Que pensez-vous du dialogue ouvert entre le gouvernement et une aile du mouvement des archs et de ce qui en a découlé ?Personne ne peut nous soupçonner de position anti-archs. Nous les avons soutenus quand bien même nous ne partagions avec eux ni l’ensemble des points de la plate-forme d’El-Kseur ni leur démarche par laquelle ils se targuaient de représenter toute l’Algérie. Depuis un an pourtant, nous avons pris nos distances vis-à-vis d’un mouvement qu n’en est plus un dès lors que les coups de force internes, les luttes intestines et l’entrisme des éléments du régime l’ont émietté. Apparemment des intérêts de carrières individuelles ont pris le dessus sur le sang des martyrs au nom duquel ils justifiaient jusque là leur existence. Il me semble personnellement que le dialogue tel qu’il a été mené et tel qu’il se poursuit répond davantage à une politique de re-normalisation de la Kabylie qu’à satisfaire la plate-forme d’El-Kseur. Pourquoi ? Car pour qu’il y ait négociation il faut être deux. Or, d’un côté il y a le pouvoir mais de l’autre il n’y a même pas la moitié du partenaire que sont les archs.Donc avant d’aller dialoguer avec le pouvoir, les archs auraient dû commencer par dialoguer entre eux. Cela leur aurait donné plus de poids et amené un rapport de force en leur faveur. Ensuite, si l’on regarde en arrière, les premiers » délégués » dialoguistes étaient excommuniés et voués à la vindicte populaire. Quelle différence y a-t-il entre les dialoguistes d’hier et ceux d’aujourd’hui ? Absolument rien. Enfin, il était maladroit de leur part de claironner sur tous les toits et toutes les banderoles que » la plate-forme d’El-Kseur est scellée et non négociable « . Les Kabyles n’ont pas la mémoire courte pour accepter un tel revirement. Quant aux résultats soyons sérieux ! une plate-forme » reconnue dans le cadre des lois de la république… » est une tartufferie. Il y a au moins quatre points que le pouvoir ne peut en aucun cas satisfaire sans se mettre en danger de mort. Or ce sont ces points auxquels nous tenons le plus. On peut passer sur le chômage, l’économie de bazar ou la clochardisation du pays mais pas sur le départ total des gendarmes de la Kabylie, le jugement non seulement des assassins mais aussi de leurs donneurs d’ordres et de ceux qui avaient pris la décision au plus haut sommet de l’Etat. La responsabilité du Président de la République peut-elle dégagée dans ces conditions ? Même s’il n’en avait pas donné l’ordre pourquoi n’avait-il pas ordonné d’arrêter et les tirs et les assassins ? En dernier lieu, ce que j’ai à dire est purement pédagogique. Une négociation pour aboutir se mène obligatoirement en position de force. Ce n’est pas le cas des archs aujourd’hui qui plutôt donnent l’air parmi ceux qui dialoguent d’une réanimation au bouche-à-bouche que leur prodigue leur propre adversaire, leur ennemi juré qu’ils n’arrêtaient pas de traiter de » pouvoir assassin « . Le dialogue aurait dû être entamé dans d’autres conditions que celles dans lesquelles il a été engagé.
Le MAK serait-il intéressé par les futurs rendez-vous électoraux ? Le statut actuel des élus locaux fait d’eux des serviteurs du régime et non de leurs électeurs. Les secrétaires généraux des municipalités ont aujourd’hui plus de pouvoirs que les maires. Ne parlons pas des prérogatives exorbitantes du Chef de Daïra ou du Wali dont l’autorité est supérieure aux élus de leur circonscription administrative. Si un jour nous participons à un scrutin municipal ou régional ce sera pour autre chose que le rôle exécrable de relais d’un système basé sur l’arbitraire. Les compétences du MAK se mettront en branle en temps opportun pour promouvoir une Kabylie de la liberté, de la prospérité et de la justice. Le MAK ne sera présent que dans des combats de la dignité. Des élections sont annoncées au motif que les élus du FFS seraient d’indus élus. Si ce qui n’a pas été validé électoralement par la Kabylie est illégitime, Bouteflika aussi est un indu élu et les présidentielles sont à refaire. C’est, pourtant, le même Conseil Constitutionnel qui avait officialisé les deux scrutins. Comment mettre sur pied en Algérie un Etat de droit quand le droit est la première victime de l’Etat ?
