Au Caire, la danse du ventre fait vivre la Cité des morts

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Oum Essam présente sa dernière « création »: un costume de danse orientale carmin, piqué de perles dorées. Mais point de mannequin ni de podium pour cette couturière qui a monté son atelier dans la Cité des morts du Caire. Au fond d’une allée sablonneuse, quelques marches raides mènent chez elle. Deux pièces exiguës et une cuisine minuscule, bâties au-dessus d’un caveau, abritent sa famille et servent d’atelier de couture. Sous ses fenêtres étroites, l’un des cimetières les plus anciens du Caire s’étend à perte de vue.Comme des centaines de milliers de compatriotes, cette Egyptienne s’est vue poussée par la crise du logement et la pauvreté vers la nécropole, où les habitations ont poussé sur les tombes. Confrontées au fait accompli, les autorités ont raccordé cette ville improvisée au réseau électrique et hydraulique. « Il y a trois ans, j’ai décidé de me lancer dans la confection de costumes de danseuses, mon métier de couturière étant devenu trop peu compétitif », dit-elle, l’oeil brillant malgré ses 60 ans et une vie de dur labeur.Armée de sa seule volonté et d’une vieille machine à coudre, elle se lance dans son projet, en s’inspirant des stars arabes qui défilent sur son petit écran. Car dans cette cité où quelques rares routes sont goudronnées et où les fosses septiques empestent l’air, la télévision est le seul divertissement. Depuis son premier costume, Oum Essam a fait du chemin. Aujourd’hui, elle règne en maître incontesté sur une quarantaine de voisines et de proches, qui perlent les modèles qu’elle coupe, pendant que le linge sèche entre deux pierres tombales ou que les enfants jouent à cache-cache dans les anciens mausolées. Chaque costume, formé d’un bustier, d’une jupe à taille basse et d’une large ceinture, requiert un kilogramme de perles de verre et quelques mètres de tissu de voile. « Nous confectionnons environ cent costumes par mois. Ma fille Madiha se charge de les emmener à Hurghada et à Charm el-Cheikh », deux villes balnéaires sur la mer Rouge prisées par les étrangers, explique Oum Essam, de son vrai nom Fawziya Mohammad al-Sayyed.En dépit de cette production élevée, pour laquelle les journées d’Oum Essam se prolongent jusqu’à l’aube, les bénéfices restent faibles. »Un costume coûte à la production 50 à 60 livres égyptiennes (8,7 à 10,5 USD). Je le vends pour un peu plus de 150 livres (26 dollars), mais je ne gagne en fait qu’une vingtaine de livres (quelque 3 USD), car le reste part en dépenses: tissu, perles, rémunérations des amies », relève-t-elle.Même si cette somme semble dérisoire, elle permet de mettre du pain sur la table pour la famille d’Oum Essam, dans un pays où la majorité des Egyptiens gagne moins de 600 livres (104 USD) par mois et où la population active est durement touchée par le chômage. »Le revendeur, lui, propose mes costumes aux touristes pour 500 livres (87 USD) minimum », note-t-elle avec amertume. L’Egyptienne aux doigts habiles ne désespère pas pour autant. Elle continue de produire et a même mis ses petites-filles à contribution, dans l’espoir de pouvoir quitter un jour le voisinage des morts.Fawziya, sept ans, travaille sur les costumes pour petits. « Nous avons trois tailles: adulte, adolescente et enfant », dit sa grand-mère, en observant du coin de l’oeil sa petite-fille, qui enfile des perles jaunes sur un long fil, avant de piquer le bustier menu. »J’ai appris en regardant ma grand-mère le faire », dit la fillette, un bol de perles sur les genoux. »De temps à autre, nous arrivons à vendre quelques costumes à un étranger providentiel, qui a entendu parler de nous par le bouche-à-oreille, comme ce Qatari qui m’a commandé des costumes il y a quelques mois », affirme Oum Essam. »J’ai dû faire un patron spécial, car il voulait des bustiers pour des seins assez volumineux », dit-elle en étouffant un rire derrière sa main.

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