Actuellement, il finalise deux romans, en français et en arabe. La Dépêche de Kabylie : Vous avez publié plusieurs romans en arabe, puis vous en avez rédigé un en français, pourquoi cette mutation linguistique ; comment s’est-elle effectuée ? Mohamed Sari : En vérité, j’ai commencé d’abord à écrire en français et j’ai même publié des poèmes dans une revue de jeunesse (Raja) éditée en Tunisie dans les années 1974/1975. Je suis entré à l’école juste après l’indépendance et ma formation était en langue française jusqu’au lycée. L’arabisation m’a rattrapée en cours de route et j’ai fourni des efforts titanesques pour parfaire ma connaissance de la langue arabe. D’ailleurs, après le bac, je me suis inscrit en lettres arabes uniquement dans ce but. Quand j’ai commencé à lire en arabe, je me suis trouvé face à face aux romans de Naguib Mahfoud, aux pièces de théâtre de Tewfik El Hakim et des écrits de Taha Hussein. J’en lisais deux/trois livres par semaine avec un plaisir indescriptible. Ce qui m’a vite changé de langue d’écriture, d’autant plus que j’ai pris conscience en ce temps là (l’idéologie dominante du panarabisme aidant) que le devenir linguistique de l’Algérie ne peut pas se faire sans la langue arabe. D’abord j’ai écrit une histoire sur la guerre, en langue française, sur des cahiers d’écolier, que je n’ai même pas osé soumettre à l’édition. Ensuite, j’ai publié des articles de critique littéraire dans la presse arabophone, surtout dans les suppléments littéraires. Mais la fiction me harcelait sans répit. Et j’ai écrit ’’Sur les montagnes du Dahra’’ qui a eu un prix en 1982, à l’occasion d’un concours littéraire organisé à l’occasion du vingtième anniversaire de l’indépendance. Suivi juste après d’un autre roman ’’Essaïr’’ c’est à dire l’enfer, publié aux éditions Laphomic en 1986, texte touffu, style nouveau roman et histoire débridée, mêlant pamphlets dénonciateurs des gabegies et description compacte d’une aire de désolation et de douleurs. Un roman dur, cru et qui ne caresse pas dans le sens du poil. D’ailleurs, certains plumitifs l’ont décrié comme étant un texte immoral, comme si la littérature s’encombre de morale. Je leur ai tout simplement dit de relire El Djahid, Bachar, Abu nawas, Enafzaoui, El Asfahani, et de juger ensuite. Juste après, j’ai écrit ’’La carte magique’’ une histoire abracadabrante sur les faux moudjahidin. Laphomic et l’ENAL ont refusé de le publier, le premier parce les livres en Arabe ne se vendent pas et le deuxième pour cause de rapport défavorable. On ne s’attaque pas aux constantes de la nation ! Quinze ans après, voilà le sujet des faux maquisards aux premières pages des grands quotidiens. C’est vrai que c’était avant octobre 88. Le roman a traîné dans les tiroirs pendant une dizaine d’années avant qu’il ne soit publié à Damas. Avec la montée du terrorisme, le journal le Pays m’a offert une possibilité de renouer avec l’écriture en français. Pendant plus d’une année, j’ai occupé une page hebdomadaire faite de nouvelles et de chroniques sociales. C’était une expérience enrichissante, qui m’avait permis de renouer même avec les anciennes lectures de langue française. Ce fut comme cela que naquit l’idée d’écrire un roman en français, d’autant plus que l’édition en Algérie était à l’arrêt et le monde arabe n’était pas prêt de publier des romans sur le terrorisme islamiste. Parlez-nous de l’écho obtenu par votre roman Le Labyrinthe édité ici et en France ?En Algérie, il a été bien reçu et a bénéficié d’un label d’articles élogieux. Même si certains journaux francophones l’ont boycotté, en se disant sûrement : que vient faire cet arabophone d’arrière-garde chez nous ? Complexe de francophile dogmatique ! Commercialement, il s’est bien vendu. D’ailleurs la première édition est épuisée et j’attends que Marsa en fasse une deuxième. En France, d’après les échos que j’ai eus auprès de l’éditrice Marie Virolle, il a été bien apprécié. D’ailleurs, lors de la tournée à travers les villes françaises organisée à l’occasion des Belles Etrangères consacrées aux écrivains Algériens, j’ai pu voir moi même de très près l’appréciation du public. Le Magazine littéraire et la presse locale en ont parlé avec éloge. Mais comme tu peux le savoir, en France si tu ne publies pas dans une grande maison d’édition, tu n’as pratiquement aucune chance de faire la une des journaux. Le choix de la langue occupe-t-il vraiment une place très importante dans l’écriture romanesque ou bien s’agit-il uniquement d’un support ?Je suis tiraillé par les deux langues (arabe et français) et je me déplace constamment de l’une à l’autre. D’abord par le