De Draâ El Mizan à Ifri

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L’eau est une denrée qui ne manque pas à Ifri. Elle est très fraîche est naturelle. Tous les visiteurs ne peuvent s’empêcher de s’extasier sur sa qualité en se désaltérant aux nombreux robinets et tuyaux branchés par le villageois.Quant aux figues, nous ne voyons pas comment Si Saïd pouvait tenir sa promesse alors que tous les arbres ont été carrément pris d’assaut depuis la veille et certains arbres gardent toujours les stigmates de cette agression.Quelques instants plus tard, nous demandâmes à notre ami de tenir parole alors que le cortège officiel faisait son apparition, ce qui n’intéressait pas Si Saïd ni de près ni de loin encore moins certaines personnalités.Si Saïd tira de l’une de ses poches un sachet noir et nous invita à le suivre pour la cueillette !Nous déclinâmes l’invitation d’autant plus que ni notre poids ni notre handicap ne permettait d’atteindre des escarpements, alors que pour trouver un quelconque fruit autant aller à Tamanrasset pour rapporter de la neige en ce 20 août.Nous laissâmes Si Saïd, répondant sans cesse aux salutations car l’exiguïté favorise les rencontres, nous avions oublié notre compagnon jusqu’au moment où celui-ci nous interpelle “Suis-moi, aya journaliste !”.C’est ce que nous fîmes automatiquement. Au passage, Si Saïd récupère deux bouteilles d’eau minérale vides qu’il mit sous le bras tandis qu’il tenait son sachet pesant près de deux kilos de nous ne savions quoi.

La source d’Ifri Empruntant une petite ouverture pratiquée dans la clôture du musée, Si Saïd que nous devions suivre descendit quelques marches.En moins d’une minute alors que la voix du ministre qui lisait son discours nous parvenait, nous nous retrouvâmes comme dans ces films d’épouvante transportés vers au moins un siècle en arrière.Ce n’était pas possible qu’à peine à une dizaine de mètres de là, il y a un autre pays totalement différent.Les quelques maisons d’un autre âge gardent toujours leurs portes en bois massif à deux battants alors que le chemin est pavé de grosses pierres.Si Saïd qui n’a rien vu de la commémoration marchait devant tout en marmonnant “la mangeation ! La mangeation ! la mangeation ! aam ! aam !”Nous avions compris que Si Saïd ne supportait ni la présence des faux moudjahiddine, ni celle de cette fameuse nouvelle famille révolutionnaire authentique, c’est pour cela que nous gardâmes le silence tout en le suivant doucement afin de ne pas risquer une mauvaise chute dans cet étrange pays. Le chemin caillouteux très ombragé et ressemblant à un tunnel descendait vers le ravin, vers l’inconnu alors qu’une peur commençait à nous envahir d’autant plus que nous ne nous sentions plus en sécurité. Pour vaincre nos appréhensions et pour nous donner du courage, nous décidâmes de détendre cette atmosphère lugubre en taquinant non seulement notre compagnon qui avait l’habitude de prendre ce sentier mais pour lui rendre sa monnaie, lui qui ne cesse de nous interpeller par “Ya La Dépêche” ou “Aya journaliste”. – C’est encore loin cette source, Ya Abane ! Ce fut notre premier missile.- Si Ouramdane ! Tu es toujours à la traîne Ya Si Chérif, fais attention de ne pas tomber, encore une cinquantaine de mètres.La réplique de Si Saïd nous désarçonna si bien que nos fîmes un petit arrêt pour rebrousser chemin car cette aventure nous faisait peur de plus en plus.Quelques jeunes étaient assis sur de grosse pierres mais ne nous saluèrent pas comme c’est l’usage à la rencontre de personnes âgées.Enfin nous atteignîmes cette fameuse Thala qui avait quand même bénéficié de quelques aménagements. Thala en elle-même est magnifique. Le lieu est très frais et invite au repos si ce n’est que l’endroit est très sauvage et abandonné depuis des lustres si bien que les figuiers se trouvant dans les ravins chargés de fruits sont inaccessibles à cause des ronces qui les couvrent. Quel dommage ! Leurs propriétaires sont peut-être morts.La source est couverte, c’est en quelque sorte une salle d’eau avec l’aménagement d’une toilette. Six ou sept tuyaux laissent sortir des torrents d’eau qui vont se perdre dans l’oued voisin, H24 alors que ce précieux liquide ferait la joie des citoyens de Draâ El Mizan qui ne le reçoivent que parcimonieusement. «Ne t’assois pas Ya Si Chérif, c’est mouillé !» Nous lance notre compagnon en nous voyant faire le geste de nous reposer afin de nous remettre de cette accablante descente.Nous n’hésitâmes pas à boire directement de cette eau qui sort directement de l’antre de la montagne. C’est vrai, c’est la vraie eau d’Ifri ! Sans nous adresser la parole, Si Saïd retroussa son pantalon jusqu’aux genoux et entreprend de faire ses ablutions, ce qui était normal mais ce cérémonial il le refait plus d’une vingtaine de fois en notre présence sur le même lieu sans que nous ayons le courage de le questionner. Alors que nous nous reposions au bord de la source en contemplant cet endroit insolite alors que la-haut des centaines de citoyens et de citoyennes venus de tous les coins du pays étaient en train de visiter le musée ou de se congratuler après une longue absence, voilà que mon compagnon et moi, sommes les deux seuls à rejoindre cette source. Quelques jeunes font des va-et-vient sans oser s’approcher de la source ou nous adresser la parole.Pour en avoir le cœur net et pour savoir si c’était des humains, nous leur demandâmes s’ils étaient du village ou venus d’ailleurs. C’étaient des jeunes du village chargés de quoi ? nous ne pouvions le leur demander, quant à notre compagnon, il en était à sa troisième ablution après avoir fait peut-être la prière derrière cette maisonnette en se tenant debout face dirigée à l’Est.

