A moins d’un miracle, la saison est perdue

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Mardi 19 juillet. Ça ne se bouscule guère à Aâmriou pour prendre l’un des deux fourgons garés au bord de la route (on appelle ça une gare routière à Béjaïa !) qui assurent la liaison Béjaïa-Côte Ouest. C’est d’ailleurs à moitié vide que celui placé en tête de file, après avoir pesté juste pour la forme et voué aux gémonies les usagers qui d’habitude jouent des coudes, a pris le départ pour affronter, à allure réduite, la route qui depuis Béjaïa ne fait que monter, en lacets, vers les stations balnéaires de la côte Ouest. Une route pittoresque qui ferait le bonheur des touristes en goguette, surplombant une mer magnifique dans sa couleur bleu-azur et parsemée de criques, véritable joyaux de sable blond. A la différence de la côte Est, où autour des plages sont venus se nicher des villes, d’importance inégale (communes, daïras…), la côte Ouest, hormis les mois d’été, affiche zéro visiteurs le reste du temps. Ici, point de cité ni de populations sédentaires. Rien que des cabanons, quelques structures comme les comptoirs de l’APC à Boulimat et Saket, des hôtels de confort et de standing à proximité de quelques maisons louées à prix fort.Le reste est constitué de boutiques où tout se vend à des prix mirobolants. C’est véritablement sans scrupules que les commerçants multiplient par deux, voire plus, le prix des denrées. Prétextes évoqués : l’éloignement du chef-lieu de wilaya, le transport et la rareté de la clientèle. En somme, le client présent paie pour tous les absents !Sur la route, pas grand-monde, signe qui ne trompe pas, annonciateur de plages et stations quasi désertes. Il est vrai que le soleil est à son zénith, mais tout de même. A quelques encablures de Boulimat, une fumée acre qui vous prend à la gorge, s’incruste dans le fourgon et vous colle aux vêtements. C’est la fameuse décharge de Boulimat, implantée en plein Parc national de Gouraya (PNG). Chaque année, les promesses de délocalisation pleuvent et au final, on ne voit rien venir. La route, bien avant l’approche du site que l’on peut aisément comparer à la Géhenne pour son feu éternel est parsemée de sachets noirs pleins de détritus, de bouteilles et de toutes sortes d’ordures. Telles les pierres du Petit Poucet, ces marques puantes, échappées de bennes non couvertes, semblent indiquer le chemin à prendre vers la plaie purulente, installée en pleine réserve naturelle. C’est à partir de là que commence, aussi, de part et d’autre de la chaussée la longue suite, ininterrompue de tas de bouteilles en verre et plastique. Chaque automobiliste y va de son petit geste, balançant mécaniquement par la fenêtre sa mini-bouteille vite ingurgitée. Ce laisser-aller est le reflet de nos tares, l’illustration par l’absurde de notre conception de l’écologie et de notre façon de préserver la nature. C’est vrai qu’une bouteille jetée négligemment, c’est rien, mais quand il s’agit de millions…Boulimat, première station sur la route d’Azeffoun. Une piste poussiéreuse mène vers la plage. Quelques parasols sont plantés dans le sable. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on est à mille lieux de la cohue habituelle où il faut presque se battre pour arracher 1m2 de sable. L’île des Pisans, à quelques brassées du rivage, dans une sorte de défi, invite les quelques baigneurs à fouler le sol qui a abrité jadis les transactions des Mezaias et des marchands italiens de Pise. L’appellation “île des Pisans” vient de là. Courageux les baigneurs, mais pas téméraires !Chez les commerçants de la place, c’est la morosité. Certains parlent de catastrophe et annoncent déjà une saison ratée. Quand aux causes, personne à vrai dire ne se hasarde à émettre la moindre conjecture. Contrairement à la côte Est, ici, il n’y a même pas de vie nocturne, sauf peut-être chez les colons des comptoirs de l’APC qui tentent chaque nuit d’introduire une note gaie, sans grande réussite, malgré quelques clins d’œils importés d’outre-mer, des clubs Med notamment. Mais tout cela n’est qu’amateurisme et ringardise. Les week-end sont un peu plus animés, certes, mais les baigneurs ne rapportent pas grand chose, puisque venant des environs immédiats de Béjaïa ou de la vallée. “Ils ne dépensent pas un sou vaillant chez nous. Même leurs victuailles et boissons, ils les apportent de chez eux”, nous dira un gargotier de la place, qui joue de l’éventail à longueur de journée. Puis, philosophe, il continuera sur sa lancée : “Comme ils ont raison ! Entre le sandwich copieux ou la consistante omelette qu’ils ramènent et le sempiternel et rachitique frites-omelette, il n’y a pas photo !”Le sentiment général qui prévaut à Boulimat est que la saison est fichue. Certains parlent déjà de reconversion. Le temps des affaires juteuses, des bons coups réalisés sur le dos d’estivants pas forcément aisés est bel et bien révolu. La solution est dans le changement des conditions d’accueil, servi par une politique de conquête des estivants agressive. En un mot comme en cent, il faudra être imaginatif pour vendre la destination Béjaïa. Quant au professionnalisme, indispensable pourtant, on en parlera une autre fois !A quelques kilomètres de Boulimat, Saket. Sur la gauche de la route, à flanc de montagne, un village constitué de villas joliment construites et cédées aux Algériens d’en haut. Il est habité à longueur d’année et la bonne société y trouve son compte. Ça marche tellement bien que son promoteur, l’EPLF, compte lancer un deuxième village où cadre et qualité de vie se conjuguent pour offrir aux heureux propriétaires un havre de paix. Ce monde à part, hermétique, n’est pas le nôtre. Aussi, avons-nous lorgné vers le bas de la route, où une petite anse du plus bel effet nous tend les bras. Cela tient de la marina sans quais ni yachts de luxe et de la plage privée. Ici aussi, pas grand monde. Elle semble réservée à ceux d’en haut, ce qui n’est bien sûr pas vrai ! Mais c’est l’impression qu’elle donne…Quelques jeunes du coin, rencontrés en bord de route, d’abord repliés sur eux-mêmes, se détendirent bien vite. Pour eux, l’explication est toute trouvée : la région est boudée pour des motifs liés directement à la sécurité. Et de nous rappeler les deux embuscades meurtrières tendues par le GSPC. “Ils sont toujours là”, insiste l’un d’eux. Et le plus âgé en mal de confidence, de renchérir qu’il les a vu, pas plus tard qu’il y a deux soirs, traverser furtivement un coin de forêt qu’il désigne du doigt, sous les regards goguenards de ses compagnons. Dernière escale avant le retour sur Béjaïa qu’il faut regagner avant la tombée de la nuit : Tighremt. Même constat, le coin est magnifique, mais peu de baigneurs. Même marasme, même appréhension quant à une saison ratée. Certes, il est vrai que cette station balnéaire n’a rien de commun avec Tichy par exemple. Mais Tighremt prélève bon an mal an une partie de la dîme que les estivants rapportent. Ici, sur la côte Ouest, le sentiment net d’une saison ratée est partagée unanimement. Après avoir mis en cause la Coupe du monde qui “retient les gens chez eux” (archifaux, car on peut suivre les matchs n’importe où), puis les examens du bac qui sont finis depuis belle lurette, les gens dont l’activité gravite autour de la mer et de ses plaisirs ont fini par se rendre à la raison : la saison est fichue et les raisons, il faut les chercher ailleurs. Une ébauche circule : la cherté de leurs prestations et leur médiocrité. C’est un excellent débat. Ne dit-on pas, en effet, qu’un problème correctement résolu est à moitié résolu !

Mustapha Ramdani

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