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Les sangsues de jouvence

Depuis la nuit des temps, l’homme et la femme, ont toujours été subjugués par leur physique. Les traces du temps qui passe sont visibles et les signes de vieillesse deviennent rapidement un fardeau lourd, très lourd à supporter. De là est née une légende sur l’eau de jouvence qui aurait, parait-il, la vertu de garder et de préserver l’éternelle jeunesse. En Kabylie, terre où l’eau de jouvence est inconnue, déjà que l’eau plate fait défaut, les remèdes pour entretenir le physique ont été initiés de générations en générations, et ce depuis belle lurette. Pour cela, des pérégrinations étaient régulièrement organisées en direction des hammams les plus proches. Les hammams mais également d’autres destinations moins connues mais néanmoins très fréquentées, notamment par les vieilles femmes : ce sont les sources jaillissant en pleine montagne, les sources naturelles qui regorgent de petites bestioles adipeuses qui sucent le sang : les sangsues. Ce sont des vers carnivores de couleur noirâtre dotés de ventouses qui, au contact de la peau, aspirent le sang. Une méthode médicale dont on retrouve trace pendant le Moyen Age, et par laquelle on effectuait ce qui s’appelle une saignée. Comme le faisait Hippocrate ainsi que Galien, la saignée se voulait être un remède pour évacuer les humeurs stagnées en excès dans le corps humain. Depuis le 19ème siècle la médecine moderne ayant évolué cette pratique n’est plus exercée, sauf dans quelques régions de hautes montagnes. C’est ainsi que les Kabyles ayant eu vent de cette méthode médicinale l’ont pratiquée et continuent encore à l’appliquer malgré les risques qu’encourent les personnes subissant cette thérapie. Il existe encore pas mal d’adeptes et aussi de lieux adéquats pour pratiquer cette technique de remise en forme. Une sorte de thalassothérapie mais avec les moyens du bord.Pour en savoir plus sur cette façon de faire, nous nous sommes rapprochés d’une octogénaire originaire de la commune d’Aghbalou, qui pratique encore la saignée au moyen de sangsues. De prime abord, elle nous indique qu’elle n’utilise les sangsues qu’une fois par an, et qu’elle ne soigne que sa personne : “Il m’arrive parfois de rencontrer d’autres vieilles femmes sur place et nous disposons nous même les sangsues sur différentes régions du corps, mais en général sur les parties douloureuses, et lorsque la sangsue est repue de sang, elle se détache toute seule de la peau”. Interrogé sur les maladies que les sangsues sont sensées traiter, notre interlocutrice dira : Les sangsues prélèvent le sang qui stagne dans certaines veines, c’est le cas pour “zelloum” (douleurs articulaires) et au bout de quelques jours la peau se retend et semble beaucoup moins ridée.De temps en temps des voisines me sollicitent pour que je leur ramène quelques-unes de ces bestioles, ce que je fis volontiers, mais comme je vous l’ai dit, “je ne pratique cette saignée que sur moi-même”. Questionnée sur le refus d’aller consulter un médecin spécialiste dans les traitements des douleurs et autres, la vieille dame sourira en révélant qu’elle n’a jamais mis les pieds dans un cabinet médical et que ce n’est sûrement pas demain la veille qu’elle irait chez un quelconque praticien : “Ma défunte mère se soignait de la sorte et je n’ai aucun complexe à poursuivre cette méthode qui, d’ailleurs a largement fait ses preuves”. Ainsi, en plus de soigner les articulations rouillées par l’âge, les sangsues seraient bénéfiques pour redonner à la peau une seconde jeunesse. Qui donc a dit que la coquetterie était le dernier souci de nos aïeux ?

Hafidh B.

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