L’envers et l’endroit

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l Malek Djoudi, ce taquin de mots fraîchement reconverti à l’écriture romanesque vient de signer une œuvre de toute beauté. “Quand on s’amuse à taquiner la muse, on finit fatalement par verser dans la fiction des histoires romancées”, murmure-t-il sur un air faussement condescendant, comme pour insinuer que la rime et le roman ne font qu’un.“Passions”, c’est un roman d’amours. Oui, amours au pluriel : amour du théâtre, amour de la beauté, amour de l’amour. Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’auteur sait de quoi il parle et que, partant de là, il aurait pu écrire une autobiographie… ou des mémoires. Mais Djoudi est beaucoup trop pudique pour cela. Tel un amuseur de scène habitué à se cacher derrière les multiples masques du comédien, il s’est caché ici, derrière celui du romancier. Masque tour à tour transparent… et opaque !Parfois, on croit le voir, l’entendre, le saisir. Comme son héros, Moufok Ladi — surnommé le roi Moufok — est un comédien qui a derrière lui une longue carrière. Au détour d’une réplique, d’une remarque, d’une anecdote, on s’écrie avec certitude : “C’est lui !”. Et puis à la page suivante, on découvre que ce même héros est un acteur comique affublé d’un physique ingrat… Alors, avec autant de conviction, on s’écrie : “Ah non ! Ça ne peut pas être lui !”… Et, quand un peu plus loin encore, on apprend qu’il ambitionne de tourner un film intitulé “Morsure”… on ne sait plus que penser.Mais cela n’est qu’un jeu. L’intérêt du livre est ailleurs, bien au-delà, dans la réflexion d’un auteur qui démonte les rouages d’un métier qui le passionne, dans la réflexion d’un homme qui, à l’automne de sa vie, rencontre vingt printemps bien mieux ou bien pires que ravissants, dans la réflexion d’un père qui découvre — à son double regret — que son fils, faute de dons, ne sera jamais son partenaire sur une scène, mais qu’il est déjà son rival dans la vie.De toute façon, qu’il s’agisse du comédien, de l’homme ou du père, le personnage est indulgent, tendre et souriant… à l’image de Malek Djoudi. Mais il est aussi lucide, incisif, caustique… à l’image de Moufok Ladi. A eux deux, ils constituent le guide idéal pour visiter les coulisses du spectacle… et des sentiments. A leur suite, on découvre l’envers du décor et des passions, aussi bien que l’endroit : les ombres et les lumières, les maquillages et démaquillages, les triomphes et les défaites.Bref, un roman drôle, tendre et pétillant. Il est aussi réjouissant qu’une soirée au théâtre et nous ouvre le cœur d’un homme qui apprend à s’enfoncer avec sagesse dans l’automne de la vie.

Nacer Maouche

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