“Les errances salvatrices” de Ahcène Belarbi

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L’exil force parfois à l’écriture. Quand l’eloignement et la nostalgie se mélangent, l’individu est acculé à chercher au fond de lui-même de son histoire, et de ses origines. C’est en 1994 qu’Ahcène Belarbi quitte l’Algérie pour la France. Comme des millions de personnes avant lui, il prend du temps pour s’habituer à ce nouvel espace fait de libertés mais aussi de difficultés majeures. Ahcène quitte un pays qu’il aime tant pour une terre d’accueil qui s’avère, parfois,douce. Mais l’écrivain et journaliste n’oublie pas les siens et cette fabuleuse Kabylie, belle et jamais soumise. Dans son troisième livre, qui sort à Paris chez Publibook, Des Rêves et des soupirs *, il raconte une partie de ses nombreuses expériences. On y retrouve la lucidité poignante d’un poète. Il y a aussi beaucoup d’émotion dans ces textes vrais et accrocheurs. Parfois la poésie elle-même naît de ces difficultés que rencontre l’Homme dans ses quêtes et dans son désir de réaliser ses rêves. Dans ce livre, Ahcène Belarbi confirme qu’il est d’abord un poète sensible à la douleur des siens, à la beauté du monde, aux gestes simples que chacun peut faire pour donner du bonheur aux autres. “Des Rêves et des soupirs” contient des errances et des récits. La Kabylie et l’Algérie y sont racontées avec amour par un écrivain qui sait aussi déceler les mauvaises pistes qu’impose à tout un peuple un système dépassé. Un système ayant réussi à imposer la corruption comme un sport national au détriment du travail, de l’intelligence et de l’intégrité. »Là-bas, au delà des mersAu pays des aieux La Kabylie tout entièreResplendit sous un ciel bleuEnfermé dans mes silencesLes pleurs coulentde mes yeuxA chaque fois que je repenseA des souvenirs douloureux », C’est par ce poème que commence ce livre agréable à lire. Comme à son habitude, Ahcène Belarbi communique son style fluide et profond à la fois.Le besoin d’écrire est une raison d’être pour l’un des personnages de ce texte où un pan appréciable de la mémoire algérienne y est justement restituée.L’Algérie étant un pays où l’oubli est souvent institutionnalisé, il faut saluer les écrits qui essaient d’aller à contre-courant de ces partiques de l’occultation. Et Ahcène Belarbi arrive toujours à nous émouvoir avec ces histoires tellement réelles qu’elles se souviennent aussi de la tyrannie de ceux qui, durant de longues années, avaient imposé le choix de l’unicité stérile: une seule langue, une seule religion, un seul parti, une seule façon de rêver, une unique façon d’être…Heureusement que l’amour est toujours possible même dans les systèmes les plus dictatoriaux. « L’amour ne se traduit pas, il a son langage intime. Quand les yeux ne se parlent plus, quel discours peut prétendre se substituer à l’éloquence subtile d’un regard? C’est pourquoi, aussi fréquentes, aussi longues que puissent être les lettres d’amour, elles ne font que retarder le grand silence, celui qui se creuse au fur et à mesure que le temps passe », écrit Ahcène Belarbi qui avait déjà publié deux livres: Demain, la mémoire et La Fille des hommes libres. L’auteur affectionne les références littéraires; dans ces récits pleins de tendresse et d’amertume, on croise des clins d’oeil à “Nedjma” de Kateb Yacine, “Les Chemins qui montent” de Mouloud Feraoun, “Les Fleurs du mal” de Baudelaire et tant d’autres créations. Egalement journaliste, Ahcène Belarbi a collaboré à de nombreuses publications dont Alger-Républicain (c’est dans ce journal qu’Albert Camus a commencé à écrire), “Racines”, “La Dépêche de Kabylie” ou encore le “Kabyle de Paris”. « L’Algérie, ce pays des hommes libres, est devenue le plus grand camp de concentration sur terre. Son peuple, otage en liberté, traîne, jusque dans ses rêves confisqués, les chaînes de servitudes, forgées par les tenants de la dictature. Ceux-là mêmes qui ont usurpé le pouvoir et confisqué l’indépendance pour faire de l’Algérie leur propriété, et de ses citoyens, un peuple sans âme. Comment vivre dans un pays qui nous dénie…le droit de vivre? Te rappelles-tu notre promenade, à Alger, hein, te la rappelles-tu? Je n’oublierai jamais la façon dont ce policier nous a traités parce que nous nous promenions la main dans la main. Et moi qui venais, à plus de cent kilomètres, fou de joie àl’idée qu’on pourrait passer quelques heures ensemble, en amoureux, dans la capitale, sans nous cacher… », peut-on lire dans une captivante lettre adressée à Soraya par son amoureux. « Quel avenir peut-on espérer là-bas, entre les interdits religieux- d’un Islam étranger à notre société et à nos moeurs- et la répression du pouvoir, érigés en principe républicains? », se demande lucidement Cherif. Cette interrogation résume à elle seule les limites d’un système qui trouve du mal à se métamorphoser vers des horizons plus cléments.

Farid Ait Mansour* Des Rêves et des soupirs d’Ahcène Belarbi, éditions Publibook, 2006, 102 pages, 13euros.

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