Quand un livre d’initiation à la philosophie déborde de son cadre, il devient un best-seller pour tous les publics. Le Monde de Sophie est un joli bijou qu’on ne cesse d’admirer.
Un beau jour, Sophie, une collégienne de 14 ans, trouve dans sa boîte aux lettres de mystérieuses enveloppes: qui peut bien lui adresser, d’abord, de simples questions, « Qui es-tu? », « D’où vient le monde? », puis des cours de philo comparant « la chasse à la vérité des philosophes à un roman policier »?
Ainsi commence, sous la forme d’un roman d’aventure, un voyage au pays des philosophes: nous y accompagnons pas à pas Sophie à la rencontre de Socrate, de Platon, d’Aristote, de Spinoza ou de Hegel. Jostein Gaarder, qui enseigne la philosophie en Norvège, réussit à maintenir le suspense d’un bout à l’autre et à concilier, avec art, intrigue romanesque et initiation philosophique. Ce roman philosophique à l’intention du public le plus large est devenu un best-seller au Danemark (100 000 ex.) et en Allemagne (700 000). Dans d’autres pays, le succès est aussi comparable. En effet, depuis 1992, tous les dimanches matin, vers onze heures, dans un café de la place de la Bastille, à Paris, quelques dizaines de personnes se réunissent pour philosopher sur un même thème.
Marc Sautet, l’initiateur et l’animateur de ces rencontres, a également ouvert un cabinet de philosophie, où l’on peut – contre honoraires – venir consulter sur la mort, la violence ou la justice, et il organise désormais des voyages philosophiques sur les traces de Platon ou de Kant. Dans Un café pour Socrate (Laffont), il entend à la fois rendre compte de son expérience et justifier cette pratique peu académique de la philosophie. Marc Sautet invoque l’exemple de Socrate allant sur la place publique à la rencontre de ses concitoyens. Et à ceux qui objectent que Socrate ne faisait pas payer de « consultations », il fait observer que personne ne trouve scandaleux que les professeurs de philosophie soient rétribués.
Le succès de l’entreprise atteste de l’existence d’une demande et il est sans doute plus sain d’aller consulter le philosophe que l’astrologue, encore qu’on reste rêveur sur des « prescriptions » du genre: lisez Kant ou Hegel! Mais le livre lui-même n’est guère convaincant: outre ses défauts d’écriture, il mélange maladroitement les genres du récit, du plaidoyer pour soi-même et de l’exposé philosophique finalement bien dogmatique! Socrate au café? Pourquoi pas? Mais le minimum d’humilité exigible du philosophe est de ne pas oublier que n’est pas Socrate qui veut.
Farid Ait Mansour