Site icon La Dépêche de Kabylie

Le libyque et l’antiquité (I)

Le terme « libyque » appliqué pour désigner la langue et l’écriture berbères dans l’antiquité vient du mot lebbu, terme par lequel les Egyptiens désignaient leurs voisins berbères. En fait, les Lebbu n’étaient que l’une des trois grandes tribus ou confédérations de tribus les quelles était confrontés avec les Egyptiens : les deux autres tribus étaient les, Tehenu et les Mashawash. Ces tribus étaient bien entreprenantes puisque, dès la fin de la préhistoire, elles ont commencé à envahir le pays des Pharaons et à le coloniser ! Le mot Lebbu a été repris par les Grecs pour désigner les Berbères, d’abord ceux des régions orientales, proches de l’Egypte, puis, avec la domination romaine, tous les Berbères. En plus de libyque, le mot lebbu a fourni Libya, la Libye, d’abord les régions orientales, puis le Maghreb dans son ensemble.

Les débuts du libyque

L’égyptien est attesté depuis le IV millénaire avant J.-C et l’akkadien depuis le IIIème, il faut supposer que ces langues se sont séparées du chamito-sémitique plusieurs milliers d’années plutôt. Le berbère, qui appartient à une autre branche que l’égyptien et l’akkadien, a dû se détacher du tronc commun à la même époque que ces langues ou à une date proche.Faute de traces écrites anciennes que l’on peut déchiffrer, on ignore tout de cette langue primitive mais on peut supposer que la période de communauté berbère a dû être courte, les déplacements des populations à travers le Maghreb et le Sahara a dû créer très tôt, une situation de diversité linguistique. En tout cas, dès l’antiquité, la dialectalisation du berbère était avancée. L’existence de plusieurs systèmes d’écriture recouvrait sans doute des divisions dialectales. Et quand Saint-Augustin, au 4e siècle, déclarait qu' »en Afrique on parlait une seule et même langue », il devait faire aIlusion, soit à un dialecte très répandu à son époque, soit à une langue dont il reconnaissait, à travers les dialectes, l’unité fondamentale. D’ailleurs, un auteur postérieur, Corippe, notait la diversité des langues (à lire dialectes) dans les tribus berbères.Quoiqu’il en soit, le libyque était établi au Maghreb dès les débuts des temps historiques avec, dès le premier millénaire sans doute, un système d’écriture propre : le libyque.Les écrivains de l’antiquité, si prolixes sur les Berbères et leurs mœurs, ne nous ont laissé que de maigres témoignages sur leur langue. Les inscriptions libyques, qui se comptent par dizaines sont, pour la plupart indéchiffrables. Quant aux listes de noms propres —toponymes et anthroponymes— ils n’ont pas fait jusqu’à présent l’objet d’une étude systématique. Cependant, les résultats obtenus jusque-là et ceux qu’on peut obtenir, en effectuant des rapprochements avec le berbère actuel, permettent de délimiter, dans le vocabulaire berbère, un fonds ancien que l’on peut appeler « libyque ».

