Le cloaque des intrigues

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Il faudrait sans doute avoir une sacrée dose d’ingénuité pour penser que les textes de loi- aussi généreux et aussi rationnels qu’ils soient- puissent, à eux seuls, redresser une situation problématique ou installer un climat de sérénité lorsque la culture politique ambiante est fondée sur des combines, des coups bas et des intérêts rentiers colossaux. C’est ainsi que la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, votée par référendum en septembre 2006, est chaque jour malmenée et dénaturée par les différents acteurs-situés à l’intérieur et à l’extérieur des instances exécutives de l’État- si bien qu’elle est graduellement dépouillée de son âme et de son panache qui auraient pu l’élever au rang de loi historique de l’Algérie consacrant l’esprit de magnanimité, les valeurs de la justice et l’ébauche d’un renouveau national. De même, les premiers signes d’essoufflement des partisans acharnés du projet de nouvelle constitution sont, à coup sûr, à classer dans cette catégorie de tergiversations qui n’ont rien à voir avec le ‘’resserrement’’ du calendrier du Président ou du Chef du gouvernement. En effet, la scène politique et sécuritaire depuis le début du Ramadhan ne plaide pas pour une lecture paisible ou neutre des entorses faites à la Charte, des offenses subies par la mémoire des victimes du terrorisme et des reculades par rapport au projet de la nouvelle constitution. Nous avons la nette impression d’avoir affaire à une étrange similitude avec ce qui se passe sur le terrain économique : le secteur informel- générant concurrence déloyale, grave évasion fiscale et risques pour la santé des citoyens- est en train de phagocyter un peu plus chaque jour l’économie structurée animée par une poignée de capitaines d’industrie à qui on n’hésite pas à mettre des bâtons dans les roues. Dans la sphère de l’activité politique, la vacuité créée au sein des structures légales, y compris dans l’Alliance présidentielle et les instances élues (APN, Sénat), a laissé place à une grande agitation périphérique qui alimente quotidiennement les commentaires de la presse et même de certains officiels. Comme dans les lois de la physique des gaz, les acteurs et les gesticulations des nébuleuses politiques informelles tendent- par expansion infinie- à prendre tout l’espace qui leur est octroyé.

Il est établi que le concept de sous-développement ne se limite pas à son acception économique. Ses ravages sont aussi et surtout à constater dans la situation socioculturelle du pays et dans les pratiques politiques de ses gouvernants, de son élite et de ses élus. Ce qui complique et aggrave la position de l’Algérie par rapport à celle des autres pays sous-développés est incontestablement la nature des enjeux autour desquels gravitent tous les agitateurs politiques. La puissance de la rente pétrolière a conduit à une sorte de statu quo sur tous les plans. Le terrorisme islamiste moribond se maintient dans un état de ‘’ni guerre ni paix’’. Face aux manœuvres et à la capacité de nuisance dont il peut encore se prévaloir- on a eu à le vivre ces derniers jours dans la banlieue d’Alger et dans la région de Boumerdès avec, en plus, la hantise et l’angoisse de revivre le climat sanglant des années 90-, le texte de la Charte et même le projet de la nouvelle constitution paraissent des documents superfétatoires. Quand la réalité du terrain est en déphasage complet avec l’angélisme des clauses scripturales, il y a certainement lieu de réviser sa copie et de prendre le taureau par les cornes.

À l’approche de nouvelles échéances électorales, l’on est en droit de se poser la question de savoir à qui profitera l’hypertrophie de la politique ‘’informelle’’. Bien mieux, et plus légitimement encore, on doit s’interroger sur le destin de la mouvance démocratique dans ce jeu de micmacs préférant le cloaque des intrigues et la sentine de vices au débat d’idées structuré de façon à ne considérer que l’intérêt et l’avenir des Algériens.

Amar Naït Messaoud

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