tghatt’, pl. tighatt’in « chèvre » (Mzab)-taghatt’, pl. tighett’en « chèvre » (Maroc central)-taghatt’, pl. tighatten « chèvre » pl. aghad’en « collection de boucs et de chèvres ». -aghav « caprin » (Chleuh)-taghatt’, pl. tighett’en « chèvre » (Rifain, Kabyle)-tghat’, pl. tight’en « chèvre » (Chaoui)
ChevreauIl faut mettre en rapport le nom de la chèvre, taghatt’, avec celui du chevreau egheyd / ighid : les racines dont ils sont issus, GHD’ et GhYD ne sont sans doute que des variantes, le passage de d à d’ dans une même racine étant attesté dans le cas pan-berbère de aydi, pl. id’an « chien ». D’ailleurs, dans quelques dialectes, le d de ighid s’emphatise au féminin :-egheyd « chevreau » (Touareg)-ghid « chevreau » (Nefousi)-aâid « chevreau » (Ghdames)-ighid, igheyd « chevreau » tighidet « chevrette » (Mzab)-ighed « chevreau » teghett « chevrette » (Maroc central)-ighejd » chevreau » (Chleuh)-igheyd « chevreau » tigheyd’at « chevrette » (Rifain)-ighid « chevreau » tighid’et « chevrette » (Kabyle)-ighid « chevreau » tigheyd’et « chevrette » (Chaoui)Le mot est attesté en ouargli où tigheydet désigne la chevrette mais aussi la chèvre, quant au masculin ighid, il désigne non pas le chevreau mais le bouc et d’une façon générale le caprin. Les parlers du Maroc central connaissent, en plus des formes signalées, un dérivé, amghud « petit bélier » et aghav « bouc ».
Bouc Un nom est commun à plusieurs dialectes :-ahûlagh « bouc, castré ou non » (Touareg)-ezolagh « bouc, p. ext. compas de géomètre » (Touareg, Niger)-zalaq « bouc » (Siwi)-azlegh « bouc » (Sned)-zalegh « grand chevreau » (sokna)-azalagh « bouc aux cornes longues de trois doigts » zalegh « s’accoupler en parlant du bouc » (Chleuh)Le mot est attesté en nefousi, zalegh, mais avec le sens de « bélier ». Dans ce dialecte, c’est akrar, qui désigne ailleurs le mouton, qui signifie « bouc ». Les dialectes qui ignorent azalagh emploient des mots empruntés à l’arabe, comme âtrus, (Ouargli, Mzab, chaoui) ou des termes expressifs comme aqelwac en kabyle, avec un verbe sqelwec « faire du bruit, semer le désordre ».
M.A Haddadou(A suivre)