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11 ans après… a ssiâqa

Par Abdennour Abdesselam*

J’ai été surpris par les propos diffamants parus dans votre édition du 11 courant, tenus par Bouguermouh à l’encontre du président de BRTV, Mohamed Saâdi (originaire des Ouadias) qui a pourtant pris bénévolement en charge les travaux de finition du film. Ayant été nommément cité, j’use de mon droit de réponse pour apporter des éclaircissements autour de ce que le réalisateur appelle “blocage” du film La Colline Oubliée. C’est également en tant qu’ancien président du comité de soutien du film et auteur des dialogues en Kabyle que j’apporte mon démenti le plus formel contre les mensonges et les allégations lancées par le réalisateur à l’encontre d’un homme totalement engagé dans et pour la cause amazigh.

Tout d’abord, je me demande pourquoi ce réalisateur a mis 11 années entières pour manifester ses mécontentements autour du film. Mais à bien regarder de plus près, on remarquera que dans son interview, bien arrangée par le journaliste, il ne soulève finalement qu’un problème existentiel lié à sa personne. En plus clair, il accepte mal de partager tous les sacrifices consentis par des associations culturelles, des personnalités et toutes les volontés qui ont entouré généreusement et spontanément le premier film d’expression berbère. Il me reproche personnellement d’avoir été en avant du film en oubliant que toutes les fois que nous organisions, ensemble, des conférences de presse, les journalistes orientaient plus leurs questions vers moi que vers lui. Il n’a alors jamais réagi. Je me demande en quoi je pouvais être responsable du choix des journalistes. Cela m’amène à faire peser des doutes sur la sincérité de ses déclarations, trop curieuses et tardives, pour ne pas dissimuler des buts inavoués.

En 1992, Bouguermouh, alors fonctionnaire au CAAIC jusqu’à sa dissolution, avait été pris en charge par l’APW de Tizi Ouzou durant plusieurs mois à l’hôtel Djurdjura de Aïn El Hammam, pour lui permettre d’entreprendre, dans les meilleures conditions possibles, l’écriture du scénario. Par la suite et durant toute la période de tournage du film, il avait été pris en charge par le comité de soutien. Le film a été terminé en 1994 et des copies commerciales ont été tirées dans les laboratoires de l’ENPA après visa d’exploitation donné par le ministère de la culture.

Le comité de soutien, en collaboration avec le CAAIC, le collectif des associations d’Aït Yanni et celles de Bgayet a organisé alors et en présence du réalisateur deux projections du film en avant premières à Béjaïa et à Tizi Ouzou en guise de reconnaissance à l’apport inestimable des seules APW et population Kabyles dans la réalisation de l’œuvre cinématographique. Après quelques mois, le réalisateur a demandé au président du comité de soutien de l’accompagner en France pour perfectionner des aspects techniques du film (bande sonore et particulièrement la réalisation du sous titrage en langue française). Le film a été confié par le CAAIC à un premier producteur français qui venait de produire le film de Merzak Allouach “Bab El Oued City”. L’association “La Colline Oubliée”, qui tient son nom du nom du film à Paris et présidée par l’éminent poète Ben Mohamed, a organisé une nouvelle avant-première projetée à Paris dans une salle des Champs Elysées. C’est là que j’ai rencontré l’association de Juristes Berbères de France (AJBF) laquelle nous a mis en contact avec le futur président de la BRTV : Monsieur Mohamed Saâdi, commissaire au compte de profession. C’est lui-même qui a attiré notre attention, après vérification, sur la santé financière très précaire du partenaire que le CAAIC avait choisi.

Après la défaillance constatée et avérée du producteur français, le réalisateur et moi-même avons décidé de chercher une solution. Cette solution ne pouvait passer que par une action militante. L’association, présidée par Ben Mohamed, n’a ménagée aucun effort pour mobiliser la communauté Kabyle de France et permettre au réalisateur d’engager les retouches techniques. Devant les difficultés de réunir le budger nécessaire aux travaux de correction, Monsieur Mohamed Saâdi, en hommage à la mémoire de Mouloud Mammeri, a pris sur lui l’engagement militant de financer seul l’intégralité des travaux. Nous avons alors procédé au sauvetage du film en soustrayant des locaux du producteur français initial l’ensemble des bobines techniques que nous avons transportées dans la voiture personnelle de Mohamed Saâdi. On peut imaginer tous les risques que nous encourions pour avoir fait cela et tout particulièrement pour Mohamed Saâdi de part son statut social et professionnel à Paris.

