Discours à blanc contre la panique des éleveurs

Partager

Reportage réalisé par M.A. Temmar

La maladie de la langue bleue ayant touché le cheptel ovin, bovin et caprin aura causé des centaines de cas de mortalité dans la wilaya de Tizi-Ouzou. Pour la seule localité de Yakouren, le cabinet vétérinaire a déclaré 15 mortalités en l’espace de dix jours. Un constat que les vétérinaires ont établi pendant la période allant du 16 au 26 août derniers. D’autres cas de mortalité ont été signalés dans les quatre coins de la wilaya. Les informations sur le nombre de têtes ovines ou bovines atteintes ou décimées par l’épidémie sont rarement divulguées. Jamais un éleveur ne vous dira que son troupeau est malade ou s’il comptabilise des mortalités. En Kabylie, avoir un malade inguérissable, que ce soit humain ou animal, relève d’un secret à ne pas trahir. C’est un tabou. Selon les chiffres avancés par l’intérimaire à la DSA, M. Bouleriah, la suspicion de l’apparition de la blue tongue a touché les éleveurs dans 13 communes, où sont élevés 499 ovins et 28 bovins.Le premier foyer où est apparu la maladie a été signalés à Azazga le 23 juillet dernier. Certains vétérinaires que nous avons rencontrés, avant-hier, affirme que la sonnette d’alarme fut tirée par l’épouse de l’inspecteur vétérinaire exerçant à la DSA (Direction des services agricoles de la wilaya). Elle aussi est vétérinaire de profession à Azazga où elle tient son cabinet privé. Mais la DSA a mis beaucoup de temps pour réagir. Il aura fallu trois semaines pour enclencher la campagne de démoustication. Une opération visant à lutter contre l’insecte vecteur de la maladie, le moustique en l’occurrence. Car la blue tongue ne se transmet pas via le contact entre les bêtes, il suffit de la présence du moustique pour qu’elle soit transmise d’un sujet à l’autre. La maladie de la langue bleue n’est pas dangereuse néanmoins, pour l’homme, affirment les vétérinaires. Silence ! la bête meurtPour connaître les foyers touchés par la langue bleue, il faut toujours user de détours. Les éleveurs ne « dénoncent » pas leurs homologues du même village. Plutôt, ils ne vous diront jamais que dans leur village, le troupeau est malade par peur d’attirer l’attention des pouvoirs publics qui exigeront l’abattage systématique des bêtes incurables. Il y a aussi la crainte de casser les prix du cheptel. Malheureusement, la maladie de la blue tongue est là. Elle rattrape l’ensemble des éleveurs qui usent des moyens rudimentaires pour stopper sa propagation. Ils nous diront qu’ils ont eu recours à la médecine traditionnelle. « J’ai acheté un kilo de miel à 3000 dinars que j’ai fait mélanger à du jus de citron pour l’appliquer sur la langue et les lèvres des sujets malades », reconnaît un éleveur de Yakouren qui dit posséder une vingtaine de têtes ovines. Cela veut dire que votre troupeau est malade ? Lui avons-nous demandé. « Qui des éleveurs de la région, y compris ceux du versant ouest d’Azazga, n’est pas touché par l’épidémie » ? a-t-il répliqué, dans un air qui trompe un secret mal entretenu, par dépit. Des statistiques approximatives nous ont été données par deux petits éleveurs de deux villages différents de Yakouren. Nous taisons les noms de ces villages par devoir de promesses que nous avons faites à leur égard, pour pouvoir cerner la situation de ces foyers.Il y aurait des dizaines de cas de mortalité non déclarés. Les éleveurs procèdent à l’enfouissement sous terre, in extremis, des cadavres des bêtes mortes. Même les vétérinaires, qui d’habitude, sont chargés du traitement et du suivi des ruminants en temps de « paix », ne sont pas informés par peur de les « dénoncer » aux subdivisions agricoles qui se chargeront de le faire auprès de leur inspection de wilaya. Un chiffre qui contredit, d’une façon aussi flagrante, ceux avancés par la Direction de l’agriculture de la wilaya. Celle-ci nous a fait état de 13 bêtes décimées par la maladie depuis son apparition. Ce qui arrive aux éleveurs de la Kabylie est intenable. Pris dans un dilemme inextricable, ces éleveurs encaissent le coup sans faire le moindre bruit. Ils assistent, faibles, qui à la perte d’une à six brebis, qui à la décimation totale de leur troupeau. C’est le cas d’un éleveur à Guendoul, dans la commune de Fréha qui, selon un vétérinaire établi dans cette ville, a perdu tout son cheptel comptant 40 têtes de moutons et brebis. Un deuxième foyer important où est apparue cette maladie est situé au village Ajerrar, dans la commune de Fréha. Le jour de notre passage, aucune mortalité n’est enregistrée, selon les dires des personnes que nous avons interrogées sur place.Les ruminants (bovins, ovins et caprins) restent les espèces les plus exposées à cette épidémie virale. Elle se manifeste par le gonflement de la langue et de la mâchoire, ce qui empêchant la bête de manger. Ce qui rend celle-ci faible et encline à la mort. Les sujets à forte corpulence et à grande résistance guérissent au troisième jour de la contraction du virus, affirme-t-on. Cela explique le taux le plus élevé de mortalité chez la race des ovins, notamment les brebis qui s’affaiblissent vite.