25 ans après le Printemps berbère et quatre ans après la dernière crise, la Kabylie, et plus généralement l’Algérie, semble complètement désorientée, en tout cas bien en peine de prendre une direction résolue vers son destin. Qu’en pensez-vous ?Ces dernières années, Bouteflika, a procédé à un travail de démolition en règle des repères politiques kabyles. Il est l’héritier d’un régime qui est plus intéressé par une défaite politique de la Kabylie que par la satisfaction de ses revendications légitimes. Il estime toujours, comme aux temps de Ben Bella, de Boumedienne ou de Chadli, que l’acquisition de clientèles locales serviles lui est plus profitable. Celles-ci lui font gagner du temps quitte, lorsqu’elles s’avéreront inefficaces comme en 1980 et en 2001, à réprimer dans le sang les nouvelles manifestations de mécontentement qui s’y produisent. Il faut qu’il se rende à l’évidence, il ne peut éternellement reculer les échéances du destin du peuple kabyle. Plus tôt il y ira, mieux il se portera. Mais cette politique qui fait de la Kabylie une plaie éternellement ouverte, y maintient une instabilité chronique propice à toutes les manipulations et surtout à toutes les dérives aventurières dont il escompte tirer un bénéfice comme celui, immense, qu’il a tiré du terrorisme islamiste par le biais duquel il s’est re-légitimé. Il faut qu’il sache que les Kabyles ne sont pas les islamistes. A notre niveau, ce sont les élites politiques de la région, opposées au pouvoir en place, qui ont jusqu’ici évité le pire. Mais jusqu’à quand pourront-elles encore le faire et continuer de jouer aux pompiers en contenant ou en canalisant la colère des leurs ? Décidément, nos gouvernants aiment jouer avec le feu. Sincèrement, après tous les ravages qu’il nous a causés, la seule eau que nous ayons contre ses incendies est le statut de large autonomie pour la Kabylie. Toutefois, il faut reconnaître que si la Kabylie n’arrive pas encore à prendre de manière décisive son destin en main c’est principalement à cause de ce qui précède et du fait que les leaders locaux font toujours passer leur personne devant la cause commune.
Que faire alors ? Il est vital, dans les prochaines phases de notre histoire, d’arriver à construire un front kabyle contre les obstacles politiques qui se dressent devant la marche de la Kabylie vers la prise en main de son destin par ses enfants. A ceux qui nous disent qu’une collaboration avec le régime nous permettra d’arracher plus de droits pour la région et affaiblira le régime en le combattant de l’intérieur, nous leur répondons qu’ils n’ont qu’à regarder en arrière pour se rendre compte combien plus nombreux qu’eux s’étaient déjà cassés les dents dans cette dangereuse manœuvre en se retrouvant en train de défendre ce même pouvoir contre leurs propres enfants et contre la Kabylie. Leur voie est celle de l’échec collectif éprouvé. Pour autant, l’espoir est toujours là. Plus le régime humilie ses relais en mettant entre leurs mains la brosse à reluire son image plus il conforte les Kabyles dans leur conviction qu’il n’y a de salut pour eux que dans la lutte pour leur dignité collective qui ne saurait être ailleurs que dans la mise sur pied de leur Etat régional, avec leur propre parlement et leur propre gouvernement de la région. Le processus de maturation devra aller jusqu’à son terme N’est-on pas dans le schéma de Gramsci, quand » le vieux tarde à partir et le jeune tarde à venir » ?En quelque sorte, nous sommes dans la phase de la lutte entre le nouveau et l’ancien. Le nouveau a toujours besoin d’un certain temps pour se faire une place entre les vieilleries idéologiques. Le renouvellement des concepts et des mentalités est, des fois, affaire d’au moins une décennie. A titre de comparaison, c’était en 1926 que le premier parti indépendantiste algérien s’était créé. Il avait fallu près de trente ans pour que les Algériens conviennent majoritairement que l’idée d’indépendance était leur seule issue. La question berbère initiée par l’Académie berbère dès 1967 n’avait pu être posée de manière massive qu’en avril 1980. Cependant, à la vitesse où va le monde d’aujourd’hui, avec les multimédias, l’universalités des droits et l’évolution rapide des mentalités, les révolutions mentales mettent beaucoup moins de temps que celle des astres pour se réaliser. La censure n’a plus son efficacité d’antan et les gouvernants qui y ont recours ne font rien d’autres que les autruches. Cacher le thermomètre ne fait pas baisser la température. Ce n’est pas le fait de censurer dans les médias nationaux le MAK qui empêchera ses idées de progresser en Kabylie et ailleurs. Le risque dans ce genre de situation où une aspiration populaire très forte à aller dans un certain sens de l’Histoire tarde à se concrétiser est que le désespoir s’empare d’une frange de la jeunesse et aille vers des solutions du même nom.
