»Prendre garde au calme apparent en Kabylie »

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D’un certain point de vue, maître Issad peut aussi être considéré comme un acteur puisqu’il a été associé au moins à trois dossiers importants au cours des six dernières années : il a présidé successivement la Commission des réformes de la justice et la Commission d’enquête sur les événements de 2001 en Kabylie, appelés communément les événements du Printemps noir. Le premier sujet abordé est ce qui constitue l’actualité la plus immédiate, à savoir l’arrivée à échéance de la date-butoir accordée par la Charte pour la paix et la réconciliation nationale aux terroristes pour se “repentir’’ et se rendre afin de bénéficier des dispositions de ladite loi. Le professeur Issad estime que l’on ne peut pas juger, en l’état actuel des choses, des résultats induits par la mise en place du dispositif législatif initié par le président de la République tant que l’on “ne dispose pas de chiffres précis et d’amples statistiques”. Il pense, en outre, qu’il n’est pas normal qu’il n’y ait pas de chiffres et de statistiques. “Un bilan, cela signifie qu’il y ait la diffusion des résultats réalisés ; sinon, notre jugement ne serait pas fidèle à la réalité des choses”. Concernant l’opportunité de proroger la date limite fixée par la Charte, à savoir le 31 août 2006, le professeur Issad pense que “la prorogation du délai n’amènera aucune avancée, parce que ceux qui ont voulu se repentir l’ont fait au cours des derniers”. Et, un autre argument avancé par maître Issad, “la prorogation du délai pourrait être interprété comme une faiblesse de l’État ; personnellement, je souhaite que l’État algérien demeure fort et que force doit rester à la loi”. Dans le même esprit, il estime qu’ “une politique trop laxiste et trop clémente pourrait encourager d’autres dérives politiques et économiques et affecterait gravement la crédibilité de l’Etat”. L’autre sujet d’actualité directement lié au domaine professionnel de Mre Issad est le projet de la révision constitutionnelle. “A mon sens, nous pouvons parfaitement travailler avec l’actuelle Constitution, car celle-ci n’interdit quoi que ce soit ; les décisions politiques que les autorités voulaient prendre sont prises. Maintenant, il nous reste à nous interroger sur les adjonctions que connaîtra l’actuelle Constitution et les dispositions et mesures qui seront abrogées”. Les arguments avancés par certains responsables quant à certains interdits ou contradictions qui entacheraient le texte fondamental actuel ne sont pas, selon le professeur Issad, convaincants. Comme il réfute la thèse qui soutient que le régime politique instauré par la constitution de 1989, révisée en 1998, serait un ‘’régime hybride’’ tenant à la fois du présidentialisme et du parlementarisme. “Nous avons un régime parlementaire. Ceux qui parlent de régime hybride n’ont pas lu la Loi”. Le professeur Issad met le doigt sur un problème qu’il juge fondamental, à savoir la volonté de l’application des textes et le déficit de la culture démocratique dans notre société. “Ce ne sont pas les textes qui sont mauvais ; c’est leur application qui demeure un point noir (…) L’application des textes constitutionnels demeure tributaire de ceux chargés de leur application. C’est la raison pour laquelle on entend tout et n’importe quoi lorsqu’il s’agit de la Constitution. Dans tous les pays du monde, développés ou non, les textes sont établis dans un cadre d’une culture donnée. Ce qui fait défaut chez nous, c’est la culture démocratique. Nous tous nous ne savons pas ce que c’est la culture démocratique. C’est pourquoi, je dis que je ne suis pas convaincu par la nécessité d’amender la Constitution. En quarante ans, quatre Constitutions et la cinquième est en route. En revanche, un pays comme la France n’a connu qu’une seule Constitution depuis des lustres. La Grande-Bretagne est régie par les mêmes principes inscrits dans la Magna Carta (la Grande Charte) qui remonte à 1215”. Abordant la crise de Kabylie, Mohand Issad conclut en pensant que celle-ci est résolue : “Puisque les archs ne descendent plus dans la rue comme ce fut le cas au cours des dernières années, mais les problèmes soulevés par les archs demeurent ». Aussi, appelle-t-il à prendre garde au “calme apparent’’. “Les problèmes sociaux sont les mêmes ; ils n’ont pas changé depuis cinq ou six ans. Si la rue n’est pas explosive comme elle l’était naguère, cela ne veut pas dire que les problèmes soient résolus ou que les revendications des archs soient satisfaites”. Maître Issad renvoie le calme constaté sur la scène kabyle à la fatigue, voire au harassement des citoyens engagés dans la structure des archs. En outre, d’après lui, ces derniers sont “infiltrés, divisés et ont subi une implosion. Sans doute, il serait souhaitable d’exploiter cette occasion pour résoudre le seuil minimum de problèmes au moins”. En sa qualité de président de la Commission de la réforme de la Justice mise en place par le président de la République en 1999, le professeur Mohand Issad dit ne vouloir rien ajouter ou soustraire au rapport qu’il avait établi alors même si les conclusions et les propositions dégagées n’agréent pas à toutes les parties. « Les problèmes que vivait le secteur de la justice en 1999 sont toujours posés aujourd’hui. Ce que j’ai pu dire à cette époque je peux le dire de nouveau aujourd’hui : la Justice, comme tous les autres secteurs, a besoin de moralisation. Ceci est la première leçon. Les hommes et les femmes qui exercent dans ce secteur doivent être compétents. Si l’on ne respecte pas le préalable de ces deux conditions, aucune réforme ne peut aboutir ».

Amar Naït Messaoud

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