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Les oliviers renaissent de leurs blessures

Parmi ces arbres, les espèces à feuilles caduques, comme le figuier ou le poirier, n’ont pas souffert des intempéries, de l’exceptionnelle rigueur de l’hiver, du gel et des fortes chutes de neige. Les essences à feuilles persistances comme l’olivier et le coriace caroubier ou le fragile néflier ont subi des dégâts considérables. Le plus durement touché est sans doute le cactus : cette plante grasse qui défie habituellement la sécheresse n’a pu résister aux températures négatives. De longues haies hautes de trois à quatre mètres sont réduites en de tristes amas de raquettes noires dégagent des odeurs de cellulose pourrie. Nous n’aurons pas assez de figues de barbarie cette année. Dans la même situation dramatique, on peut ranger les agrumes et plus particulièrement le citronnier, tout comme les arbres décoratifs des villes de la vallée, ficus et autres caoutchouc.Ayant vainement espérés une aide de l’Etat, les paysans gagnés par le ressentiment, se ressaisissent pour se remettre au travail.Dans le triangle Seddouk-Akbou-Tazmalt, qui concentre sur 34 000 ha, un verger de quatre millions d’oliviers, soit les deux tiers de l’oliveraie de la wilaya de Bgayet, premier département oléicole d’Algérie, les paysans ont évalué les dégâts et communiqué les informations aux services agricoles locaux et centraux concernés. Aucune considération ne semble accordée aux SOS paysan, si ce n’est cette persistante rumeur selon laquelle le gouvernement verserait des aides aux paysans de la wilaya à hauteur de 200 milliards de centimes, rumeur que rien de tangible ne vient confirmer.

Incalculables dégâts dans les cultures

A l’instar de toutes les associations paysannes, Tazerajt, regroupement des agriculteurs de Tazmalt, a tenu, une réunion d’évaluation des conséquences des intempéries de l’hiver sur les élevages et les cultures à l’échelle de la daïra comprenant les communes de Boudjellil, d’At-Mélikèche et du chef lieu de Tazmalt. Une première évaluation établit un bilan désastreux estimant sur la base des informations des paysans, que les agrumes (citronniers et orangers) sont brûlés par le gel à 100% tout comme les cultures sous serres (tomate, poivron, concombre et autres légumes de saison).Les oliviers ont été brisés, déracinés et consumés par le gel à hauteur de 75%. Les pertes de l’oléiculture sont particulièrement importantes quand on sait que la zone concentre plus de 30% des oliveraies de la wilaya, avec plus d’un million et demi d’arbres en production. Le stress dû au froid extrême a réduit de moitié la valeur des troupeaux, notamment ceux des petits éleveurs qui se nourrissent dans les pâturages. Les ruches même à l’abri n’ont pas supporté les températures négatives. Les poulaillers n’ont pas été épargnés non plus à cause des coupures de l’électricité. Dans l’espoir de voir les pouvoirs publics voter des indemnisations en faveur des paysans victimes de la neige, le bureau de l’association Tazerajt a décidé d’écrire au wali de Béjaïa pour plaider la cause des fellahs.

La taille des oliviers dure environ trois mois, du 1er Yennayer de l’an Amazigh, qui coïncide avec le 12 janvier, jusqu’à la mi-avril, moment où dans certaines zones, notamment le littoral, les arbres commencent à se réveiller avec la montée de la sève.

Hamimi Moncef, président de cette association a informé les agriculteurs, éleveurs, apiculteurs et aviculteurs, que l’agent communal de vulgarisation (ACV) relevant des services agricoles de Tazmalt vient d’ouvrir un registre de recensement des victimes des dernières intempéries à l’échelle de la daïra. L’opération à but informationnel immédiat vise la constitution d’un fichier des dommages causés aux multiples cultures, et à toutes les activités relevant du secteur agricole.Les propriétaires touchés sont tenus de déclarer auprès de l’ACV les préjudices directs causés aux élevages et aux cultures, et les dommages notés dans les infrastructures (habitat, écuries, poulaillers…).Cette liste servira de base aux indemnisations espérées.