Quand le virus génère le syndrome de la langue de boisCe qui nous a le plus frappés est l’attitude des responsables au niveau de la Direction de l’agriculture de la wilaya. Ces derniers qui nous ont conviés, samedi dernier, pour présenter l’état des lieux de la maladie, n’ont pas lésiné sur les « efforts » pour nous convaincre que la situation est maîtrisée. Alors que l’épidémie se propageait à une vitesse de croisière, l’intérimaire à la DSA parle de 13 bêtes décimées parmi les 499 ovins qui vivent dans les foyers suspectés. Mais ce que nous estimons être le plus frappant est l’explication donnée par le Dr Abtout, inspecteur vétérinaire à la DSA, au sujet de la transmission de la maladie. Il nous explique « scientifiquement » que « le moustique qui a piqué un mouton restera trois jours pour digérer le sang sucé, avant de revenir à la charge et piquer le même mouton. Donc il n’y a aucun danger de contamination par le même moustique sur les autres bêtes qui vivent dans la même étable ou bergerie. » Cet « éclaircissement » nous a été donné au moment où nous cherchâmes à connaître l’évaluation des risques de contamination des animaux sains par ceux déjà touchés par le virus. Devant notre ébahissement face à une telle explication, qui faut-il le dire, relève de l’excellence en langue de bois, l’on tentera par la suite de se focaliser uniquement sur la campagne de démoustication enclenchée sur les lits d’oueds. Ces derniers sont considérés comme étant les plus grands gîtes d’abri des moustiques, vecteurs de la maladie de la blue tongue. Ainsi, un grand dispositif visant à mettre un terme à la propagation de l’épidémie a été mis en place par la DSA, selon l’intérimaire, M. Bouleriah. L’opération que mènent les services vétérinaires de la Direction de l’agriculture, avec l’appui de l’INPV d’Alger (Institut national de protection des végétaux) qui ont fourni un camion pulvériseur, vise à lutter contre les moustiques, vecteurs uniques de cette maladie qui n’est pas, heureusement, transmissible à l’homme.Les actions de démoustication entamées depuis le 12 août dernier ont permis, jusqu’à présent, de faire le ménage sur l’oued Sébaou, allant de Boubhir (sur le haut Sébaou) jusqu’à Mekla. l’opération vise ainsi à s’attaquer, au premier chef, aux gîtes favorisants l’apparition et le foisonnement de ces insectes. Un deuxième camion de l’INPV devra renforcer les équipes déjà présentes sur l’ensemble des 67 communes de la wilaya. L’engin pulvérisateur effectuera l’opération de désinsectisation sur les oueds et lieux de stagnation des eaux situés sur la partie sud de la wilaya ainsi que sur le bas Sébaou. Les services de prévention de la Direction de l’agriculture ont également bénéficié d’un lot très important en matériel de lutte anti-acridien ne, resté dans les stocks, afin de renforcer les équipes en matériels mais aussi en kits de protection. Jusqu’à présent, la situation est loin de connaître des amélioration. Car, si les opérations de démoustications ont touché les lieux de stagnation des eaux, les foyers où sont localisés les cas d’épidémie ne seront pas traités par les pouvoirs publics. La preuve, alors que le télégramme parvenu au siège des dairas de la wilaya depuis le 15 du mois courant, par la Direction de l’agriculture, est transmis le même jour vers l’ensemble des municipalités, les informant du « lancement de l’opération de désinsectisation des lieux de stagnation des eaux et pour prêter assistances aux agents effectuant cette opération », les éleveurs nous ont certifié, lors de notre passage près de chez eux lundi dernier, qu’aucune opération de ce genre n’est effectuée aux alentours de leurs bergeries.

M.A.T.

Partager