Un écrivain amoureux de son enfance

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C’est à Montmartre, un joli coin de Paris que l’écrivain passe son enfance. C’est une halte qui marquera à jamais son parcours. Il fait partie de ces créateurs qui comptent. « Robert Sabatier pourrait sans peine vous serrer la main de la fenêtre de son bureau situé au rez-de-chaussée. Beaucoup ne supporteraient pas cette bruyante proximité. L’homme à la pipe, lui, n’en a cure. Mieux, il semble savourer les rumeurs de la ville. Comme si ses années de jeunesse dans les ruelles montmartroises l’avaient contaminé à jamais », écrit le magazine Lire. Robert Sabatier a bel et bien un domicile fixe. Voilà plus de trente ans qu’il a déposé ses valises dans le XVIe arrondissement de Paris. « Oui, je me suis habitué à ce quartier. Pour moi, cela n’a pas beaucoup d’importance. De toutes les façons, je vais me balader ; en métro, je suis à un quart d’heure de partout. »

Bref, Montmartre, Auteuil, même combat! Seul lui importe son antre. Un antre fort policé d’ailleurs, qui tranche avec l’image publique de l’homme, grand amateur de bonne chère, de cocktails et de jeux de mots. Ici, dans ce bureau quelque peu spartiate, à l’atmosphère plus « pédégère » qu’épicurienne, seuls les yeux pétillants et malicieux du maître de maison rappellent la vie tumultueuse du poète gouailleur. Gouailleur mais maniaque. Derrière lui, à portée de main de son « fauteuil roulant », de multiples dossiers où sont méticuleusement classées les lettres de ses nombreux correspondants: Matthieu Galey, Claude Gallimard, Julien Gracq, Jean Grosjean, Guillevic… Voilà pour les « G ». Les Eluard, Cendrars, Aragon, Claudel, Mauriac, Max Ernst et autres Asturias sont rangés à leur place alphabétique. Une mine d’or qui viendra peut-être grossir les archives de Nancy comme le veut la tradition de l’académie Goncourt. Mais la question semble indécente: « Ce n’est pas à l’ordre du jour.

Pour moi, j’ai vingt ans. Je ne sais plus qui a dit :  »Laisser passer ses jours sans les compter puis vivre comme si ça devait durer toujours ». Robert Sabatier, l’autodidacte, est habité d’une curiosité sans fin. Des romans les plus obscurs de l’époque napoléonienne aux romans gothiques de la fin du XVIIIe, des romanciers anglo-saxons contemporains à l’As des boys scouts (souvenir de sa petite enfance)… sans compter les innombrables poètes qu’il est un des derniers à avoir lus (l’auteur de la volumineuse Histoire de la poésie française n’a pas dévoré 25 millions de vers pendant quelque trente ans sans que cela ne laisse de trace).

La bibliothèque de l’académicien est des plus hétéroclites : « Les Presses Universitaires de France m’ont donné ce goût pour tout. Pendant quinze ans, il a fallu que je  »ponde » des textes sur tout ce qui paraissait. Finalement, la curiosité s’éveille… » Son passage, en tant qu’éditeur, chez Albin Michel a fait le reste. C’est en 1971, alors qu’il vient d’être élu à l’Académie, qu’il se voit contraint de cesser toute activité salariée. Sans dommage, Les allumettes suédoises, publiées deux ans plus tôt, ayant connu un succès fulgurant.

Etrange aventure que celle du petit Olivier, né dans une flaque d’eau (« en 1968 à New York, je vois des enfants qui pataugent dans l’eau; c’est le déclic, je me revois à Montmartre, mes souvenirs enfouis d’orphelin reviennent à la surface ») et qui finit une cuillère d’argent à la bouche. « Mon éditeur n’était pas très convaincu : Entre nous, votre enfance, qui croyez-vous que cela peut intéresser ? » On a fait un petit tirage et ça s’est mis à marcher. Tout à coup, on m’a traité de best-seller. J’étais emmerdé vis-à-vis de mes copains poètes. Je leur disais :  »Vous ne m’en voulez pas trop ? » Le public, lui, en redemande, comme cette vieille Montmartroise sans le sou qui lui a offert une poupée en chiffons le représentant. Pourtant, l’auteur des Sucettes à la menthe le jure : « La boucle est bouclée. Je reviens maintenant à mes premières amours, le roman d’imagination, et au thème qui m’est cher: l’homme seul qui essaie de s’insérer dans la société. » Domaine où il s’est déjà illustré brillamment en 1984 avec Les années secrètes de la vie d’un homme : « Le plus gros et peut-être mon roman préféré. Je l’ai écrit en tripotant en permanence cette boussole qui m’aidait à me mettre dans l’ambiance maritime du livre, moi qui n’ai jamais navigué. »

Place à l’imagination donc avec Le cygne noir, superbe récit du difficile apprentissage à la vie de Pierre Laurence, jeune Suisse solitaire et laid, né d’une mère belle, trop belle, et d’un père inconnu. Pour comprendre sa laideur, le jeune homme s’en va faire le « voyage d’Italie » afin de questionner les arts. Pourtant, la réponse ne viendra ni de Goya, ni de

Rousseau, car, finalement, « la nature n’a-t-elle jamais rien créé de laid si ce n’est le regard que l’on peut jeter sur un autre? » Robert Sabatier, longtemps marri devant son reflet dans la glace, en est en tout cas persuadé : « En fait, je ne suis ni laid ni beau, je suis comme tout le monde, quelconque. » Mais Pierre Laurence ne peut s’arrêter là. Il lui faut aussi connaître son père, être l’archéologue de sa propre histoire. Une enquête qui le mène du Ritz à un village du Perche : c’est là, dans les splendides paysages perchois, qu’il se trouve le père idéal et qu’il déniche du même coup l’amour. Un faux père, mais qu’importe! « En quête d’un père, c’est une mère que je trouvais, une femme nouvelle, étrangère encore, et que sa souffrance me rendait proche », s’exclame le héros, transfiguré au terme de ses mois de recherche. Le laid, le beau, la musique, la peinture, la nature… Où certains découvriront un Robert Sabatier pétri de culture classique, fasciné par les arts plastiques. « C’est vrai, je me suis projeté là. Moi aussi, j’ai passé toutes mes vacances à visiter l’Europe. J’appliquais la  »méthode teutonne » comme dit mon héros. Par exemple, quand j’allais à Venise, où il y a 97 églises, eh bien, je voulais voir les 97 églises. » Autant de passions que le petit garçon de Montmartre ne pouvait décemment exprimer mais que l’adolescent suisse fait siennes avec brio. Un brio qu’il serait bon de retrouver à travers ses livres ( dont certains sont disponibles à Alger).

Farid Ait Mansour

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