La chorba des humiliés

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Béjaïa, mercredi 4 octobre, onzième jour de Ramadhan. Il est près de 18h, plus d’une demi-heure avant la rupture du jeûne.

Dans l’un des recoins de la ville, à quelques centaines de mètres du chef-lieu de wilaya, à Ighil Ouazzoug plus exactement, des groupes de citoyens plus au moins jeunes, attendent près d’un complexe commercial. «Bougie viande», appartenant au maire de la ville, Hafid Bouaoudio.

Ces groupes de personnes, se faisant de plus en plus denses, au fil des minutes, à l’approche de l’heure «h». n’étaient pas là pour des emplettes. L’allure fruste, mine visiblement affectée par une dure journée d’abstinance, ils patientaient le temps que le restaurant du complexe, transformé en «meïdat errahma, leur ouvre des portes.

Le lieu est spacieux et d’une parfaite salubrité, s’y affairent onze employés, dont deux cuisiniers, pour satisfaire une “clientèle” potentielle de pas moins de 512 personnes, puisque le restaurant est doté de 64 tables avec 8 couverts chacune.

“Depuis le premier jour du Ramadhan”. Selon l’un des serveurs, “le restaurant a toujours fait salle comble, et plus encore, ne suffisait pas, la plupart du temps à satisfaire tous les demandeurs”, assure-t-il. A 18h40 effectivement une dizaine de personnes, attendent à l’entrée que des places se libèrent, places souvent hypothétiques, nous confie-t-on, puisque la quantité de nourriture prévue suffit seulement à satisfaire un seul service.

Qui sont ces jeûneurs contraints de se “rabattre” sur ces structures caritatives et surtout pourquoi y viennent-ils ?

A majorité juvénile, et 100% masculine, si l’on excepte quelques petites filles en compagnie de leurs pères, certaines de ces personnes n’étaient donc pas moins père de familles.

La raison du “choix” du “resto du cœur” ? Deux types de justifications reviennent en permanence. “Je ne suis que de passage ici. En fait, je suis en déplacement vers Sétif (d’autres vers Constantine, Jijel, etc…), mains ayant de faire escale à Béjaïa pour des affaires personnelles, je me suis retrouvé obligé de rompre le jeûne ici, avant de poursuivre mon chemin. Mais pourquoi, “Meïdat Errahma” au lieu d’un restaurant payant, par exemple ?

Réponse embarrassée à chaque fois : “Plutôt faire des économies, n’est ce pas?”

L’autre explication, abondamment fournie par nombre de ces citoyens interrogés tiendrait au fait de la situation d’“astreinte professionnelle” qu’ils subissent, celui-ci, par exemple, résidant à Sidi Aïch, à quelques 45 km de Béjaïa, serait l’otage de ses horaires de travail ne lui permettant pas de rejoindre sa famille pour la rupture du jeûne… faute de moyens de transport.

Ainsi, à part, une seule et unique personne apostrophée, aucune autre n’aurait sollicité cet établissement pour des considérations sociales et/ou financières.

L’un des serveurs, questionné sur la véracité des motifs avancés quant à la fréquentation de l’établissement, affichera un sourire malicieux avant d’affirmer : “Je suis natif de Béjaïa et je connais bien des personnes présentes ici. Ils sont pour la plupart originaires de la périphérie immédiate de Béjaïa et d’une condition sociale des plus difficiles, beaucoup d’entre ces jeunes ici, sont sans emploi et sans revenus”, affirme-t-il. “La preuve, ajoute-t-il, c’est que le nombre de ces personnes sont des clients assidus de notre établissement”.

Quant au menu offert, il n’a rien à envier à ce qui est proposé par un restaurant payant de moyenne gamme.

L’incontournable chorba au plat de résistance riche et varié au dessert, le tout servi dans des conditions d’hygiène plus qu’appréciables.

Le même topo a été observé dans un autre “resto du cœur”, au siège de l’UNFA, cette fois, doté cependant d’une capacité d’accueil moindre de 120 à 130 personnes.

Il faut croire réellement à la situation d’humiliation que ressentent toutes ces personnes exposées aux regards des autres pendant qu’elles attendent à l’entrée de ces établissements.

A telle enseigne qu’hormis à Béjaïa-ville où l’on a plus de chance de passer inaperçu, que dans n’importe quelle autre petite ville de la wilaya, les quelques “meïdat errahma” ouvertes à travers la wilaya ne sont presque pas fréquentées, selon le directeur de l’action sociale de Béjaïa (DAS).

Par conséquent “l’alternative” du couffin du Ramadhan serait la plus adéquate, dans la mesure où le procédé de distribution garantirait la discrétion nécessaire. Quelle admirable sollicitude des pouvoirs publics locaux à l’égard des 14 600 familles nécessiteuses recensées cette année !

Hakim O.

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