Pour ce faire, il lui a fallu conclure un nouveau contrat avec le CAAIC. C’est alors que je suis revenu à Alger pour demander au CAAIC de changer de partenaire et de confier les travaux à Mohammed Saâdi. Ce qui fut fait après que l’ancien partenaire eût exigé en retour, au titre de tous les droits de rétrocession au profit du CAAIC, l’équivalent de la somme de 15.000 euros. Les deux tiers de cette somme ont été réglés, à titre de contribution personnelle, par M. Tahar Boudjelli, un autre militant de la cause Amazigh, ami de Mohamed Saâdi. Dans l’impossibilité de renouveler mon visa, je ne suis donc pas retourné à Paris mais j’étais rassuré d’autant plus que l’AJBF avait pris le relais pour assister le réalisateur. Une fois les travaux techniques terminés, une sortie grandiose avait été organisée en 1996. Grâce au programme retenu par Mohamed Saâdi, toutes les rues de Paris étaient parées des affiches du film. Les télévisions françaises ainsi que la presse écrite ont très bien couvert l’événement et le réalisateur a accordé plusieurs interviews dont celle au journal Le Monde de novembre de la même année où il déclarait avoir heureusement trouvé en la personne de Mohamed Saâdi un véritable bienfaiteur. En même temps, des copies standards avaient été envoyées par M. Saâdi à la cinémathèque d’Alger, laquelle a organisé une projection à Alger et à laquelle j’ai personnellement été invité.

Le CAAIC et l’ENPA (organismes de l’Etat chargés du secteur de la cinématographie) venaient d’être dissous, les salles de cinéma avaient déjà depuis bien longtemps cessé de fonctionner pour la plupart d’entre elles. Elles ont toutes cessé de projeter des films en 35 mm. Les quelques rares salles encore en état de fonctionnement se sont toutes mises à faire dans la projection vidéo. Les appareils de projection en format cinéma 35 mm étaient tous dans un état de délabrement indescriptible. C’est alors que le film a été projeté dans les seules salles des Maisons de la culture de Béjaïa et de Tizi Ouzou où un engouement impressionnant était visible. A Tizi Ouzou, la projection n’a duré tout au plus que 15 jours. Bouguermouh, qui se trouvait douillettement en Allemagne grâce à une bourse d’études que j’ai moi-même cédée en sa faveur par l’intermédiaire de l’association Amazigh de Frankfort et présidée par Akli Kebaili, aurait été bien plus avisé de faire part à temps de ses inquiétudes autour de ce qu’il appelle “blocage” de la projection du film plutôt que de s’attaquer, curieusement après 11 longues années, à un homme qui a relevé les défis et qui a contribué généreusement à ce que le film soit sauvé, traité, sorti et diffusé avec le soutien exceptionnel du fils de Feu Mouloud Mammeri. J’invite le réalisateur, accompagné de son soutien de choix et dans le lieu de son choix, à un débat public contradictoire et serein, à la seule condition que la rencontre soit enregistrée en vue de sa diffusion publique intégrale et qu’elle ait lieu strictement en kabyle pour qu’elle soit à la portée de toutes et de tous. Chiche ! Monsieur Bouguermouh.

Pour ce qui est de la BRTV, elle a été créée sur les fonds propres et personnels de Mohamed Saâdi dont le seul souci était d’offrir du son et de l’image au peuple berbère alors privé de ce support sur l’ensemble de l’Afrique du Nord et d’une grande partie de l’Europe et de l’Amérique du Nord. Tous les intervenants de la scène berbère (associations culturelles, chanteurs connus et jeunes talents, poètes, écrivains, hommes politiques, critiques, hommes des sciences humaines, créateurs, artisans, journalistes, simple citoyen et citoyennes) ont eu librement droit à l’expression.

