Djamila, la fille aux trois amants

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Elle était loin, vraiment loin de croire un seul instant que les choses allaient mal tourner pour elle au point de tout faire chambouler. Sa vie, ses relations de tous les jours et même la place qu’elle occupait jusque-là au sein de sa famille se sont envolées comme par enchantement.Djamila était toute heureuse dans la vie qu’elle dévorait à pleines dents, sans se soucier le moins du monde de ce qui l’entourait. Cette fille de 22 ans, au visage radieux et souriant, ne manquait presque de rien et ne se gênait pas de temps à autre pour organiser de petites rencontres entre filles dans le salon de coiffure où elle travaillait. Pour elle tout allait pour le mieux, jusqu’au jour où on la découvre sous son vrai visage, laissant ses collègues, son voisinage et les membres de sa famille dans la stupéfaction et l’incompréhension la plus totale.C’était un jeudi, et comme c’était le week-end Djamila accepte sans hésitation l’invitation que lui avait faite son bien-aimé Farid. Ce jour-là, il était l’homme le plus heureux de la terre parce qu’il avait à ses côtés la personne qu’il a toujours désirée : Djamila était pour lui le symbole même de l’amour, de la tendresse et surtout, comme il aimait tant le redire, de la finesse. Oui, Djamila était tout cela pour lui, et bien plus. Il l’aimait pour ces qualités et Djamila ne ménageait aucun effort pour les lui afficher afin de le séduire chaque jour davantage. Farid n’était pas du genre à se laisser avoir bêtement mais, avec elle, il se sentait tout rassuré et lui faisait une confiance presque aveugle. Cette sincérité, Djamila ne manquait pas de l’exploiter à sa manière et arrivait tout le temps à bien cacher son jeu au pauvre qui, a aucun moment, n’a eu le moindre doute sur ce qui se tramait derrière son dos. Après des mois passés ensemble, il pensait que tout se déroulait comme il l’entendait et que ce n’était qu’une question de jours pour pouvoir enfin s’unir avec celle qu’il aimait de tout son être.Tikjda est le lieu idéal pour les amoureux à la recherche d’un coin tranquille et loin des yeux. De plus, sur la route sinueuse, les gens et les véhicules sont tellement rares, surtout en cette période glaciale qui empêche les visiteurs du magnifique site de mettre pied à terre. Les couples qui s’y aventurent restent bien au chaud à l’intérieur de leurs voitures et évitent de mettre le nez dehors, sauf urgence bien sûr. C’est cela d’ailleurs qui a donné l’idée à Farid. Lui qui en a toujours su convaincre Djamila qu’il ne fallait pas afficher leur amour au grand jour et attendre que le moment propice arrive pour déclarer leur relation et annoncer leur fiançailles !De retour de Tikjda après avoir passé un splendide après-midi d’amour, Farid ne s’arrêtait pas de regarder sa campagne tout au long de la route. Elle avait, pensait-il quelque chose de pas normal. Elle semblait inquiète et, parfois, pensive même. Mais Farid s’est contenté de le remarquer sans mot dire; il gardait ses présomptions pour lui seul.A quelques kilomètres de la ville, elle lui dit qu’il ne fallait pas la déposer là où elle avait l’habitude de descendre. Cette fois, elle lui intima presque l’ordre de la déposer non loin de chez elle. Et ce fût chose faite. Mais ce comportement inopiné et étrange de sa partenaire ne va pas laisser indifférent Farid qui décide, beaucoup plus par crainte pour sa bien-aimée que par toute autre idée malveillante, de rester à l’abri des yeux et d’épier de loin les déplacements de Djamila. Celle-ci ne tardera pas d’ailleurs à ressortir de chez elle, habillée différemment et tenant tout près de sa poitrine un sac à main qu’il n’avait jamais vu auparavant. Pour ne pas courir le risque d’être vu, Farid décide de la suivre à pied en laissant sur place sa Renault. Djamila traversa la ville en passant par plusieurs quartiers mais en regardant à chaque fois sa montre comme si elle était pressée par le temps ou par un quelconque rendez-vous important. Qui sait ? “Peut être que quelqu’un l’attendait à une heure précise. Mais qui cela peut-il être ?” S’interroge Farid au fond de lui-même. Le doute le rongeait et une chaleur intense monta du fond de lui pour se répandre ensuite dans tout son corps : il était prêt à exploser et ses pas devenaient lents au moment où, à quelques mètres seulement devant lui, Djamila franchit le seuil du salon de thé situé presque à la périphérie de la ville. Le salon ne jouissait pas d’une bonne réputation, et selon les dires des uns et des autres, il y aurait même des filles de joie qui fréquentent les lieux. Tout cela remonte d’un coup à la tête de Farid qui ne savait plus quoi ni comment faire face à cette situation embarrassante à laquelle il n’était pas du tout préparé. Pendant quelques moments, il resta immobile, le dos contre le mur, juste devant l’entrée du salon. Il hésita un peu puis fonça tête baissée dans le semblant de labyrinthe qui s’offrait