Mieux vaut l’exil que la honte (extrait des Châtiments)

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Puisque le juste est dans l’abîme,

Puisqu’on donne le sceptre au crime,

Puisque tous les droits sont trahis,

Puisque les plus fiers restent mornes,

Puisqu’on affiche au coin des bornes

Le déshonneur de mon pays ;

Puisque toute âme est affaiblie,

Puisqu’on rampe, puisqu’on oublie,

Le vrai, le pur, le grand, le beau,

Les yeux indignés de l’histoire,

L’honneur, la loi, la gloire,

Et ceux qui sont dans le tombeau :

Je t’aime, exil ! douleur, je t’aime !

Tristesse, soit mon diadème !

Je t’aime, altière pauvreté !

J’aime ma porte aux vents battue.

J’aime le deuil, grave statue

Qui vient s’asseoir à mon côté.

J’aime le malheur qui m’éprouve,

Et cette ombre où je vous retrouve,

ô vous à qui mon cœur sourit,

Dignité, foi, vertu voilée,

Toi, liberté, fière exilée,

Et toi, dévouement, grand proscrit !

J’aime ta mouette, ô mer profonde,

Qui secoue en perles ton onde

Sur son aile aux fauves couleurs,

Plonge les lames géantes,

Et sort de ces gueules béantes

Comme l’âme sort des douleurs.

J’aime la roche solennelle

D’où j’entends la plainte éternelle,

Sans trêve comme le remords,

Toujours renaissant dans les ombres,

Des vagues sur les écueils sombres,

Des mères sur leurs enfants morts.

(Île de Jersey, le 10 décembre 1852)

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