Tamurt et la chanson de l’exil

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Débarqué souvent très jeune, laissant derrière lui la famille et les amis, le déraciné était une proie pour les crocs acérés que les délices d’El-Ghorba ne cessaient de gronder.En effet, trompé par des illusions imaginaires pour se heurter ensuite à une situation amère, l’exilé ne savait chasser les embûches qui jugulaient son avancée vers une fortune tardive, qui paraissait lointaine et irréalisable. Tamurt le pays, tahvivt la bien-aimée, et el-firaq la séparation, sont des mots qui remplissaient souvent les textes chantés. Cette image immortalise le maintien de l’exilé à son appartenance racial. Elle consolide le refus de l’oubli et son attachement indéfectible aux siens. Elle démontre le malaise vécu et les souffrances craintes engendrées par un exil qui dure et se prolonge sans limite. Cette reconnaissance-appartenance aux siens serait appuyée par des vocables plus explicatifs. Ainsi tahvivt la bien-aimée occupait une place prépondérante dans les répertoires chantés de l’exil. Feu El-Hasnaoui, dans l’une de ses chansons disait :A tina hamlagh, a tina achquaghI kad l’vhar taranagh (Ô celle que j’aimeLa mer se tient entre nous) Parti pour une courte période et dans l’unique but d’amasser une fortune salvatrice pour la famille, l’exilé aurait constaté la dure réalité que l’ailleurs inconnu lui avait réservée. De l’original merveilleux Tamurt, au paradis artificiel, sombre qui est el-ghorba, le déraciné se nourrit des affres de l’éloignement, et de la sévère absence qui refusait de se terminer. Ainsi, l’espace géographique renaît dans les textes de la chanson de l’exil. Tamurt le pays qui symbolisait la famille, la bien-aimée… revenait souvent dans les vocables scandés par les immigrés. El-Hasnaoui qui maîtrisait parfaitement le fond du problème, a su avec une sensibilité touchante décrire le manque flagrant et cuisant que l’horizon lointain aurait assigné à l’exilé. Rebbi et maâmboud Aw irwan aka n Ijdud(Ô Dieu, le VénéréQuand n’aimerais-je m’assouvir de la terre des ancêtres). Le terme lejdud (ancêtres) donne dimension sans limite à l’amour que l’exilé portait dans ses entrailles aux siens. Cette déchirure qui avait frappé de plein fouet la famille kabyle n’a pu altérer le sentiment d’appartenance à un espace géographique, à une race bien définie, même si l’exil était, des fois, un exil mortel.

Ali Khalfa

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