Nos étrangers et nous

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Reportage réalisé par Salah Benreguia.

Ils sont de nationalités différentes, de diverses professions, et le destin les a réunis dans notre pays, loin des leurs, pour venir y vivre pour quelque temps ou pour toujours. Les étrangers vivant actuellement dans notre pays sont estimés à des dizaines de milliers, mais c’est difficile d’avoir un chiffre précis, car hormis ceux qui s’installent officiellement en Algérie, il existe une autre forme d’immigration, la clandestinité. Comment vivent les étrangers en Algérie ? Quelle opinion ont-ils de ce pays ? Une virée a été effectuée chez les ressortissants étrangers « de luxe », du moins aisés, mais également chez ces Africains qui font de l’Algérie une escale, pour comprendre leur point de vue sur leur vécu et sur les questions culturelles, politiques et économiques. Avec des avis qui se partagent, la réponse exacte n’a pas de place mais une chose est sûre, notre pays a beaucoup changé. Après avoir connu une décennie noire, ou ils étaient terrorisés, lassés par les années de deuil, les Algériens tentent un tant soit peu de redonner à notre pays son image d’antan et de créer un monde agréable à vivre. Des festivals sont organisés régulièrement à l’instar de Timgad et le Casif Sidi Fredj ; les soirées ramadhanesques font leur apparition et séduisent presque tout le monde. L’été fait également venir des étrangers. Les diplomates sont pratiquement les seuls étrangers à se retrancher dans leur tour d’ivoire et ne participent jamais aux manifestations publiques ou plutôt populaires. « Vous savez, nous sommes soumis à des réglementations très strictes. », nous a déclaré M Katagiri Kei, chargé des affaires politiques et culturelles à l’ambassade du Japon en Algérie. Il nous a fait savoir que pour sortir en dehors de la wilaya d’Alger, il faut une autorisation du ministère des Affaires étrangères. A la question de savoir quelle idée ont-ils des Algériens, « avant de venir en Algérie, sincèrement j’avais peur, car on me disait que c’est un pays où tu ne peux pas sortir à cause d’un éventuel attentat terroriste, l’Algérien n’est pas ouvert… », nous a avoué M. Mathew Goshko, chargé des affaires culturelles à l’ambassade des USA dans notre pays. Une fois venu, il a tenu à nous préciser que « Maintenant que je suis ici c’est tout autre chose, c’est un peuple très aimable, compréhensif et très accueillant ». Même son de cloche chez sa compatriote. En effet, Mlle Nichole Menz, chargée des affaires économiques, nous a avoué son sentiment vis-à-vis de L’Algérie : « Je suis ici depuis deux ans, j’ai visité plusieurs wilayas, franchement c’est formidable, vous avez des sites touristiques introuvables », et d’ajouter avec un sourire angélique : « Le peuple algérien est très aimable et communicatif ». Ces dernières années, un fait vraiment marquant, les employés des ambassades, notamment les filles, se défoulent dans les discothèques. « Beaucoup d’étrangers viennent chaque soir ici », souligne un serveur travaillant à l’hôtel El Aurassi, mais au-delà, il existe un autre type d’immigration. Les jeunes, qui fuient la misère de leurs pays, espèrent trouver l’eldorado de l’autre côté des frontières, débarquant du Niger, du Cameroun, du Mali…, sans papiers, sans ressources, ils improvisent comme ils peuvent toutes sortes d’activité, basculant ainsi dans le commerce illicite, et les trafics en tout genre. Ils vivent au jour le jour. Même les jeunes qui obtiennent une carte de séjour et une bourse pour la durée de leurs études se trouvent au bout de leur parcours universitaire sans rien. En situation irrégulière, ils cherchent à travailler  » honnêtement  » pour certains et ne rechignent pas à la besogne. Ils ne refusent rien. « On peut travailler comme jardiniers, gardiens, maçons, l’essentiel est de travailler », nous déclare Omar, un Malien qui s’est installé chez son cousin (étudiant) à la cité universitaire de Bab Ezzouar.

