La Dépêche de Kabylie : Vous venez d’achever les travaux du colloque sur l’histoire de la région de M’chedallah, qu’en est-il de votre impression ?Yasmina Saoudi : Mon impression ! Je dirais qu’en fait c’est une réussite dans la mesure où nous avons enfin réussi à jeter les dés dans un terrain jusque-là laissé en jachère. D’ailleurs, l’adhésion de la population qui a tenu à marquer sa présence en force le jour de la manifestation, ne peut être qu’une preuve de surcroît qui dénote, si besoin est, de la sensibilité des gens envers les questions historiques.
Et pour ce qui est de l’idée ayant présidé à ce travail…l Je ne vous cache pas que c’est une initiative individuelle que j’ai déjà prise dans le passé sans que cela ne me procure la satisfaction escomptée. C’est peut-être dû au fait que j’ai toujours voulu organiser cette manifestation à Maillot et pas ailleurs où l’opportunité m’avait été donnée. C’était donc depuis 2004 que je traîne cette idée, et fort heureusement que cette année, j’ai trouvé un écho favorable auprès des responsables de la commune de M’chedallah que je salue au passage, et qui m’ont permis de réaliser ce projet qui me tient tant à cœur. Je souligne que deux autres séminaires ont été organisés dans le même sillage au niveau de Bouira : le premier au cours du mois d’avril 2005 et le deuxième au mois d’avril dernier et qui traitaient des savants de la région dont je cite le cas de la famille M’chedali, entre autres Nacer Dine, Abou Amrane et Abou Lqacem.
Avez-vous rencontré des difficultés pour la réalisation de vos projets, vous qui êtes chercheur en histoire ?Des difficultés (sourire), il n’y a que ça. Il y a d’abord le financement qui bute sur des réticences. Il y a certes des contributions, notamment de la part de certains entrepreneurs qui n’ont pas hésité à ouvrir leur porte-monnaie, mais c’est la contribution des organismes d’Etat qui fait toujours défaut. Sur un autre volet, c’est la non-disponibilité des gens à soutenir des travaux traitant de l’histoire qui fait reculer les choses. Quant aux travaux de recherche, il est bien dommage de constater que d’aucuns n’y accordent autant d’importance que cela nécessite dans la mesure où la science doit être portée au plus haut degré des préoccupations.
Que préconisez-vous pour mieux faire avancer les choses dans ce domaine à l’échelle locale ?l D’abord, espérons que ce colloque devienne une tradition et qu’il s’inscrive dans la durée.Sinon, je dirais que nous n’avons qu’à mettre en œuvre les recommandations tirées de cette première édition, et qui consiste initialement en la mise en place d’une organisation, une fondation quoi ! Et prendra en charge les travaux de recherches sur la région et l’organisation de pareilles rencontres à chaque fois que les moyens aussi rudimentaires qu’ils soient, se trouvent réunis. Là, je profite de l’occasion qui m’est offerte par votre journal, pour lancer un appel à toutes la population de la région afin qu’elle s’implique d’avantage dans cette œuvre qui ne peut être l’apanage de personne. De par la dimension que revêt cette modeste initiative, la population, toutes catégories confondues, doit la faire sienne.
Pourriez-vous nous parler un peu de la région de M’chedallah sur laquelle vous semblez faire une fixation dans vos travaux de recherche ?l Ce n’est pas une question de fixation, mais plutôt un besoin et un devoir que tout historien doit faire sien car, il demeure que l’histoire de cette région est la moins connue, en dépit des grands exploits qu’elle avait faite durant plusieurs siècles. Cela dit, déterrer l’histoire de cette contrée contribue à mettre en valeur une partie non-négligeable du puzzle qui fait l’histoire de notre pays. Quant à l’importance de M’chedallah, elle ne demeure pas moins importante que les autres régions du pays inscrites en lettres capitales dans les annales historiques nationaux. D’abord, il y a l’aspect géostratégique que revêt cette région, ce qui fait d’elle un carrefour et un trait d’union entre l’est et l’ouest du pays ainsi qu’entre la haute et la basse Kabylie depuis la nuit des temps. Ainsi, cette situation fait d’elle un véritable bastion des luttes anti-occupation. Déjà en 1837, M’chedallah faisait le lit pour l’extension de la révolte conduite par l’émir Abdelkader. Cela même qui conduisit le Duc Valley de s’y établir dans l’espoir d’étouffer la guérilla qui se propageait dans la région même après les accords de la Tafna entre l’Emir et l’armée française.
Et pour ce qui est de la guerre de Libération nationale ?l L’importance de la région de M’chedallah dans la lutte pour la Libération nationale n’est pas à démontrer, d’autant qu’elle a servi de zone de passage et de refuge pour les moudjahidine à l’époque. Ainsi, je tiens à préciser qu’il ne faut pas pour autant regarder l’histoire à travers le prisme des écrits académiques car, pour ce qui est de cette région, le fond documentaire demeure presque inexistant si ce n’est quelques documents que nous avons trouvés chez des particuliers. Aussi le recoupement des différents témoignages d’anciens moudjaheds ont permis de lever le voile sur un passé riche en événements, d’autant que la majeure partie des responsables de la Révolution ont fait des séjours dans la région de M’chedallah. L’autre paire de manche qui démontre, si besoin est, la grande contribution des Maillotins, est sans conteste le nombre de martyrs dépassant les 700, sans compter le sacrifice de tous les villages incendiés dans le cadre de l’opération jumelle menée en représailles par l’armée française.D’autre part, il y a de grandes batailles ayant marqué l’histoire de la région dont je cite les plus importantes comme celle d’Izirouel en 1957, Saharidj le 27 juin 1957 et la bataille d’Ichcou Oumahroum de 1959. D’ailleurs, je suis sur un travail de recherche pour la réalisation d’un recueil de biographies de martyrs de la région. Un travail que je compte réaliser avec la collaboration des enfants de chouhada, les moudjahidine et toute autre personne pouvant contribuer à cette œuvre. Je profite de l’occasion pour appeler toute la population de M’chedallah à contribuer à cette œuvre qui est la sienne.
Sur un autre volet, que diriez-vous, en tant que spécialiste, de la perspective de réécriture de l’histoire nationale ?l C’est une bonne perspective dans la mesure où elle pourrait lever le voile sur un tas de non-dits et, par là, se prémunir des manipulations sordides qui ont jusque-là caractérisé des écrits semant le doute dans la véracité des faits relatés par des gens qui, dans certains cas, ne sont pas des spécialistes. J’estime, d’ailleurs, qu’après plus de quarante ans d’indépendance, l’Algérie n’a que faire des contrevérités, et la priorité doit être accordée aux œuvres scientifiques. Cela démontre, si besoin est, la nécessité de mettre à la disposition des chercheurs toutes les archives permettant des études objectives de notre histoire que nous devons assumer.
Propos recueillis par Lyazid Khaber