Les maisons construites au prix de mille et un efforts et privations sont en passe de se vider une à une de leurs occupants qui, la mort dans l’âme, s’installent dans les centres urbains ou semi-urbains où la sécurité est assurée et qui disposent d’école, de l’hôpital et des autres services publics. Ils ne reviennent au village,qu’en temps utile, c’est-à-dire en période des figues et pendant la cueillette des olives. Le reste de l’année, le cœur palpitant du village est livré aux ronces et aux genêts qui cernent, impitoyablement le village de tous les côtés. Les sangliers ont pris de l’assurance et avancent jusqu’à la place centrale du village.Quant aux rares villageois qui restent accrochés à leurs maisons ancestrales comme à une bouée de sauvetage lorsqu’ils s’avisent à demander à leur municipalité quelques interventions pour l’entretien des routes ou pour une amélioration de la plage de distribution de l’eau, les services concernés de l’APC répondent toujours : “Vous êtes restés combien au village ?” “Justement”, rétorquent les villageois, “les autres sont partis parce qu’ils n’ont pas au village le minimum de commodités pour pouvoir y vivre. Faites plutôt quelque chose pour que les autres ne suivent pas”. Ceux qui sont restés au village, subissent les aléas d’une route principale envahie par la végétation qui n’a pas été nettoyée depuis des années, l’absence de l’eau qui ne coule des robinets qu’une fois tous les dix ou quinze jours des fourgons de transport qui arrêtent leurs véhicules à plusieurs kilomètres du village, des ruelles et une place publique éclairées, les enfants, pour se rendre à l’école, doivent parcourir plusieurs kilomètres à pied par temps de canicule ou de froid glacial, le plus proche magasin où se trouvent la bouteille de gaz ou le sac de semoule est distant de plusieurs kilomètres du village, ceux qui sont restés au village, malgré tous ces désagréments vécus au quotidien sont ceux qui n’ont pas les moyens de louer des habitations en ville ou des vieillards de troisième génération, qui continuent à considérer que, comme dans les années 40, à l’époque de l’agriculture vivrière, quitter ses terres équivaut à une sorte de conversion ou de reniement. Et fait de terre, il n’est pas exagéré de dire, qu’il y a des dizaines d’années qu’elles n’ont pas été labourées. La charrue tirées par des bœufs n’existe plus et les moyens mécaniques font défaut faute de moyen, et du fait de la forte déclivité du sol. Autant dire que ces terres qui regorgeaient de richesses dans les années 65, sont aujourd’hui, après avoir été érodées jusqu’au schiste par les eaux pluviales, livrées aux genêts et aux ronces qui ont vite fait de reprendre leur droit sur les figuiers et les autres arbres fruitiers que les ancêtres ont, avec beaucoup d’amour et de peine, fait grandir. Seuls les oliviers, grâce à leur longévité exceptionnelle et à leur vivacité, continuent encore de lutter contre leur envahissement par les arbrisseaux sauvages. Quant aux ovins et caprins qui animent la campagne de leur bêlements et qui tracent des sentiers à travers l’épais maquis, c’est sans scrupules que leurs gardiens les ont troqués contre des places au lycée ou même de vendeurs à la sauvette.S’agissant de récoltes, hormis les figues de Barbarie qui survivent encore vu qu’elles ne nécessitent aucun entretien, elles sont quasiment nulles. Autant dire que les villageois ne font que consommer au village la nourriture qu’ils achètent en ville.L’autre raison, et pas des moindres qui a contribué à la désertion des villages kabyles, est d’ordre sécuritaire.En effet, depuis quelques années, les villages font l’objet de visites régulières de la part de terroristes et d’éléments de l’armée régulière. Les uns et les autres se font les plus discrets possible. Mais les villageois qui ont d’ailleurs à maintes reprises surpris les groupuscules terroristes à l’orée du village ou rasant les murs des maisons abandonnées, n’en veulent plus pour preuve de ces présences que la disparition en une seule nuit de toute la récolte de leurs poiriers ou de leurs pommiers. Et même si la présence d’éléments de l’armée se veut discrète et surtout rassurante, les villageois quant à eux, estiment au contraire que là où il y a les uns, il y a forcément les autres.
B. Mouhoub