Les investissements en Algérie

Avec plus de 720 millions de $ investis par les 18 groupes chinois du BTP dans les grands chantiers, l’Algérie est, semble-t-il devenue l’eldorado des hommes d’affaires de plusieurs pays du monde. Avec 53% de main-d’œuvre étrangère, le secteur le plus concerné est le bâtiment et vient ensuite celui des travaux publics. En effet, avec plusieurs chantiers, à l’instar de l’autoroute Est-Ouest, et le programme quinquennal du Président de la république pour la réalisation d’un million de logements, les pouvoirs publics comptent ainsi redonner au pays la place qui lui sied. En effet, ces entreprises qui s’installent de plus en plus en force, tentent un tant soit peu de participer au décollage de l’économie nationale, mais aussi de…s’en sortir avec de gros bénéfices. L’exemple le plus éloquent ce sont ces deux opérateurs de téléphonie mobile. Il est vrai que le service rendu à la population algérienne n’est pas à démériter, mais la contrepartie s’estime par des…milliards de $. « L’Algérie fait de gros efforts dans le domaine des infrastructures », nous dit Geylani Acikel, responsable commercial d’une grande entreprise turque présente lors du dernier salon de l’emballage car « c’est primordial pour le développement », explique la même source. A ce titre, il citera les infrastructures routières comme l’autoroute Est-Ouest, « très importante d’un point de vue stratégique pour le pays ».Des entreprises turques, présentes en Algérie, ont en charge elles aussi, de gros chantiers. « Mes compatriotes me disaient toujours que l’adaptation est facile », précise ce directeur marketing qui trouve beaucoup de similitudes entre les Algériens et les Turcs. « Pas seulement au niveau de la religion, mais aussi dans le comportement quotidien ». Ce qui mérite d’être signalé est que beaucoup de sociétés étrangères installées ici recrutent des cadres algériens qualifiés. Les missions des  » big boss  » se limitent parfois à de longs séjours pour le lancement de leurs entreprises. Rarement ils s’installent en famille. « Je suis là pour deux semaines, le temps de faire un stage de recyclage pour les jeunes ingénieurs », nous dira un expert français. Toutefois, cet expert regrette de ne pouvoir mieux connaître le pays car son emploi du temps est chargé. Cependant, à chaque fois qu’il vient, il constate « une évolution sur le plan de la profession ».

Les étrangers et le Ramadhan

Le Ramadhan suscite des appréciations divergentes au sein de la communauté étrangère installée en Algérie. Si certains se retrouvent, durant ce mois sacré, obligés de s’adapter à cet environnement musulman jusqu’à modifier leur mode de vie, d’autres ne voient aucun changement en ce mois de jeûne et le vivent comme tout le reste de l’année. C’est le cas de Nichole Menz, chargée des affaires économiques à l’ambassade des Etats-Unis dans notre pays. De religion chrétienne, cette étrangère, qui vit en Algérie depuis plus deux ans, nous confie : « Le ramadhan, pour moi, est un mois comme tous les autres. » et d’ajouter : « Par respect à nos collègues, nous mangeons dans des endroits où l’on ne les dérange pas, on les respecte beaucoup ». Par contre certains étrangers, installés en Algérie, préfèrent quitter notre pays durant ce mois de carême, arguant qu’il ne les arrange pas dans leur vie quotidienne. C’est le cas de cette représentante d’une grande boite de communication française : « Vous savez, durant tout ce mois, tous les restaurants sont fermés durant la journée, sans compter la mauvaise humeur des jeûneurs algériens ». La fâcheuse habitude des Algériens pendant ce mois qui consiste à ne penser qu’à l’alimentation et la flambée des prix les premiers jours, et la fièvre acheteuse qui s’annonce lorsque l’Aïd fait son apparition, poussent les ressortissants étrangers à prendre leurs distances en interrompant tout contact avec eux.