à ses yeux. Les lieux étaient mal éclairés et c’était à peine si l’on pouvait voir les couples qui étaient attablés de part et d’autre du couloir. Les murs étaient tapissés d’une étoffe rouge et les couverts avaient la même couleur à une nuance prêt. Mais tout cela ne comptait pas pour Farid qui avançait presque en titubant et ses yeux tournaient dans tous les sens à la recherche de celle qu’il aimait et n’arrêtait pas de chérir. Djamila était assise tout au fond avec un homme mais elle se tenait face à l’entrée d’où elle pouvait voir toute personne se dirigeant vers elle. A cinq ou six mètres de là, Farid s’arrêta net. Il regarda Djamila pendant quelques secondes et au moment où il allait rebrousser chemin elle l’appela par son nom. L’homme, qui était assis en face d’elle, se retourna lui aussi pour voir l’intrus qui était venu interrompre leur discussion. “Approche Farid, viens”, lança-t-elle en faisant un geste de la main. Farid se sentait pris dans le piège mais il ne pouvait plus reculer et après tout il fallait bien qu’il sache tout, du moment que les choses se présentent ainsi. “Voilà, je te présente mon cousin Saïd, il travaille au Sud, il est venu ce matin me rendre visite”, disait-elle d’un air serein puis d’un geste vif elle se retourna vers son compagnon de table et enchaîna en désignant du doigt “Lui c’est Farid, un ami, justement j’allais te parler de…” elle ne termina guère sa phrase lorsque le cousin se mit debout et s’empressa de saluer “l’ami” de sa cousine tout en prononçant une phrase qui tomba tel un couperet sur la tête de Farid “Ma cousine est une fille adorable, je suis son fiancé et cela fait presque trois mois qu’on ne s’est pas vus” Farid était abasourdi par ce qu’il venait d’entendre il ne croyait pas ses oreilles. Il ne savait plus quoi faire et leva la tête pour regarder Djamila comme s’il cherchait une éventuelle explication de la part de sa bien-aimée. Il balbutia des mots inaudibles, il était presque inconscient, il voulait repartir mais ses pieds ne pouvaient pas, il resta cloué pendant un moment et tout d’un coup une forte émotion l’envahit. Une grosse larme apparaît à cet instant au coin de son œil. Djamila se leva, elle voulait le consoler mais en essayant de faire les premiers pas elle tomba de tout son poids sur la table qui la séparait de son cousin. Celui-ci essaya de la retenir sans pouvoir y arriver elle était déjà allongée par terre et inconsciente. C’est alors que les autres clients accoururent croyant qu’il s’agissait d’une agression visant la malheureuse qui gisait au sol. Le soir même, tout le monde était au courant de l’admission de Djamila à l’hôpital. Elle fut victime d’une dépression et les médecins avaient jugé nécessaire de la garder sous surveillance pendant quelques jours.Le lendemain, sa famille est allée lui rendre visite à l’hôpital mais sa mère et ses sœurs n’en revenaient pas en découvrant avec émoi que celui qui était à son chevet n’est autre que son troisième amant. Djamila ne voulait pas prononcer un mot ni regarder qui que ce soit en dépit du soulagement de sa mère qui pleurait à ses côtés. Elle tournait le dos à ses visiteurs et regardait le mur d’en face. Son regard était vague et inexpressif. Dans le couloir, à quelques mètres de la pièce où tout le monde était réuni, son cousin Saïd était à bout, il tapait sans cesse sur les parois de l’hôpital puis il éclata en sanglots. “Pendant quatre ans, je n’ai rien su, je faisais confiance et je pensais que Djamila ma cousine, m’aimait vraiment…”, hurla-t-il en appuyant sa tête sur la porte vitrée de la chambre, où Djamila était alitée. De l’intérieur, la mère de Djamila leva la tête mais ne disait rien, ses filles qui se tenaient tout près d’elle n’osaient même pas jeter un coup œil vers leur cousin. Elles n’avaient rien à lui dire. Elles étaient totalement abattues par les éclaboussements qu’elles venaient de subir. Depuis l’instant où il découvrit le pot aux roses, Farid n’avait plus donné signe de vie, il n’est pas venu à l’hôpital pour s’enquérir de l’état de santé de celle qui venait de le marquer à vie. Il songea même à quitter la ville où il avait toujours vécu, pour aller s’installer sous d’autres cieux, il voulait refaire sa vie ailleurs et essayer d’oublier l’amour auquel il croyait tant et l’amertume qui s’en est suivie.En un temps record, l’histoire de la malheureuse commença à faire le tour des rues de Bouira. Dans les salons de coiffure, on ne parlait que de Djamila et de son histoire qui défia la chronique. Même ses collègues de travail ne savaient pas que la fille qu’elles connaissaient parfaitement et qui n’avait apparemment aucun problème avec son entourage, entretenait d’autres relations en dehors de son cousin et fiancé Saïd, et à l’insu de ses intimes. Quand elles avaient su la nouvelle, chacune d’elles n’arrêtait pas de se poser un tas de questions et l’étonnement se lisait sur tous les visages.

A. S.

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