Randonnée dans les vergers sinistrés

Partant de la Vallée de la Soummam pour remonter vers les contreforts du Djurdjura au nord, ou vers la chaîne des Bibans au sud, la désolation est la même dans les jardins, les oliveraies et même les petits potagers domestiques. Deux tableaux végétaux se dessinent selon l’altitude. Dans la vallée et les hautes plaines, de moins de 500 m de hauteur, les arbres régénèrent. L’olivier renaît péniblement de ses profondes blessures, le citronnier bourgeonne de nouveau, les grappes de néflier forment des fruits. Le figuier, le grenadier, le poirier et le pommier promettent une belle récolte. Les paysans se remettent au travail conformément au calendrier agricole kabyle en vigueur depuis des siècles. C’est le temps de la taille et de l’affouage (ramassage du bois de taille).La cueillette des olives est finie tout comme la transformation des olives dans les huileries. Les paysans s’adonnent aux réparations des dégâts de l’hiver en plus des soins ordinaires et routiniers. La taille des oliviers qui ont donné des fruits cette année doit commencer. Les élagueurs entrent en principe en activité dans les olivettes au début du mois de février après les trois jours de quarantaine dits “Laâzla” durant lesquels il est déconseillé de toucher à la végétation. La semaine qui suit cette période inféconde est dénommée (Mirghan” ou bien “Mirghou” sept journées de gelées matinales où le givre brûle le tapis végétal, les jeunes pousses et les rameaux qui ont eu le tort de fleurir trop précocement. C’est le cas des pêches et des abricotiers… La taille des oliviers dure environ trois mois, du 1er Yennayer de l’an Amazigh, qui coïncide avec le 12 janvier, jusqu’à la mi-avril, moment où dans certaines zones, notamment le littoral, les arbres commencent à se réveiller avec la montée de la sève. L’écorce se détache alors facilement de la tige et toute coupure des branches peut générer les coulées de sève nuisible au cycle végétatif de l’olivier. C’est le moment de la greffe.De grands noms du métier d’élagage ont marqué la mémoire régionale. Les professionnels de Rodha, hameau de la commune de Tazmalt, passent pour les meilleurs, Veza Lamara, du village Iâagachen de At Mélikèche demeure la référence et l’héritier du savoir empirique des fellahs d’antan.“Il ne faut pas tailler trop tôt pour éviter la repousse des “gourmand” (edker) improductif, et pas trop tard de sorte à éviter les effets désastreux de la sécheresse” conseille Haddad Youcef, le technicien en oléiculture de la ferme expérimentale d’Allemagne. Le métier de tailleur d’oliviers est en plein déclin comme toutes les pratiques du terroir. L’appauvrissement du savoir par manque de capitalisation et de transmission continue, et l’apparition de maladies inconnues créent une situation qui désarme le paysan.Cette année les oléiculteurs n’ont pas le choix, ils taillent ce qui reste de leurs oliviers déchiquetés par la neige et le gel sans trop se soucier de la forme. Il faut couper les branches brisées, nettoyer et brûler le bois mort avant la remontée de la sève.La période de la taille est marquée par de nombreux rebondissements atmosphériques. Les belles journées de Mighnan (7 jours) sont précédées par la terrible journée de Aretal qui est la dernière du mois de Yennayer, souvent glaciale et grise. Dans la cosmogonie berbère cette journée aurait été prêtée par le mois de Fourar (février) au mois de Yennayer (janvier) pour que ce dernier lave l’affront que lui aurait fait Baouz une chèvre fort belliqueuse. Un froid insoutenable oblige depuis cette époque tous les caprins à rester au chaud dans leur bergerie.Du 21 au 28 février, jour qui marque l’ouverture du printemps Amenzou n’tefsout ce sont les journées insolites dites iâazriyen, suivent alors les dix journées rouges Tizegaghine qui se terminent par les giboulées du mois de mars dénommées Timgharine (les vieilles capricieuses). Durant toute cette période les tailleurs exploitent les moments où les arbres ne sont pas mouillés pour opérer la coupe et l’élagage. Vers le 14 avril, finit la durée instable dite Aheggan précédée par Ledjwareh (7 jours), Swaleh (7 jours) et les sept journées tristes Imheznen.

