«Yemma Gouraya a été mystifiée par la population»

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La Dépêche de Kabylie : on connaît Yemma Gouraya en tant que personnage mythique, mais on connaît peu de sa dimension historique ?

ll Meriama Yahiaoui : Effectivement, les livres ne nous fournissent pas de détails concernant la vie de Yemma Gouraya. Ces derniers soulignent que c’était une maraboute ou une sainte patronne de Bejaia qui a été, au seizième siècle, témoin de la bravoure et du courage des frères Barberousse quand ces derniers sont venus délivrer la ville de Béjaïa du joug espagnol.

Med said Boulifa dans son ouvrage «Le Djurdjura à travers l’histoire» édité en 1925, écrit que la destinée voulut que l’échec des Barberousse ne s’éteigne pas de sitôt. La sainte matrone (sic) Lalla Gouraya, témoin du courage et de la bravoure des défenseurs de sa liberté, ne pouvait se désintéresser du malheureux sort de ces étrangers musulmans sans se montrer ingrate ! Sa bonté était si grande et ses miracles nombreux.

En l’an 2002, un autre auteur, en l’occurrence Kamel Filali, la cite également comme témoin de la forte personnalité de Arroudj Barberousse et écrit : «Lalla Gouraya, la sainte patronne de Bejaia, fut témoin de sa « bravoure » lorsqu’il vint délivrer la ville du joug chrétien dans la vaine tentative de 1512, qui lui valut d’ailleurs, un bras amputé par un boulet espagnol».

Yemma Gouraya est également présente dans des écrits occidentaux; Alexandre Sander-Rang dit : «D’après Razaouat, les trois frères Barberousse : Ishaq, Aroudj et Khair-Eddine siégèrent pendant vingt quatre jours le ville de Bougie puis abandonnèrent pour cause de poudre (…). Alors, Barberousse se résignait aux ordres suprêmes de l’Eternel qui détermine à son gré le moment de l’élévation de celui-ci et celui de la chute des Empires.

Après avoir congédié les Berbères et se les être attachés plus que jamais par leurs libéralités, ils retournèrent à leurs vaisseaux qui étaient mouillés dans l’oued El-Kebir, (…)

Une femme prédit la défaite des Chrétiens non seulement dans l’expédition qu’ils préparaient, mais encore dans une seconde qui devait bientôt la suivre. On ajoute même que sa prophétie s’étendit à une troisième entreprise qui devait être dirigée par un grand prince »

Cette femme était fort probablement « Yemma Gouraya ». Dans le même ordre d’idées, Paule Wintzer, un militaire espagnol du XIXe siècle : «Après son énergique résistance, Bougie reçut des Arabes le nom d’imprenable; là où Barberousse avait échoué, on ne pensait pas que personne put réussir, mais Lalla Gouraya, la sainte maraboute de la montagne assura aux Turcs qu’ils ne devaient pas quitter le continent Kabyle avant qu’ils fussent largement dédommagés de leurs revers. »

Devant une telle insuffisante de données historiques, la légende a complété la biographie de cette sainte, et ce, en lui attribuant trois sœurs toutes aussi pieuses qu’elle (Yemma Yamna à Bougie, Yemma Timezrit à Timezrit et Yemma Mezghitane à Jijel) et un père nommé ‘Sidi Ayyad’, un personnage réputé dont le sanctuaire se trouve actuellement à Sidi Aich ( Tifra ).

On ajoute à la légende que la sainte Yemma Gouraya ne s’est jamais mariée se consacrant à l’enseignement du Coran et au service de sa communauté. On dit aussi que c’était une femme très courageuse. Le personnage de Yemma Gouraya a été mystifié par la population en lui attribuant des “karamat” (charismes) dont celui de se transformer en colombe à chaque fois qu’un obstacle se présentait à elle.

Que signifie exactement le mot ‘Gouraya’ et quelle est son origine ?

Plusieurs hypothèses ont été recueillies de sources écrites et orales.

Les premières interprétations données sur l’étymologie par les sources écrites du terme “Gouraya” se résument à celles-ci :

Gabriel Camps dit : «Gour, pluriel de ‘gara’, terme qui désigne une butte témoin ou une colline isolée à pente raide, ou encore un plateau tabulaire dégagé par l’érosion»

Kamel Nait Zerrad quant à lui pense que Gouraya serait un prénom berbère tout comme Gaya, Graya, …: « Guraya, nom féminin du verbe ‘gri’ (et variantes) rester en arrière, rester, finir par, en venir à … » ou bien «agaraygaray, celui qui est central, au milieu»

Concernant les sources orales, les versions sont nombreuses, citons à titre d’exemple quelques unes :

“Qerraya” ou ‘Qirya’ qui signifie femme studieuse, soulignant son intelligence et son caractère studieux.

“Gawriyya” qui signifie européenne (Italienne, Espagnole, Romaine…) insistant ici sur son origine qui serait selon cette version, européenne.

“Qerruya” : altération de ‘Taqerruyt’ qui signifie “tête”, probablement parlant de la hauteur, sommet de la montagne.

Comment est perçu ce personnage par la population de Béjaïa d’une part et d’autre part, en dehors de cette wilaya ?

Dans la croyance locale, il est établi que Yemma Gouraya est la protectrice de Bejaia. On l’appelle ‘A_essas n Lebher’ ‘ gardienne de la mer’. Une vieille légende locale raconte qu’à un moment donné, la mer menaçait de déborder sur la ville et la sainte, par un signe de la main, a empêché une telle catastrophe.

La population hors de Bejaia la considère simplement comme une femme sainte ‘waliyya saliha’.

Quelle est la relation entre Yemma Gouraya et le soufisme ?

Ici encore, on fait appel à la légende locale qui fait de Gouraya une altération de ‘qerraya’ ou ‘qirya’, de l’arabe ‘qara‘a’, ‘lire’, ce qui signifierait ‘une femme studieuse’ ou ‘celle qui lit’. Il y est ajouté qu’elle a adhéré au soufisme et a enseigné le Coran aux jeunes filles qui venaient la voir dans sa khelowa (retraite).

Propos recueillis par Aomar Mohellebi

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