Le témoignage des auteurs antiques

Les grands écrivains d’origine berbère de l’antiquité, comme Saint-Augustin, Apulée ou même Arnobe, qui a pourtant pratiqué une sorte de nationalisme africain, n’ont pas écrit en berbère et ont pratiquement ignoré cette langue. Les rares témoignages viennent des auteurs latins et grecs qui ont cité des mots berbères ou supposés berbères, en rapport avec la vie ou l’environnement des populations de l’époque. Ces mots sont si peu nombreux et surtout si incertains qu’ils ne permettent pas de se faire une idée du vocabulaire libyque. Au début du siècle dernier, l’historien français S. Gsell a dressé, à partir des textes anciens, une liste de 14 mots donnés comme libyques : -addax « espèce d’antilope » (cité par Pline l’Ancien) -ammon « bélier » (Hérodote)-bassaria « petit renard » (Hesychius) -battos « roi » (Hérodote)-brikhan « âne » (Hesychius) -caesi ou caesa « éléphant » (Spatien)-zegeries « variété de rat » au propre, nom d’une coIline ou vivait cette espèce de rats (Hérodote) -khiotes « vigne », également, nom donné par les Libyens au cap Spartel (Pomponius Mela) -lalisio « poulain de l’âne sauvage » (Pline)-mapalia « hutte indigène » (SaIluste) -nepa « scorpion » (Festus) -lilu « eau » (Hesychius)-samantho « grande » (Etienne de Byzance) -tityros « bouc » (Proclus)Gsell écrit que cette liste doit être accueillie avec beaucoup de réserves : « les mots peuvent avoir été altérés en se transmettant oralement ou par écrit avant de parvenir aux auteurs qui les mentionnent » et « les qualificatifs libyen, libyque, africain, s’appliquent parfois à des hommes et à des choses puniques ». Par ailleurs, certains mots peuvent avoir été empruntés. C’est le cas, selon Gsell, de bassaria, qui serait d’origine thrace. Importé en Tripolitaine par les Grecs, il est passé en Egypte où il s’est conservé, en copte, sous la forme bashar. Toujours selon Gsell, de tous les mots cités un seuI se retrouve dans les dialectes berbères modernes : lilu « eau », rapproché de helillu, qui désigne chez les habitants de Mazagran, sur la côte marocaine, une cérémonie d’aspersion d’eau, à l’occasion de la fête musulmane de l’Aïd El Kebir. La racine LL peut-être également reconnue dans différents dérivés en rapport avec l’eau et sont connus dans plusieurs dialectes : lil, slil « laver, rincer » alili, ilili « laurier-rose, plante poussant au bord de l’eau », ilel « mer, océan » (zénaga) etc. Depuis, on a cru rattacher zegeries « variété de rat » à la racine ZGR « être long, être haut », attestée dans plusieurs dialectes berbères.Les autres mots figurant dans la liste de Gsell ont peu de chance d’être berbères. Ainsi, dans l’antiquité même, le mot qui désignait le roi n’était pas battos mais GLD figurant dans les inscriptions libyques, et attesté en berbère moderne sous la forme agellid « roi, chef » et les noms de l’éléphant, du bélier et du bouc, ne présentent aucune ressemblance avec les noms actuels, respectivement elu/elef, izimer ou akrar, et azulagh qui, étant communs à la plupart des dialectes, y compris le touareg, doivent être d’une grande antiquité.Même si la plupart d’entre elles ne sont pas encore déchiffrées, les inscriptions libyques, offrent plus de vocabulaire et surtout plus de parallélisme avec les mots actuels que les écrits gréco-latins.

Les inscriptions libyques

Nous parlerons plus longuement de l’écriture berbère dans d’autres articles. Signalons seulement ici que l’écriture est très ancienne au Maghreb. On ne sait pas exactement si les signes qui figurent sur les peintures rupestres du Tassili (les plus anciennes remonteraient à 5 000 ans) sont les caractères d’une écriture ou seulement des éléments décoratifs, mais on sait que plusieurs de ces signes sont devenus dans l’antiquité, des éléments d’un alphabet. En tout cas des centaines d’inscriptions ont été retrouvéesMême si les inscriptions libyques sont plus nombreuses dans certaines zones que dans d’autres, elles sont attestées, ainsi que le montrent les découvertes effectuées depuis plus d’un siècle, dans toutes les régions du Maghreb et au Sahara et on les retrouve jusqu’aux îles Canaries.La datation du libyque a été revue ces dernières années : de la chronologie jusque-là admise _ 3ème / 2ème siècles avant J.-C on est remonté au 6ème siècle avant. En 1966 déjà, I’Américain E.L Smith datait l’apparition du libyque de la fin de la période cabaline, expression par laquelle on désigne le groupe des œuvres rupestres du Sahara où le cheval apparaît à l’état domestique, ce qui correspond aux derniers siècles avant l’ère chrétienne. Il n’est pas exclu que l’affinement des méthodes de datation et de nouvelles découvertes repoussent encore plus loin ces estimations.L’alphabet libyque fait l’objet, depuis plus d’un siècle, de nombreuses recherches. Si les caractères sont identifiés et bien décrits aujourd’hui, seules quelques rares textes ont été traduits. ll y a une quarantaine d’années, L. Galand, un des spécialistes reconnu du libyque aujourd’hui, arrivait, à cause justement de l’échec des traductions des stèles, à douter de l’affiliation du libyque au berbère. Depuis, on ne remet plus en cause cette affiliation et même si les résultats des tentatives de déchiffrement sont encore insuffisants, on peut expliquer par le berbère un certain nombre de mots libyques.

M. A. Hadadou (A suivre)

Quitter la version mobile