Les figues et l’eauPeu de temps après, alors que nous commencions a avoir une petite faim, Si Saïd nous présenta les deux bouteilles d’eau minérale qu’il avait ramassé et dont les goulots avaient été enlevés pour en faire des récipients sans que nous nous apercevions de cette opération. Les deux récipients étaient pleins de figues recouvertes d’eau.«Tiens mange à ta guise Ya Si Chérif, (Kharaf), c’est la seule chose que tu as raté en 1956, il y a ces figues et cette eau alors récupère tout !» En prenant le premier fruit, nous sursautâmes presque. Notre peur fut à son paroxysme car de toutes les figues de cette qualité, il n’y a pas de cette grosseur et de cette beauté avec les stries de la rosée du matin.«Tu peux manger sans aucun danger Ya Si Chérif, c’est ta part, les figues sont authentiques, elles ne sont pas en plastique».Tout en jurant en mon for intérieur que nous ne ferions plus cette bêtise d’aller à une pareille aventure, nous goûtâmes au premier fruit qui nous donna tout de suite l’envie de nous jeter la bouche ouverte vers le premier tuyau déversant ce liquide glacé et insatiable. Au bout de la sixième figue accompagnée d’une grande quantité d’eau, nous n’en pouvions plus malgré l’insistance de notre compagnon à continuer notre frugal repas.Tout en le remerciant de cet égard, alors que nous nous trouvions à deux dans cette chambre froide, lui, toujours le pantalon retroussé jusqu’aux genoux faisant les aller-retour dans le bassin étroit plein d’eau jouant comme un enfant, nous décidâmes de crever l’abcès.«Ya Si Ouramdane, est-ce que les autres vont venir ou allons-nous passer toute la journée ici à les attendre ?»«De toutes les façons» nous répond-il, «nous sommes au rendez-vous, si quelqu’un décide de descendre qu’il soit le bienvenu, je n’ai de rancune envers personne et le passé est le passé».«Alors, tu les as vu là-haut ?»«Je n’ai pas cherché, il n’y a pas de rendez-vous qu’ici !» Coupa-t-il court en allant dans l’eau au fond de cette pièce obsurde.En pensant à écourter notre calvaire, notre compagnon attendait toujours l’arrivée d’un ex-compagnon du congrès.Le temps passait, nous commencions à avoir mal au ventre et un certain malaise commençait à se profiler et prenait tout notre corps. Lorsque Si Saïd ou plutôt Si Ouramdane décida de quitter Thala Ifri, nous nous sentions vraiment mal en point mais sans oser l’avouer à notre ami.L’ascension fut plus pénible que la descente. Nous prîmes congé des jeunes qui avaient veillé sans doute à notre sécurité comme le firent les jeunes moudjahidinnes durant toute la durée du Congrès sous le commandement du colonel Amirouche.

Le retour C’est avec un véritable soulagement que nous retournâmes sur l’esplanade du musée tout en redécouvrant notre siècle mais depuis que nous l’avions quitté il y a eu un grand changement dans la composante humaine des présents. En effet, lorsque nous l’avions quitté, il y avait plus de vieilles personnes que de jeunes alors qu’à notre retour il n’y avait que des jeunes venus faire plus de bruit que pour s’incliner dans la méditation à la mémoire des martyrs de la Révolution et des congressistes du 20 Août 1956. Alors que notre compagnon avait disparu sans aucun au revoir au milieu de la foule qui scandait les slogans non appropriés pour ce lieu, nous dûmes aller saluer notre P/APW, M. Rabah Aissat ainsi que certains de nos confrères de la vallée sud de Tizi-Ouzou ainsi que certains P/APC et plusieurs connaissances. Il n’y avait plus de place pour nous en ce lieu historique et le mieux serait de décamper le plus vite possible.La circulation est très dense. La gendarmerie et la police communale avait quitté les lieux sans doute avec le départ de la délégation officielle laissant les partisans du FFS à leur show.Tout en marchant, l’esprit ailleurs, un automobiliste que nous ne connaissons pas, nous invite à monter en nous lançant : “Iya, aya journaliste !”.Le trajet fut rapide et agréable tout en discutant de tout et de rien jusqu’à Ighzer-Amokrane où voyant que notre aimable automobiliste prenait la direction de l’ouest, nous le priâme de s’arrêter un instant près du siège de l’APC afin de récupérer notre sac de voyage que nous avions laissé dans la matinée chez le cafetier. Comme la veille à l’aller, la chance était au rendez-vous car notre automobiliste se rendait à Boghni. C’est devant le café “Murkass”, sur la place de Draâ El Mizan que nous priâmes notre conducteur de s’arrêter car notre ami Amar Ouramdane était attablé à la terrasse.Nous le rejoignîmes illico presto alors que le second vice-président de l’APC traversait la rue, nous signalâmes à notre ami que le bus de Draâ El Mizan était arrivé.Mais notre confrère soutint qu’il avait vu dans la journée l’élu en question et qu’il n’avait pas quitté la localité. Il n’en fallait pas plus pour que nous tombions à la renverse d’autant plus que cette personne était bien avec nous dans le bus en montant à Ifri.Heureusement que l’élu vint nous saluer et nous dire qu’il nous avait cherché pour le retour.

Essaïd N’Ait Kaci.

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