Une situation, qui, selon le même Gramsci, prélude à de graves bouleversements sociaux. Qu’en dites-vous ?Ce qui est sûr c’est la propagation du sentiment de colère et de révolte contre tout ce qui incarne la cause de nos malheurs, notamment les gouvernants et leurs relais. Un pouvoir illégitime comme celui qui est en place et qui se retrouve dans ce cas de figure raisonne dans le sens inverse de sa société. Pour lui, les soubresauts ne sont que des extrasystoles du cœur de la société donc, somme toute, normales dont il faut s’accommoder en les laissant retomber d’elles-mêmes y compris après avoir tiré sur la foule kabyle et tué quelques 120 personnes. Il estime que la bonne gouvernance ne réside pas dans la satisfaction des revendications majeures de la société mais dans leur répression. En fait pour les tenants de ce régime, c’est la terreur politique qui est le cœur de leur pouvoir. Ils assassinent et mettent en prison qui ils veulent comme le Directeur du quotidien » Le Matin » ou les militants de la Ligue Algérienne de Défense des Droits de l’Homme présidée par Ali Yahia. Il est trop tard pour ce régime de faire marche arrière car il ne peut plus faire machine arrière. Avec tous les crimes qu’il a accumulés il ne peut s’offrir un examen de conscience. Cela fait très longtemps depuis qu’il s’est assis sur sa conscience. Mais de là à ce que cette société prenne son destin en main il y a toute une dynamique dans laquelle les élites sont indispensables pour jouer leur rôle d’encadrement et de guide. Malheureusement, nos élites complexées par une guerre d’Algérie dans laquelle elles avaient été presque exterminées, terrorisées par un pouvoir qui ne leur laisse d’espace d’expression que dans le silence ou la flagornerie, sont réduites momentanément à néant et quelque peu émasculées. C’est probablement la raison pour laquelle dans le mouvement des rchs kabyles ce ne sont pas encore des figures de la raison et de la pensée qui y siègent majoritairement. Il y en a bien sûr mais pas autant qu’on en aurait souhaité. Nos intellectuels ont été poussés à déserter le terrain militant depuis longtemps. Bref, la révolution n’est pas pour tout de suite.
L’assassinat de votre fils Améziane a été perçu par d’aucuns comme un sanglant avertissement aux partisans de l’option autonomiste -qui est d’ailleurs souvent assimilée à une dérive sécessionniste- dans le but de refroidir leurs ardeurs. Qu’en pensez-vous ?Mon fils me manque terriblement. Je demande à tous ceux qui respectent sa mémoire et le droit à la vie d’avoir une pensée pour lui à l’occasion de ce 25e anniversaire du printemps berbère, le premier que nous commémorons sans lui. Je vis cela non pas comme un avertissement mais comme un odieux chantage auquel je n’y oppose personnellement que du mépris. C’est là une forme de terrorisme aussi inadmissible que sa lâcheté. Ceux qui veulent combattre les autonomistes kabyles devront plutôt combattre leurs idées au lieu de leur opposer le crime et l’assassinat politique. Si telle est la réalité de l’assassinat d’Ameziane, son sacrifice ne fait que décupler les potentialités et les sympathies populaires kabyles pour aller de l’avant plus vite vers notre autonomie régionale. Quant au fait d’assimiler par l’Etat l’autonomie pour du séparatisme, nous ne passerons pas notre vie sur la défensive et à répéter qu’il y a erreur sur le sens. Notre nombreuse littérature est là pour prendre à témoin l’opinion sur nos intentions. C’est peut-être, une fois qu’apparaîtrait une revendication d’un niveau supérieur à la nôtre que l’on comprendrait qu’il est déjà trop tard pour la solution si sage de l’autonomie.
Propos recueillis par Mohamed Bessa