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Ces Algériens qui vivent à Tunis

De notre envoyé spécial Aomar Mohellebi

Le centre commercial Palmarium est un endroit que visite chaque jour Walid. Il tente de tuer le temps en regardant les Tunisoises, car il travaille la nuit. Il travaille au noir et dans le noir comme gardien dans une cité d’habitations. Ce vendredi, le centre est moins animé parce que c’est le jour de la rentrée scolaire en Tunisie. Et ce n’est pas le jour de repos. Ici le week end c’est le dimanche, comme presque partout ailleurs sauf en Algérie, en Libye et en Arabie Saoudite. Après quelques dizaines de minutes, Walid, un Algérien de 23 ans qui vit en Tunisie depuis février 2006, se dirige à son lieu de travail. Il ne compte pas rester en Tunisie. «Ici, on ne peut pas faire son avenir», peste-t-il d’un air dégoûté. Il touche à peine 7 dinars tunisiens par jour, soit 350 dinars algériens. Cette somme le nourrit à peine. Il ne peut se permettre aucun loisir encore moins faire des économies. Le but de tous les jeunes qui quittent le pays. Chaque matin, l’idée de rentrer en Algérie lui traverse l’esprit. Mais il change de décision à la dernière minute. «Que ferais-je la bas ? Chaque matin, demander à mon père de me donner cinquante dinars et errer dans la rue ?», Se complaint-il. Rester ou partir ? Cette question lui taraude l’esprit chaque jour davantage sans qu’il puisse trancher. La solitude le tue plus que l’ennui. «Le jour, dit-il, j’oublie un peu le pays et ma famille, mais quand la nuit tombe, il m’arrive souvent de pleurer. Je pense beaucoup à ma famille et à mon quartier. J’ai honte de rentrer comme je suis parti, c’est-à-dire les mains et les poches vides». Walid est accompagné dans sa détresse d’un paquet et demi de cigarettes et de plusieurs cafés par jour. Il tousse sans arrêt en parlant et dit qu’il a beaucoup maigri ici. Sa chambre de trois mètres carrés avec toilettes et lavabo, ressemble à une cellule. Deux matelas sales, une résistance électrique, un magnétophone, des pantalons et des chemises suspendus à un fil de fer, c’est le décor lugubre qu’offre la chambrette. Il la partage avec Mokhtar, un autre Algérien de Tiaret, vivant et travaillant avec lui depuis trois mois. Ce dernier est plus angoissé que Walid. Il parle rarement. Le premier au moins extériorise. Le deuxième ne fait que penser. Vendredi matin, il se réveille en sursaut et appelle son patron lui demandant de lui verser son salaire car il a décidé de rentrer en Algérie. En fin de journée, il change d’avis. Il confie à son collègue qu’il resterait jusqu’à la fin du mois. Cette versatilité est liée au sort incertain qui les attend chez eux. Sadek, qui habite aux Ouadhia semble plus chanceux. Sa fonction de peintre lui permet de gagner beaucoup plus : 15 dinars tunisiens la journée soit 900 DA. Mais lui, il ne bénéficie pas de l’hébergement. Il doit louer à 200 DT le mois et payer l’électricité et l’eau excessivement chers en Tunisie. Et si par malheur il tombe malade, il doit débourser 35 DT (environ deux milles dinars uniquement pour la consultation) sans compter le coût des médicaments. «Une fois, un Jijelien est tombé malade pendant 15 jours, nous étions obligés de nous solidariser tous pour lui payer les soins prodigués», témoigne Walid, en écrasant une énième cigarette. Sadek, comme pour plaisanter enchaîne : «On ne peut même pas boire pour oublier, la bière de Tunisie ne saoule pas. Tu prendras autant que tu voudras et tu demeurera sobre». Une amie à Sadek lui a offert une paire de lunettes de soleil. Il vient à La Porte de France pour la vendre vendredi après midi, elle pourra lui rapporter 7 dinars tunisiens, de quoi passer une journée à l’aise. Il y a un peu moins d’un mois, deux Algériens ont été arrêtés en flagrant délit de vente de drogue. Ils ont été incarcérés et risquent de passer cinq ans de prison suivis d’une expulsion du territoire tunisien. En Tunisie, les services de sécurité sont à cheval. Et aucun commerce de stupéfiants ne peut passer inaperçu. Se marier avec des Tunisiennes ? Nos jeunes n’y pensent même pas. Pourquoi ? «Ici la femme est trop libre, elle est plus libre que l’homme. C’est elle qui commande sur tout. Remarquez par exemple que c’est elle qui effectue les achats au marché. La majorité des voitures sont conduites par des femmes et ces dernières fument sans tabou aucun», fait remarquer Sadek. Pour Sadek, Walid, Mokhtar et les autres, Tunis n’est qu’une courte étape de leur vie et bientôt, tôt ou tard, ils déguerpiront. Leur objectif, c’est de traverser vers l’Europe. Il y a à peine 60 kilomètres de Tunis vers l’Ile de Malte. Mais pour les franchir, il est pratiquement impossible. «Je les traverserai, même en nageant», promet Sadek en maudissant les généraux et les politiciens algériens qui ont participé à ruiner l’Algérie et faire d’eux presque des loques.

A.M.

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