Un savoir faire qui se perd

Quand l’olivier est en pleine production et qu’il a besoin d’une taille d’entretien, on pratique alors la taille de fructification.Deux méthodes se disputent les faveurs des professionnels : La taille traditionnelle dite taille en pendouiller et la taille d’éclaircissage ou taille en cascade.Dans les deux cas, les élagueurs s’accordent sur un certain nombre de règles dont l’objectif est de garder un maximum de feuillage pour le minimum de bois. Le savoir-faire se résume en trois actes articulés : Commencer par éclaircir l’intérieur de l’arbre en supprimant toutes les pousses verticales improductives (gourmands), poursuivre en supprimant le bois ayant porté des fruits pour favoriser les nouveaux rameaux fructifères. Finir enfin la suppression des branches qui se croisent et se concurrencent en sectionnant le rameau toujours à la base sans laisser de “chicots” (bout de bois mort).Les élageurs professionnels savent que l’olivier fructifie sur le bois de l’année précédente, aussi tailler l’olivier c’est lui permettre de développer des rameaux de remplacement qui porteront les fruits de l’année suivante. L’oliveraie de Kabylie est marquée par la fructification bisannuelle, c’est-à-dire qu’elle produit une année sur deux. Certains oléiculteurs préfèrent la taille annuelle pour avoir des olives de qualité sacrifiant la quantité, d’autres taillent toutes les deux années pour permettre à l’arbre de se reposer une année et développer de nombreux rameaux fructifères. En période de sécheresse, les paysans espacent encore le temps de la taille. Certains ne touchent aux oliviers qu’après trois, voire quatre ans de production. Les paysans savent néanmoins que la taille de l’olivier influe directement sur la qualité de l’huile. Les arbres bien taillés donnent la meilleure huile. Tailler, c’est soigner. La taille mal effectuée engendre des maladies dans les oliveraies, aussi le bon élageur se doit de stériliser les outils de taille en les trempant régulièrement dans l’eau de javel ou en les maintenant quelques minutes sur une flamme.La scie à élaguer, le sécateur, la hachette sont des outils métalliques faciles à nettoyer ; la tronçonneuse peut être trempée et lavée à l’aide d’un simple pinceau. Le Neïroun (Avourmel) est une maladie très dangereuse qui se développe après une mauvaise taille effectuée à un moment malvenu ou encore avec des outils infestés. On remarque facilement cette maladie qui se manifeste par de petites boules de sciure qui cachent de petits trous tout le long des rameaux malades. L’insecte est à l’intérieur du tronc, il provoque le dessèchement des branches.

Les élageurs professionnels savent que l’olivier fructifie sur le bois de l’année précédente, aussi tailler l’olivier c’est lui permettre de développer des rameaux de remplacement qui porteront les fruits de l’année suivante. L’oliveraie de Kabylie est marquée par la fructification bisannuelle, c’est-à-dire qu’elle produit une année sur deux. Certains oléiculteurs préfèrent la taille annuelle pour avoir des olives de qualité sacrifiant la quantité, d’autres taillent toutes les deux années pour permettre à l’arbre de se reposer une année et développer de nombreux rameaux fructifères.

Les anciens paysans avaient recours au feu. Ils brûlaient tous les résidus de la taille (Tassetta) et stockaient le gros bois de chauffage loin des oliviers. Des produits chimiques existent dans le commerce pour venir à bout du parasite en cas d’infestation. “Mieux vaut prévenir que guérir”, et dans ce domaine de la prévention, les règles empiriques de conduite contenues dans le calendrier agraire amazigh constituent un véritable guide culturel agronomique. Le nettoyage du bois de taille après la période d’élagage est l’une de ses règles fondamentales. Il ne faut rien laisser sous l’olivier, brûler les branchages et les buissons et stériliser le matériel de taille en passant d’un arbre à un autre. Ces précautions de détail, semblent oubliées. Le savoir périclite.On taille l’olivier pour qu’il produise mieux et plus. Quand l’arbre est jeune, on le taille pour lui donner une forme, constituer sa charpente. Quand l’arbre est vieux, on le regénère par la taille. On fait alors une restauration par deux opérations : le ravalement qui consiste à diminuer la taille des branches charpentières afin d’y opérer un surgreffage ou bien, le recépage qui consiste à rabattre la totalité de l’arbre à une faible hauteur au-dessus du sol et lui permettre un nouveau démarrage.

Parer au plus pressé

C’est l’option imposée par les dégâts de l’hiver cette année. Les paysans usent des grands moyens. Dans les fermes de la vallée, on ne taille plus à la scie mais carrément à la tronçonneuse. De nombreux ouvriers ramassent le bois mort pour le brûler en petits tas. Cette année, les quantités de bois sont si grandes que les paysans le donnent gratuitement. Nettoyer l’oliveraie est l’urgence du moment. Le coût est très élevé. La régénération et le nettoyage des oliviers en production sont estimés à 500 DA l’unité. Les spécialistes déploient tout le savoir-faire face à cette situation inédite : “La région n’a jamais connu ça depuis 1945, l’année du marché noir. Le gel n’avait pas duré autant de semaines que cette année”, déclare Hadj Meziane, un oléiculteur octogénaire de Tazmalt. “A quelle hauteur couper l’arbre ? Comment savoir le niveau atteint par le gel dans les branches ? peut-on espérer une régénération spontanée des arbres avec le retour de la chaleur ?”, s’interroge Si Seddik du hameau de Lemdjaz dans les contreforts méridionaux du Djurdjura où l’oliveraie est frappée par le gel dans sa totalité.Les paysans avec leur viatique de connaissances empiriques n’ont pas de réponse, les scientifiques et leurs laboratoires non plus. C’est l’appréciation au cas par cas. “A chaque olivier un traitement différent selon l’intuition de l’élageur, mais la douloureuse option du recépage semble incontournable. Nous devrons rabattre tous les oliviers à hauteur des grosses charpentières et attendre le retour de la chaleur. Si avec ça la régénération n’a pas lieu, il faudra déraciner les oliviers millénaires et replanter d’autres variétés. Opération trop coûteuse pour laquelle nous n’avons pas les ressources financières”, explique le montagnard. Sachant qu’un olivier ne rentre en pleine production qu’après vingt ans de vie, on mesure l’ampleur des pertes et la détresse paysanne. “En 1956, le sud de la France a perdu 75% de son verger oléicole à cause du gel. Nous redoutons le même phénomène en Kabylie après ce désastre”, s’inquiète le secrétaire général de l’association susmentionnée.