Pour l’amour d’une Algérienne…

Les Algériennes séduisent aussi les étrangers! En effet, nombreux parmi ceux qui se sont installés en Algérie ont pu trouver ici leur moitié. Durant notre virée, les personnes interrogées à ce sujet nous ont signifié que, hormis les hommes d’affaires et simples travailleurs (les enseignants universitaires…), ils existent même des diplomates ayant trouvé leur âme sœur sous notre ciel. Après leurs mariages, soit ils vivent dans leurs pays d’origine, soit sous le beau soleil de notre pays. L’exemple le plus éloquent est celui de l’actuel ambassadeur du Danemark en Algérie. En effet, après avoir représenté son pays en Algérie dans les années 1974 et 1975, l’ambassadeur M. Ole Wochers Olsen, de religion musulmane, a mis une croix sur sa vie de célibataire en se mariant avec une Algérienne. Maintenant, revenu en tant que premier représentant officiel du Danemark, il vit dans notre pays avec sa femme. Ayant une parfaite maîtrise de la langue arabe, notre interlocuteur nous confie ceci : « C’est un petit peu sentimental de revenir au pays qu’on a déjà servi », et d’ajouter : “Durant mon passage dans les années 70, le pays était en transformation ; maintenant le pays a beaucoup changé, et positivement ».Et d’ajouter « j’ai fait beaucoup de pays arabes, mais revenir ici en Algérie est un grand plaisir pour moi « . Petite révélation, ses filles ont des prénoms algériens. Tizi-Ouzou, Bab El Oued et… harissa.

Jorg Walendy est le premier secrétaire de l’ambassade de l’Allemagne dans notre pays. Il est dans notre pays depuis quatre mois. Est-ce qu’il connaissait déjà l’Algérie ? « Franchement je ne connaissais pas grand chose », répondra l’Allemand, qui poursuit : « Je constate que le problème (la décennie noire) de l’Algérie n’a pas été bien médiatisé, et ça s’est répercuté sur les opinions qu’ont les étrangers sur votre pays ». A la question de faire savoir les premières choses qui l’ont marqué, il répondra par ceci : « Je vous avoue un truc, concernant la cuisine algérienne, la première chose que j’ai retenue c’est… la harissa, et depuis je ne peux pas manger en son absence ». Son collègue, chargé des visas, nous cite son voyage effectué à Tizi- Ouzou : « On est allé avec mes compatriotes le mois de juillet dernier pour assister à une fête et on était vraiment surpris par la musique kabyle, mais aussi par le nombre de fois que la mariée a changé de vêtements, avec son époux », et d’ajouter « Chez nous la mariée s’habille une seule fois ! ». Sur un autre chapitre, M Jonathan Austin, chargé des affaires consulaires à l’ambassade des Etats-Unis, nous fait savoir qu’il a visité plusieurs fois le quartier populaire Bab El Oued : “Vous savez, Bab El Oued me plait beaucoup, et j’y ai pris plusieurs fois du café » nous a-t -il déclaré avec un visage sur lequel on pouvait aisément lire la franchise et la simplicité. Il réfute néanmoins l’idée que les étrangers vivent en vase clos. « J’ai beaucoup d’amis algériens. Je fréquente les natifs pour mieux connaître la société algérienne. Sinon, il aurait été préférable, pour moi, de rester chez moi ».Encadré

De l’impossibilité d’avoir des chiffres

Lors de notre visite à l’ambassade de l’Allemagne, le premier secrétaire nous a dit qu’il est impossible d’avoir des chiffres exacts concernant le nombre de ressortissants allemands dans notre pays. « Vous savez, je n’ai pas des chiffres précis concernant le nombre d’allemands ici car il existe ceux qui viennent à titre individuel ». Dans le même ordre d’idées, toutes nos tentatives d’avoir des éléments chiffrés sur le nombre des ressortissants étrangers qui séjournent actuellement, ont été vaines. Et pour cause, le ministère des affaires étrangères que nous avons saisi par écrit nous a signifié que seul le ministère de l’intérieur est habilité à fournir ce genre d’information. Aussitôt contacté, celui-ci s’est muré dans le silence et aucune information ne nous a été fournie sur ce sujet.

S.B.

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