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Au Louvre, Toni Morrison invite l »’Etranger » à se forger sa culture

Sous le thème Etranger chez soi, son désir d’ouverture sur l’autre, sur d’autres formes d’expression que l’écrit, s’y trouve abondamment relayé par des conférences, lectures, musiques, films ou interventions chorégraphiques.

Quand elle s’exprime sous la pyramide du Louvre, voix grave et majestueuse, on la verrait d’abord en déesse protectrice, n’était l’injonction qu’elle lance à ses pairs de briser le carcan, de résister en « créant leur propre culture ».

A quelques journalistes qui l’interrogent, Toni Morrison répond: « Si l’on vous dit partez si le pays ne vous plaît pas, eh bien, ne partez pas! Vous vivez ici, vous appartenez à cette terre. Restez! ».

« Quand des êtres ont été dépossédés, emmenés de force dans un pays, quand une fois devenus citoyens, ils ne se sentent pas chez eux, parce qu’on ne les accepte pas, alors qu’ils transforment ces désavantages en énergie créatrice », poursuit-elle.

« Aux Etats-Unis, les Africains-Américains ont dit: Nous créerons une forme d’art à nous, et cela a donné le jazz. Nous danserons à notre manière, et cela a donné la danse moderne. La plupart des racines culturelles que vous connaissez des Etats-Unis sont d’origine africaines-américaines », selon elle.

« Cette culture puissante leur était spécifique, mais en même temps elle est devenue universelle ».

Pour illustrer son propos, Toni Morrison et le Louvre ont convié dix « slamers » de la banlieue à venir s’exprimer dans cette « poésie de la performance », entre rap « a cappella » et poésie traditionnelle, marquée par le refus des langues policées.

Des rappeurs, Toni Morrison, 75 ans, en rencontre régulièrement dans ses déplacements -elle vit à Princeton-. L’auteur de Beloved (Prix Pulitzer 1988), de Jazz ou de Paradise, se dit « familière de cette culture hip hop qui couvre le monde entier ».

« Pour moi, quelque chose émerge lorsqu’un artiste est capable d’user d’une langue vernaculaire, d’un patois ou d’un argot, pour recréer son univers propre. C’est la seule façon pour lui de se sentir vivant », estime-t-elle, se déclarant « fière » que des rappeurs américains aient utilisé « des pans entiers de mon oeuvre ».

Etrangère chez soi, Toni Morrison en a éprouvé le sentiment dès son plus jeune âge, quand ses petits camarades de classe l’appelaient « l’Ethiopienne ». Elle a toujours connu l’oppression raciale de la part des Blancs.

« Mais je ne me suis jamais sentie étrangère en tant que femme. Cela tient notamment au fait que les familles noires privilégient l’éducation des filles plutôt que celle des garçons. Si elles éduquent les garçons, ceux-ci se retrouveront en situation conflictuelle avec des Blancs. Si elles éduquent leurs filles, celles-ci occuperont des fonctions d’institutrices, de soignantes, d’infirmières », assure-t-elle.

Reste qu’on peut aussi être étranger à son propre corps. « Nous vivons à une époque où l’apparence du corps fait l’objet d’une telle obsession -mode, santé, maquillage-, que nous finissons par être étrangers à notre être profond ».

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