Les montagnards pleurent leurs oliviers

Après la taille démarrent les labours d’hiver, l’épandage des fumiers et des engrais et la protection contre les parasites.“Cette année toutes les règles du travail sont à revoir. Nous travaillerons sous la contrainte. L’hiver nous dicte ses lois. La priorité est au sauvetage des arbres, nous corrigerons leur forme dans les années à venir”, explique Nadjib, l’oléiculteur qui travaille avec Achour Ouamara, le professionnel de la taille, dans la vaste oliveraie d’Ichiqar, à l’est de la commune de Tazmalt. Sur les collines et les piémonts de plus de 500 m d’altitude, c’est encore la désolation. Les oliviers calcinés par le gel perdent leurs feuilles tout comme les caroubiers et les nombreuses essences de montagne.L’inquiétude des paysans est d’autant plus grande que leur trésorerie est à zéro, à cause de la mévente de l’huile d’olive causée par les excédents exceptionnels de la campagne 2003/2004. “Nous sommes tout simplement ruinés. Nous avons tout perdu : nos arbres, nos bêtes, nos cultures, notre fourrage… avec le redoux nous craignons pour nos terres en pente. Le dégel et la fonte des neiges provoquent déjà des éboulements, des glissements de terrain, des failles dont nous ne voulons pas imaginer les dégâts futurs. Nous n’avons aucun fonds de roulement pour financer nos travaux de campagne, notamment la taille de régénération de l’olivier qui s’avère inévitable. L’état doit faire un geste en notre faveur sinon c’est le désespoir, la fin de notre activité” affirme un montagnard d’At Mélikèche.Dans la région de Seddouk, l’oliveraie est décimée à hauteur de 80%. Plus haut Ath Maouche est une zone particulièrement meurtrie. Même tableau sur les piémonts d’Aït Rzine et les collines de Boudjellil au nord du défilé des “Portes de fer” (El Biban). Au dessus d’Akbou, les gigantesques oliviers de Tazaghart, ceux de Tifrit, d’Ighram et d’ailleurs, ne régénèrent pas encore. Plus à l’ouest, les immenses vergers d’At Mélikèche sont quasi-morts. Les fameux oliviers de la variété Aharoun d’At Ouamar sont condamnés.Des centaines de ruchers ont gelé et les essaims perdus. Les poulaillers ont été également touchés par le froid tout comme les bergeries et les autres étables et batteries d’élevage bovin et ovin. En termes financiers, les frais à engager pour tailler et nettoyer les oliviers sont estimés à 50 000 DA l’hectare (environ 100 arbres de plus de 20 ans d’âge). Chaque olivier déraciné représente une valeur de plus de trois millions de centimes. Le moins touché des oléiculteurs a perdu une cinquantaine d’arbres, soit une valeur 150 millions de centimes. Il devra de plus engager une dizaine de millions pour relancer son verger. D’où puisera-t-il toutes ces ressources dans un contexte de précarité extrême marquée par la très faible production d’huile de cette année (moins de 10 millions de litres dans toute la wilaya qui a établi l’an passé un record de 27 millions de litres). Il est à craindre que de nombreux oléiculteurs connaissent la faillite pure et simple, et viennent rejoindre les réseaux de bricolage de l’économie informelle avec la dévalorisation et la clochardisation que cela véhicule. Les coriaces paysans accoutumés aux humeurs fantasques de la nature, s’accrochent à l’infime idée véhiculée par la cosmogonie berbère selon laquelle l’olivier serait un arbre immortel. Nous seront fixés après la période d’Aheggan qui met fin définitivement au froid après le 20 avril dans le calendrier amazigh. Espérons que les montagnards et leurs oliviers survivent à leurs profondes blessures.

Rachid Oulebsir

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