biais de la lecture. Je suis tout le temps sur deux livres de graphie différente. Le Français me fait voyager à travers les oeuvres universelles (actuellement je lis ’’La tâche’’ de Philip Roth) et en arabe je me ressource à travers la littérature arabe ancienne, surtout la poésie et les makamattes. Ensuite à travers l’écriture. Certains sujets sont plus malléables dans le français et d’autres dans l’arabe. Je peux dire que je suis un polygame qui aime ses deux femmes parce que chacune lui fait oublier l’autre, en lui faisant découvrir à chaque fois des sentiers inconnus et insoupçonnables. Vous travaillez actuellement sur deux romans simultanément, l’un en français et l’autre en arabe. Pourquoi cette méthode de travail ambivalente ? C’est une méthode de travail comme une autre. Beaucoup d’écrivains travaillent simultanément sur deux livres à la fois. En fait, c’est ce que je fais. La différence, c’est que je travaille avec deux langues différentes. L’idée d’écrire dans les deux langues ne vous a t-elle pas été inspirée par Rachid Boudjedra, un écrivain que vous admirez ?Le cas de Boudjedra est effectivement très enrichissant. Voilà un écrivain de langue française salué par les plus grands critiques, adulé par les plus grands médias, qui décide soudain d’abandonner le Français comme langue première et se met à écrire en Arabe pour ensuite les traduire en Français. C’est une position identitaire qui annonce sans ambiguïté que Boudjedra se démarque de la littérature francophone. D’ailleurs il a refusé le prix de la francophonie qu’on lui avait attribué en 1979 pour son roman (Mille et une années de nostalgie). C’est une position respectable. Car un certain lobby francophone dénie à la littérature algérienne d’être de graphie arabe, comme un certain lobby arabophone qui dénie à la littérature de langue française son identité Algérienne. Alors que la littérature Algérienne revendique à travers de très beaux textes son appartenance à l’Arabe et au Français. La nier c’est nier son Algérianité tout court. Il ne reste alors plus qu’à la rattacher à la littérature française et la littérature du Machrek arabe. D’ailleurs Boudjedra a fait des émules. Beaucoup d’écrivains se lancent dans l’expérience des deux langues : Merzac Bagtache, Wassiny Laredj, Amin Zaoui. Des écrivains de langue française oeuvrent pour que leurs livres soient traduits vers l’arabe. Aissa Khelladi, Anouar Benmalek (dont j’ai traduit ’’ Les amants désunis ’’. En le rencontrant à Paris, il était très content et pressé de voir un exemplaire de la traduction). En offrant au lecteur les oeuvres des écrivains Algériens dans les deux langues, c’est une forme de réconciliation de soi même, afin de mettre fin aux dissensions linguistiques et aux clichés préétablis. Que pensez-vous des romans qui s’écrivent aujourd’hui en Algérie. La littérature Algérienne est d’essence réaliste, depuis toujours. Elle ne peut être à l’écart du mouvement de la société qui bouge à une cadence trop rapide. On peut même dire sans peur de vexer les bonnes consciences que par exemple le terrorisme a été bénéfique pour un grand nombre d’écrivains. Le terrorisme leur a donné matière à composer des récits et a fait d’eux les chouchous des médias étrangers, qui étaient à l’affût de tout ce qui concernait ce fléau. D’ailleurs à présent, on ne parle plus du terrorisme en Algérie et comme par enchantement on ne parle plus d’écrivains Algériens en France. Et pourtant, beaucoup de livres et des meilleurs se publient et dans de grandes maisons d’édition. On peut dire que la littérature Algérienne produit des textes de valeur comme ceux de Sansal, Yasmina Khadra, de Benmalek, Benfodil, et en arabe nous avons Wassiny Laredj, Habib Sayyah, Djillali Khellas, Mefti Bachir, Djellaoudji etc… Ces dernières années on remarque une profusion de romans publiés par diverses maisons d’éditions (Marsa, Barzakh, Casbah) et des associations culturelles (Ikhtilaf, Djahidia, Union des écrivains…). Et il est difficile de tout lire. La presse littéraire doit en parler et faire sortir du lot d’anonymat les meilleurs. Ce sont des textes qui racontent les maux de notre société. Et à chacun son expérience et sa vision des choses. On a trop parlé de littérature d’urgence, ce qui est normal, par rapport à ce qui s’est passé. Il fallait d’abord prendre position. Beaucoup de citoyens ont pris des armes et l’arme de l’écrivain c’est la plume et il s’en est servi selon ses moyens et les circonstances du moment. Et l’histoire littéraire fera le tri et séparera le bon grain de l’ivraie. Il est trop tôt pour se prononcer.
Propos recueillis par Aomar Mohellebi