En l’absence de salles de cinéma et leur inaccessibilité évidente aux familles et aux habitants des montagnes de Kabylie, c’est grâce à Mohamed Saâdi que la BRTV a diffusé à maintes reprises le film en question, “La Colline oubliée”. Ce film est maintenant vu par toute la population berbère de Kabylie et d’ailleurs. C’est sans doute cette large diffusion gratuite que regrette véritablement Bouguermouh. Forcément, il n’y avait pas de dividendes à toucher, contrairement aux tickets payants des salles de cinéma. De ce fait, son argument qui tourne autour du “blocage” du film tombe de lui-même.

Comment nier et renier aujourd’hui que c’est grâce à la BRTV que des associations culturelles, des hommes de culture, des villages se sont mieux connus et ont fait connaître mutuellement leurs diverses et riches activités sociales et culturelles ?

Comment nier que c’est grâce à la BRTV, tout comme à la Dépêche de Kabylie, que l’information libre et libérée se fait chaque jour. Nous sommes informés de tout ce qui se passe dans notre région et en dehors d’elle, sans interruption, sans censure et sans complexe aucun. Comment ne pas comprendre que toute télévision naissante peut rencontrer des problèmes techniques, de programmation et de diffusion ? En raison de cela, de la BRTV a tous les droits d’avoir le temps et les moyens nécessaires à son évolution et à son développement qui se vérifie, au demeurant, chaque jour.

Comment diantre ! a ssiâqa, peut-on admirer et accepter que des entités sociales et culturelles étrangères puissent s’autoriser d’organiser des téléthons et autres actions de soutien d’intérêt social, culturel et scientifique et subitement entourer de doute et d’intrigues des actions similaires dès que cela nous concerne directement, nous, Berbères ?

Les résultats positifs de l’apport financier et moral de la population berbère, suite à l’appel à l’aide lancé par la BRTV alors en difficulté en 2001, sont largement vérifiables en qualité et en quantité des émissions produites, en augmentation du temps de diffusion passé 24 heures sur 24, malgré les restrictives de transmission qui sont indépendantes de la chaîne, son intégration dans le réseau Internet, sa mise à niveau technique évolutive, le tout durant maintenant plus de cinq années. De plus, toutes les télévisions sont connues budgétivores. Elles sont toutes des “dévoreuses” d’idées et de financement. Malgré cela, la BRTV tient la route quoi que disent ses détracteurs annoncés. S’il s’agissait réellement de la quête d’un enrichissement, pour reprendre leurs propres termes, alors, la BRTV n’aurait qu’à s’ouvrir aux publicités commerciales et chèrement payantes des voyants et illuminés Hadj Coucou et flouflou. Comme ces phénomènes ne font pas partie de notre culture, ils n’ont tout naturellement pas droit de passage ni de cité sur la chaîne berbère.

Il est utile de rappeler que la BRTV ne fait pas de courbettes et n’est dépendante, financièrement et politiquement, ni du pouvoir algérien ni de celui de la France. Elle est une chaîne berbère libre, familiale et à thématique sociale et culturelle. De ce fait, elle échappe à toutes les compromissions.

Qu’avons-nous capitalisé depuis seulement 50 années comme patrimoine d’images et de films à diffuser à volonté ? Depuis quand une télévision amazighe existe dans les annales de la communication par l’image pour réclamer de la jeune BRTV l’impossible ? Exiger d’elle de l’évolution et de l’amélioration dans ses programmes est certes un droit et même un devoir citoyen mais dans la suite et le réalisme. Cette exigence est surtout une préoccupation qui n’échappe pas à ses dirigeants qui ambitionnent en priorité, de la mettre en clair dès l’année 2007, pour qu’elle soit à nouveau dans tous les foyers berbères du monde.

* Documents, coupures de journaux, photos et casettes vidéo liés au film en ma possession.

*A. A.

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